Âpres sont les vies
392 pages
Français

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Âpres sont les vies , livre ebook

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Description

« Il fixa intensément Lola de ses yeux bleus, qui semblaient assez gentils, mais dont elle détourna son propre regard, tellement la sensation que lui procurait le vieux monsieur était bizarre. Elle se dit qu’il ressemblait à Samuel Beckett, un auteur qu’elle venait d’étudier en classe et qu’elle n’avait pas vraiment compris, mais dont elle avait pensé qu’il avait dû être un sacré grand-père. En remontant le regard, elle fut attirée par le visage de Mamie qui lui donna l’impression de remuer un peu. Elle crut même voir un bref sourire se dessiner sur les lèvres ridées et autour des yeux fermés. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 juin 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414188741
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-18872-7

© Edilivre, 2018
Exergue

Chacun est fait de ce qu’il a vécu, et personne ne peut lui enlever cela. Qui a vécu en souffrant reste fait de sa souffrance ; si on prétend la lui enlever, ce n’est plus lui.
Italo Calvino Palomar
Désert
Un homme se trouve seul en plein désert. Au début, il hurle, il peste, il insulte les dieux cachés derrière les collines de sables et de cailloux. Il crie et personne ne l’entend. Alors il marche sans savoir où le mènent ses pas. Puis il a faim et soif. Il débusque un gros rat qu’il déguste en met de choix. Il goûte l’eau pure des mirages. Il tempère ses ardeurs et se met en quête d’un logis – une caverne. Peu à peu, l’homme se tasse. Il se nourrit de peu. Il se contente de peu. Car de toute façon le désert est grand. L’homme contemple la course immuable des astres dans le vaste ciel. Il tente d’amadouer les dieux. Alors, l’homme solitaire trouve la paix.
Vient un chameau. L’anachorète le capture et s’apprête à le tuer. Tant de viande, tant de graisse et tant d’eau ! Son appétit se réveille. Il oublie ses prières. Cependant, l’idée lui vient, non pas de dépecer le sauvage animal, mais de l’enfourcher afin de fuir l’hostile contrée. Patiemment, il dresse l’ardent compagnon et, un jour, il monte sur son dos. Il quitte son lieu de méditation. Sûr de sa fortune retrouvée, il crache à la figure des dieux, par-delà les collines de sables et de cailloux. Et il s’en va son chemin de liberté.
Après une longue route, l’homme et la bête croisent une maison, un hameau, une ville. Ils réapprennent le langage et les gestes de la vie. L’homme vend le chameau. Il veut renouer avec son existence d’antan. Mais, peu après, il tombe malade. Il est faible, il se retire dans sa maison. Il ne sait plus parler, il ne peut plus bouger. Il se terre. La ville, son bruit, son commerce, le terrifie. Le vent du désert chante à son oreille. Il sait le souffle qui lui porte le ricanement des dieux.
Désormais l’homme est vieux. Mais il se lève une dernière fois. Il achète un chameau et repart vers le désert. L’homme et la bête trouvent une grotte. L’homme tue l’animal, fait des provisions. Il se réinstalle. Il avise les dieux invisibles et leur dit : « Maintenant, je sais que vous êtes là. »
Un ample chant lui répond : c’est le vent qui s’engouffre et fait bruire les pierres. Le vent qui roule sur les collines. La houle grossit en tempête. Le ciel devient jaune, l’air crépite autour de lui. Au fond de son trou, l’homme sourit.
Car de toute façon, le désert est immense.
L’homme au passeport suisse
Il avait dans les quarante ans. C’était un homme brun, grand et mince, habillé d’un jean et d’une chemise aux manches roulées et qui ne portait pas même une montre. Il arriva un soir de Juin, posa ses clés sur le comptoir en souriant comme quelqu’un à qui on ne refuse rien et demanda une chambre pour la nuit. Il voulut aussi très aimablement la choisir, si c’était possible. Nous fîmes donc le tour de l’Auberge à l’heure où les premiers demi-pensionnaires se mettaient à table, ce qui ne m’arrangeait pas étant donné l’absence d’un de mes serveurs. Mais nous n’avions cette semaine-là qu’un groupe d’Allemands d’une quinzaine de personnes et deux couples âgés de Parisiens, qui attendaient en général que les premiers aient décampé pour venir dîner. Heureusement, à tous les Allemands on donnait le même menu, l’immuable entrée-plat-fromage-dessert, gastronomique pour eux et facile à servir. J’ai dit à Gilles, mon autre serveur, donne-leur la bière et le vin tout de suite, ça les fera patienter. Nous avions régulièrement des retraités Belges, Allemands ou Hollandais en cette saison. Ils n’étaient pas des gens à faire des histoires, sitôt qu’ils avaient de la bière et du vin pour patienter.
Finalement, il s’est décidé assez vite pour la suite du pigeonnier, celle qui donne sur la rivière en contrebas et, au-delà des coteaux plantés de vigne, sur le couchant. La salle de bains est en bois et en faïence de la région, le salon est pourvu d’un grand canapé et ses deux fauteuils en cuir, ainsi que d’un bureau qui regarde une fenêtre plongeant sur les collines. La chambre, je l’ai décorée moi-même, dans les tissus jaunes et bleus de ma Provence natale.
– C’est bien, c’est très bien, a-t-il dit en admirant le soleil qui affleurait les collines. Vous faites des conditions à la semaine ?
