Autour d’un verre
96 pages
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Autour d’un verre , livre ebook

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Description

Autour d’un verre est un recueil de dix-sept nouvelles à siroter sans modération. Chacune d’entre elles vous propose un verre différent, capte les arômes d’un instant de vie, de partage, de prise de conscience. Elles ouvrent aux émotions et révèlent les liens profonds entre les êtres. Le soldat Peyrac et sa femme, Rose et le serveur Antoine, les ex-collègues Jacques et Camille, Sylvie et ses jeunes, David et son pot de départ ou bien tout autre personnage de ces nouvelles vous offriront quelques grappes de vie à savourer. Très bonne dégustation !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 mai 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414049172
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-04915-8

© Edilivre, 2017
Exergue

Aux amoureux de la vie, et de ses terrasses,
Quelques nouvelles à lire autour d’un verre.
« Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire. »
Apollinaire – Alcools 1913
L’eau de feu
Il s’assied, sans un mot, les yeux rivés sur l’enveloppe blanche que Marcel, son facteur et ami d’enfance, vient de lui remettre.
– Tu l’ouvres, ta lettre ? lui demande sa femme. C’est-y des bonnes nouvelles ?
– Pas sûr que je l’ouvre. Elle est bien trop blanche pour être honnête, celle-là ! Elle vient d’l’état.
Elle arrête sa vaisselle, s’essuie les mains sur son tablier et tente de le rassurer :
– D’l’état ? C’est p’t’être quand même une bonne nouvelle ! Allez, ouv’la donc !
Il hausse les épaules. Les courriers comme celui-ci, il s’en méfie comme de la grêle.
– J’t’dis qu’elle est bien trop blanche pour être honnête, c’t’enveloppe !
– La guerre est finie, t’as pas à t’inquiéter. Ouv’la donc, je t’dis.
Il sort son canif de la poche et fend l’enveloppe d’un coup sec. Il sort une feuille toute aussi blanche, la déplie et parcourt les quelques lignes ampoulées de politesse érudite.
– Alors ? Elle t’dit quoi la France ?
– Elle m’dit que je suis médaillé.
– Quoi ? T’es médaillé ?
– Oui.
– Ben en v’là une bonne nouvelle !
Elle s’enthousiasme, le félicite, mais il ne l’entend plus. Il n’est plus là, dans leur petite maison en granit. Il n’est plus avec celle qu’il a laissée quatre longues années se débrouiller seule à la ferme, enceinte de leur deuxième enfant, ce petit bout de fils qui est aujourd’hui aussi grand que le tas de pommes à cidre dans la cour. Et son aîné qu’il a retrouvé si changé, seulement sept bougies et déjà un caractère endurci de chef de famille. Un père, deux fils, trois étrangers. La France avait décidé qu’il avait mieux à faire que d’être père. Il lui fallait aller à la guerre protéger la patrie comme sa mère. Et sa femme, la mère de ses enfants, qui l’avait protégée pendant ce temps ?
Alors que l’État le remercie pour ses états de service, le tablier de sa femme s’évapore, il est à Verdun, prisonnier du passé, une fois encore. Le cou le démange, comme là-bas. Cette démangeaison qu’il ressent à chaque fois qu’il repart vers son enfer, née du manque d’eau, de savon, d’hygiène la plus élémentaire. La puanteur lui revient à plein nez. Cette terrible odeur de sueur, de peur, de souffre et d’âmes soufflées. Ses jambes le démangent d’attente interminable dans l’humidité de la glaise des tranchées.
Entre les détonations, on l’appelle :
– Peyrac !
Il se redresse, il reconnaît cette voix. Il prend ses affaires, se fraie un passage entre les godasses, les corps, les paquetages, les gourdes vides. Il se concentre pour ne pas glisser dans la bouillasse qu’il abhorre.
– Peyrac, j’ai un message à transmettre en urgence.
Son supérieur ouvre une bouteille de gnole et lui tend un godet.
– Bois ! Ça te donnera du courage !
Comme il court vite, Peyrac a été nommé messager en place du soldat précédent, subitement éteint par une pluie d’obus. Sans un mot, il boit le verre indispensable au bon accomplissement de sa mission. Il en demande un autre. Son supérieur lui sert une nouvelle rasade en soupirant et finit par lui tendre la bouteille.
À la maison, il ne buvait que des bolées de cidre. Alors, au tout début, l’alcool fort lui avait arraché la bouche, brûlé le gosier. Il en toussait, ses yeux pleuraient. Mais comme par miracle, il anesthésiait sa peur de mourir, le danger qu’il encourait s’allégeait. Il pouvait courir de tranchée en tranchée sous les grêlons des balles. Elles ne le touchaient pas et ne l’effrayaient plus vraiment. « C’est la chance du débutant ! » s’exclamaient quelques soldats. « Un jour, une balle te trouera la peau ! » lui prédisaient-ils. Peyrac n’avait pas d’autre choix. Puisque les désertions aussi trouaient la peau, autant se faire trouer avec honneur.
Très vite, un verre n’avait plus suffi. Il lui en fallait un deuxième, puis un troisième. Et encore un autre. À la fin de la guerre, il buvait directement au goulot. Il perdait conscience de la réalité, courait moins vite, titubait parfois, mais jamais ne refusait la moindre missive. Apprécié pour sa grande bravoure, il rendait service à la France, tandis que s’échinait sa femme dans les champs pour nourrir leurs enfants, le ventre noué d’inquiétude pour lui.
