Ainsi est Alice
146 pages
Français

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Ainsi est Alice , livre ebook

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Description

Ainsi est Alice dont la vie et l'amour scintillent autour d'elle. Elle luttera contre la mort qui menace son homme, elle réussira à réveiller Martha, pianiste virtuose que l'âge accable, elle entourera Esther, l'enfant violoniste prodige qui s'est retirée du monde, elle sèmera espoir et renouveau autour d'elle. Car ainsi est Alice qui nous ranime, rien qu'à lire son histoire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 mai 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414080137
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-08011-3

© Edilivre, 2017
1
Depuis dix bonnes minutes, Alice dérive dans la verdure et s’enivre d’odeurs. Décomposition, pourriture et vie naissante au ras des mousses dans le sous-bois après la pluie, elle s’immerge, elle s’imprègne. Des perles d’eau roulent sur les feuillages vernissés, elle goûte leur caresse furtive quand ils effleurent son visage. S’allonger nue dans la fraîcheur, paumes et joue plaquées au sol, la mousse et sa peau mêlées, ce serait encore mieux.
Car ainsi est Alice, qui dans un petit magasin de fleuriste de la rue Saint-Antoine voyage en forêt tropicale, minuscule exploratrice solitaire au pied des troncs géants enlacés de lianes. La vendeuse qui la suit abandonne en chemin.
– Je vous laisse choisir !
– Merci, dit Alice, qui revient sur ses pas parce qu’elle vient de traverser une bouffée accrocheuse mais non identifiée. « Pivoines odorantes » dit la petite ardoise. Juste à côté, des giroflées grandies trop vite et hâtivement parfumées pour un bal populaire. Elle les quitte pour des pois de senteur timides qui ne sentent presque rien, un repos de tendresse, un ilot silencieux de pastels très doux effleurés comme jadis la joue de sa grand-mère sous le dos de sa main. Car ainsi est Alice pour qui rien n’est jamais révolu.
Odeurs, caresses, et couleurs aussi : des courants, des vagues qui débordent les unes sur les autres, entre elles des franges vibrantes, des écumes mousseuses où naissent sans cesse les formes : vaporeuses, aiguës ou alanguies, raides épées des iris, pétales ourlées des roses blanches, drapés de satin pâle…
… la main rêveuse de Jean qui s’attarde, si proche de mon sexe impatient…
Alice rougit et regarde alentour mais nul n’a entendu. Car ainsi est Alice qui ne voudrait déranger personne.
– Vous avez fait votre choix ?
En réponse elle dépose un sourire et sur le comptoir une gerbe de streezias orange péremptoires, trois têtes blanc-bleu d’hortensias sortant permanentées d’un coiffeur du samedi et une bouffée d’asparagus. La vendeuse lève un sourcil, un seul en accent circonflexe, ce soir Alice essaiera devant son miroir, elle doute d’y parvenir.
– C’est pour offrir ?
Hochement de tête affirmatif, pas un Oui prononcé parce que c’est un mensonge, encore que c’est pour m’offrir à moi mais c’est difficile à dire, un peu indécent peut-être, ne pas troubler la vendeuse qui commence à composer le bouquet. La vendeuse que quelque chose a peut-être quand même ému car elle rudoie un peu trop les fleurs en effeuillant les tiges, l’une après l’autre, avant de les assembler, est-ce la fatigue de sa journée ou le choix d’Alice qu’elle désapprouve ? Les freesias c’est fragile, ça casse comme du verre et elle vient justement d’en briser un qu’elle tente d’incorporer comme si de rien n’était en le coinçant dans une tête d’hortensia. Regard en douce rapide par-dessous la paupière, rencontre des yeux peinés d’Alice. Main en suspens.
– Vous avez de belles mains, dit Alice doucement.
Vendeuse désemparée : elle se moque ? elle m’agresse ? elle me drague ?
– Excusez-moi, je ne peux pas m’empêcher, dit Alice qui sans la toucher à quelques millimètres de sa peau dessine la courbe des deux doigts en spatule hésitant sur le brin de freezia, puis celle de la main nervurée, puis, comme un regret, la cassure du poignet.
La vendeuse s’appelle Grace. Sa mère frivole, sa mère inconséquente et fragile qu’elle n’a pas connue lui a voulu ce nom – quel roman-photo, quels rêves enfantins ? Ou pour crier grâce avant de partir ? La vendeuse a un corps épais qui l’accable sans répit, seules ses mains en effet, ses mains longues et nerveuses – tu as les mains de ta mère disait son oncle – seules ses mains émergent de la gangue.
Ses mains qu’un homme, il y a déjà longtemps, c’était juste avant de la quitter, a parcourues du même geste et dans le regard la même nostalgie du présent.
La vendeuse s’entend dire, comme une évidence de passage, une risée sur l’eau :
– Je m’appelle Grace.
Et encore :
– Vous êtes peintre ?
Car ainsi est Alice que toujours des mots inattendus naissent dans son sillage, de curieuses évidences, des écarts de tons où basculent les mélodies.
– Musicienne, dit Alice.
Elle montre le brin de freezia cassé enchâssé dans la chevelure de l’hortensia.
– Laissez-le, il est drôle !
– Oui, dit la vendeuse qui en effet lui découvre un air gavroche.