– Bien sûr, j’ai dit en lui annonçant un prix inférieur au forfait normal.
J’avais donné le tarif d’une des chambres doubles qui donnent sur la piscine. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, mais je voulais que cet homme reste un peu. J’en avais ma claque des Allemands d’avant-saison ou des couples de petits vieux en voyage répété de noces, qui veulent à tout prix vous attendrir sur leur admirable passé commun. Il a dit d’accord, ça ne paraît pas trop cher, je crois bien que je vais rester une semaine. Il parlait en vous regardant au fond des yeux avec bienveillance, sûr de lui, j’ai pensé qu’il avait les rides des gens qui sourient beaucoup.
– Je gare ma voiture, j’ai vu que vous aviez un garage n’est-ce pas ? Vous n’avez qu’à m’envoyer quelqu’un pour les bagages.
– Ce sera moi, j’ai dit en riant.
Je lui ai proposé de monter ses bagages et il a répondu vous n’y pensez pas. Mais comme il n’y avait que moi, il a quand même demandé que je l’aide pour sa malle, il se débrouillerait avec le reste.
L’Auberge compte quelques places de parking en sous-sol, réservées aux clients des suites. C’est là que je l’ai guidé après m’être assurée que Gilles s’arrangeait des Allemands et qu’aucune de mes deux paires de tourtereaux en retraite n’était encore apparue. Sa voiture était un vieux modèle Mercedes immatriculé à Paris, noire, très longue et très propre, avec des sièges en cuir râpé. Nous avons sorti du coffre une malle aussi lourde que si elle contenait un cadavre. Je ne sais pas pourquoi une idée pareille m’est venue à l’esprit, mais cet homme affable et bien élevé était étrange et tout ce qui l’entourait l’était aussi.
– C’est lourd n’est-ce pas ? Vous croyez que ça ira ?
– Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude. Un de mes employés est malheureusement malade, une fois de plus.
– A deux c’est plus facile, a-t-il dit dans l’étroit escalier du pigeonnier en prenant tout le poids de la malle sur ses épaules.
En redescendant de sa chambre, j’ai vu que les deux couples s’étaient timidement réunis au bord de la piscine et que les Allemands avaient terminé le magret-pommes-sautées-salade de leur formule tout compris. Je me suis occupée des couples et les ai incités à rapprocher leurs tables. Cela arrive fréquemment après un ou deux jours d’observation pacifique dans la salle à manger. C’est à la maîtresse de maison de provoquer ce genre de choses : j’agissais conformément aux enseignements de Maman. Si tout se passait normalement, ils décideraient le lendemain de pousser ensemble jusqu’à Aix ou Avignon, et sans doute seraient-ils inséparables les jours suivants. Je les ai installés, j’ai pris leur commande, assez satisfaite de leur avoir vendu un vin plus cher que la carafe de rosé de Provence habituelle. Je me suis demandée si Bastien était rentré et s’il avait mangé. Là, je l’ai vu qui attendait sans impatience à la réception. Il souriait :
– J’ai faim, a-t-il dit, est-il possible de dîner ?
– Bien sûr, installez-vous où vous voulez. Vous prendrez la demi-pension peut-être ? ai-je demandé en précisant que c’était uniquement pour le dîner, on ne propose à déjeuner qu’en haute saison, des salades et des grillades autour de la piscine.
Il a regardé la salle de restaurant, qui n’est pas immense mais assez charmante dans ses thèmes provençaux, il a souri aux Allemands qui levaient leur vin au chèvre-camembert, son regard a frôlé le jabot un peu ridicule du chemisier que je mets pour servir en salle, puis l’étiquette du vin que j’apportais à mon quarteron de retraités et il a déclaré :
– Tout ça me paraît très bien, je vais prendre la demi-pension, je vous réglerai tout à l’heure.
– Oh, ça peut attendre.
On pouvait certainement tout penser de cet homme-là, mais j’étais sûre qu’il était honnête. Bien que je ne le fasse qu’en pleine saison quand j’ai du personnel, je l’ai servi en terrasse, il fait si bon a-t-il dit. Il a dîné simplement d’une salade et de fromage, il a pris une bouteille de bon vin sans que je lui force la main, en me priant de garder le reste pour le lendemain puisque, a-t-il dit en riant, il était là pour une semaine. Il a terminé sans hâte un fromage blanc de l’Ardèche à la confiture d’abricots maison – il m’a longuement complimentée sur ma confiture, il n’en avait jamais mangé de meilleure. Pour finir, il est resté un moment à boire du café et à fumer en regardant le soleil qui se couchait sur les vignobles. L’Auberge est réputée pour sa vue et son confort, ainsi que pour son calme. C’est idiot, mais j’étais contente qu’il fume. J’ai essayé plusieurs fois d’arrêter, mais les soucis m’ont toujours empêchée de sortir victorieuse de ces combats perdus d’avance. Pareil avec les kilos, je ne les perds plus.
Quand le jour est tombé, et la fraîcheur avec, il est rentré et a proposé de me régler. J’ai demandé sa carte bancaire, mais il a sorti une liasse de billets flambants neufs et m’a payé d’avance six nuits en demi-pension. Il a dû fournir une pièce d’identité, ce qui est la loi quand les gens paient en espèces, à la suite de quoi j’ai relevé dans mon registre les renseignements collectés dans un passeport suisse au nom de monsieur Laurent Nerfin, quarante-six ans, né à Lausanne, un mètre quatre-vingt-cinq, cheveux châtains, yeux noirs, sans signe distinctif,

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