Et puis un jour, il était rentré à la maison, si différent du grand homme blond aux yeux amoureux qui avait rassuré sa femme en montant dans le train. « Tu verras, y en aura pas pour longtemps, j’reviens très vite, sois courageuse. » Décharné, taiseux, son sourire n’était plus que rictus, son regard fuyait les yeux de ses enfants. Hanté par des horreurs, il préférait ne rien dire que d’empoisonner sa femme et ses petits étrangers de fils. Et puis ses mains tremblaient. Elles voulaient un verre. Tout de suite. Juste un pour calmer la violence de son passé dans les tranchées.
Le cou le démange, ses mains tremblent de nouveau et le ramènent au temps présent. Là, assis sur sa chaise dans la cuisine, il tient en ses mains une lettre blanche et tamponnée dont il ne sait que faire. Le claquement du bois dans le foyer et le fumet de la potée qui mijote sur le fourneau à bois finissent de le rappeler à la vie. Sa femme renifle, puis se mouche bruyamment. Ses yeux coulent dès que ceux de son homme s’éteignent. Elle ne s’y habituera jamais.
– Faut que j’y aille ! lui dit-il d’un ton bourru.
– Non ! Rest’avec moi. Parl’donc ! C’est-y pas une bonne nouvelle c’te médaille ? J’suis si fière de toi !
– Faut aller la chercher à Paris. Avec quoi qu’on paiera le train ? Hein ? Ils sont même pas foutus de m’l’apporter.
– On va s’arranger, on trouvera de quoi payer le billet.
– Tout de façon, j’en veux pas d’leur médaille !
La lettre en main, il se lève vers la porte. Elle lui crie :
– T’as raison ! Vas-y, fuis ! Va donc te saouler avec les autres ! J’en veux pas non plus de ta médaille ! Je m’en fous des médailles, moi j’veux retrouver mon mari. Pas toi ! Celui que t’étais avant la guerre !
Il remonte le chemin poussiéreux jusqu’au premier bar du village. Lorsqu’il entre, il brandit victorieusement sa feuille et s’écrie :
– Tournée générale !
La lettre passe de main en main, il est fêté, félicité, nommé « le héros du bourg et de la France ». Les langues se délient et chacun y va bruyamment de ses souvenirs tout frais des champs de bataille.
Dès la troisième gorgée de son premier verre, Peyrac aperçoit derrière la vitrine du bar sa femme et ses fils. Ils se tiennent la main, le contemplent, l’attendent. À les voir ainsi, quelque chose en lui se réveille ; il se sent piteux, moche. Il quitte le comptoir et ses comparses bruyants et enjoués, traverse la salle et sort du café pour enlacer sa femme.
– Rentrons à la maison. On y arrivera, tu verras, lui chuchote-t-elle.
Peyrac acquiesce, pose son plus jeune fils sur ses épaules :
– Rentrons à la maison, on y arrivera, oui, vous verrez les garçons !
– Menteur ! rétorque son aîné au regard frondeur.
À lui, on ne la lui joue pas.
Flûte et re-flûte !
Mon passe-temps dominical ? Écouter le brouhaha des clients attablés en savourant du champagne. Un pur délice ! La vie y pétille. Une exclamation éclate par ci, un verbe surgit par là. Les phrases et les mots se croisent, s’enlacent à la musique d’ambiance, s’entrechoquent au cliquetis des couverts. Les bruits du restaurant s’embrassent en un élégant bourdonnement. Je m’amuse à percer les blancs d’une conversation téléphonique, à interpréter les regards et sourires. Je devine les reproches silencieux. Tamiser le brouhaha de mon restaurant préféré me fait oublier que je suis seule à table.
Dieu que le service est long aujourd’hui ! Antoine, mon serveur préféré, virevolte d’une table nappée à une autre, le sourire constant et la démarche souple. Très occupé, m’aurait-il oublié ? Comment lui en vouloir ? Lui si prévenant habituellement ! Le restaurant est complet ce midi. Je patiente. Il finira bien par m’apporter ma flûte. Il griffonne les commandes qu’il confie aussitôt au bon soin du chef, passe par le bar, pose sur la paume de sa main un large plateau rempli de verres multicolores et les sert aussitôt. Il prend le temps d’expliquer le plat du jour alléchant à deux nouveaux clients, puis retourne en cuisine. Il lance un rapide coup d’œil vers ma table. Il m’a vue ; je suis rassurée, mon apéritif sera bientôt servi.
Au fil du service, il surgit en pleine intimité d’un couple aux doigts enlacés. Le charme du tête-à-tête se rompt comme du pain sec. Il s’en excuse et sert les assiettes en énonçant les plats. Les mains amoureuses se refroidissent au contact des couverts en argent. Parfois, il sauve d’une plaisanterie l’ambiance d’un duo coincé à table, un couple venu, non pas pour déguster les plats, mais pour essayer d’extraire l’arête de poisson plantée dans leurs cœurs.
Depuis la disparition de mon Auguste, il y a trois ans passés, Antoine ne manque jamais de venir à ma rencontre dès l’arrivée de mon taxi. Gentleman, il m’ouvre la porte de la voiture, me protège de la pluie si besoin. Il me prend par le bras, nous montons ensemble le couple de marches menant à l’accueil. Il s’enquiert de mes nouvelles qu’il pimente d’une plaisanterie bien sentie, comme celle de dimanche dernier, alors que je rentrais du Maroc :
– Bien joli manteau ! Serait-ce du poil de chameau ?
– Je vois que vous êtes fin connaisseur, Antoine !
– Je vous ai réservé notre table la mieux située, la plus proche des toilettes, annonçait-il solennellement.
– C’est effectivement la meilleure table pour une personne de mon gr

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