Elle termine le bouquet, le comptoir entre elles comme une eau tranquille. Reviennent les odeurs un instant absentées. La vendeuse lie le bouquet et le pose sur une feuille de papier cristal. Avant de l’envelopper elle, Grace-la-vendeuse, s’éloigne un instant dans le magasin, hume ici et là elle aussi – c’est contagieux – et se décide pour un lupin blanc qu’elle revient glisser parmi les autres fleurs, sans les déranger.
Les choses sont comme elles doivent être, apaisées. La vendeuse dit que cela fera onze euros cinquante. Un sourire, sans plus. Car ainsi est Alice que rien autour d’elle ne s’attarde ni ne pèse.
Sur le seuil du magasin, elle s’arrête et contemple son bouquet : dans le nuage d’asparagus les boules pâles et bavardes des hortensias, les streezias qui surgissent partout comme diablotins baroques, le petit brin à demi-caché facétieux et sur tout ce monde veille le lupin, réprobateur mais indulgent, hautain un peu au-dessus de ses moyens, un peu guindé mais gracieux malgré lui. Alice se retourne et la vendeuse maintenant aux prises avec le bégonia d’une dame à chapeau – pas trop d’eau ! un verre tous les deux jours, pas plus ! – sans lever les yeux s’en éclaire fugitivement et pour toute sa journée.
Car ainsi est Alice que lorsqu’elle se retire, la voici sur le trottoir maintenant, la forme de son absence est longue à s’estomper.
Astre baroque, morceau de monde étrange, le bouquet laisse sur le boulevard une traîne de silence étonné. Devant la caserne des gardes mobiles le planton, sur le banc un clochard, le tapissier fatigué qui fume une cigarette au seuil de sa boutique et le serveur affairé comme une pie qui remet de l’ordre dans les chaises à la terrasse du café du coin, et l’adolescente en short microscopique qui ondule sur ses rollers et saute le trottoir d’un coup de reins innocent et canaille et le balayeur zaïrois en salopette verte qui roule des yeux blancs sur les longues jambes soyeuses et les plis rieurs des petites fesses rondes, tous un moment égarés.
Où Alice mettra-t-elle le bouquet ? Sur la cheminée, devant le miroir qui le multipliera peut-être un peu trop, c’est quand même petit chez elle ? La table basse, pour que tout tourne autour dans la pièce ?
Et à quelle heure viendra Jean ce soir ?
2
Jean ne viendra pas ce soir. SOS Médecins l’a envoyé aux Urgences de l’hôpital Saint-Louis. L’interne est jeune, très jeune, ce n’est pas rassurant. Il enfonce des doigts d’acier dans le ventre qui se creuse pour leur échapper.
– Détendez-vous ! dit-il.
Humour sadique ? Et encore :
– Quand exactement, les premières douleurs ?
Plaisanter pour narguer la vrille brûlante ? Lui dire que ce n’est pas pour un accouchement ?
– Depuis ce matin, par… périodes. De plus en plus longues, de plus en plus… aïe !… fortes.
L’interne hoche la tête, il palpe encore en fermant les yeux et, sentencieux au-dessus de son âge, dit :
– Je vois.
– Vous… voit… quoi ? demande Jean qui s’entend mais n’en est plus à ça près.
– Coliques hépatiques sûrement. On va passer ça au scanner.
– Ah ! Et ensuite ?
– Médecine ou chirurgie, ça dépendra, dit sans se retourner l’interne qui déjà a franchi la porte battante.
Et merde ! Quarante ans sans jamais plus qu’une rage de dents et pourquoi maintenant ? Maintenant fait penser à Alice et rien que penser à Alice soulage en attristant, elle va m’attendre et j’ai oublié mon téléphone mobile. Jean resté seul ventre à l’air sur la table d’examen sous le scialytique qui grésille tente de s’asseoir, immédiate réaction de la bête qui mord les tripes, retour à l’horizontale, ça s’apaise très lentement en même temps que la sueur refroidit. La porte battante s’ouvre brutalement, enfoncée par une civière à roulettes suivie d’un noir gigantesque et muet, visage clos anthracite, qui sans effort apparent, une main sous les épaules et l’autre sous les genoux, cueille Jean – soixante-sept kilos pas plus mais quand même ! – et le dépose sur le chariot. Et enchaîne, porte éventrée sans ralentir, couloirs ripolinés vert qui défilent à toute allure, halte pour attendre un monte-charge aux parois couvertes de cicatrices, chaque chariot ajoute la sienne et celui-ci comme les autres, descente si lente et si longue qu’elle exclut tout espoir de retour, couloirs encore, de béton brut cette fois avec un néon tous les dix mètres on se croirait dans le métro, halte enfin devant une porte marquée « Scanner ». Le noir gare la civière contre le mur et disparaît sans un mot.
Silence mat. Un cul de sac de béton, lumière suintante et croupie de fond de cale, les entrailles de l’hôpital, est-ce qu’on sait que je suis là ? Jean est seul avec sa douleur, abandonné, et s’ils étaient tous partis, une grève par exemple ? Il y en a sans cesse en ce moment. Reconductible, en plus, jusqu’à satisfaction de nos légitimes revendications ?
La douleur s’est mise en sourdine, elle guette le moindre mouvement. Jean a fermé les yeux et s’occupe à des scénarios qui progressent rapidement du désagrément à la catastrophe et de la catastrophe à l’apocalypse : grève générale, épidémie ravageuse, guerre nucléaire, tout est rasé là-haut. Dans deux ou trois cents ans… non c’est trop tôt, deux ou trois mille allez pourquoi pas, des archéologues exhument les restes de la civ

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