Coin pour dormir
120 pages
Français

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Coin pour dormir , livre ebook

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Description

«?Qu'est-ce qu'il foutait là, si jeune ? Oui, il m'a touché, il a fait resurgir en moi de vieilles blessures. Mais je n'ai pas envie d'en parler. Je suis revenu au parc, plusieurs jours. Il y était toujours avec son visage lisse. Je ne l'ai pas approché, je voulais juste vérifier qu'il était vivant. Et puis, un jour, il m'a fait un signe. Il a levé la main comme pour me dire bonjour. Je me suis avancé, je me suis assis près de lui sur le banc, et on est resté, côte à côte, un long moment sans rien dire. Je crois que ma présence lui faisait du bien, et à moi aussi.?» Quand la trajectoire d'un SDF prénommé Julio croise celle d'un jeune qui semble aussi vivre dans la rue, c'est plus qu'une simple camaraderie entre exclus qui se met en place. C'est, pas à pas, une amitié entre deux êtres à la marge qui se joue. Patiemment, Julio et Pablo vont ainsi s'apprivoiser, dévoiler leurs fêlures et, appuyés l'un contre l'autre, commencer à relever la tête et rompre avec un horizon de perdition. Roman tout en finesse, qui ne brusque jamais ses personnages mais les laisse peu à peu révéler leurs failles et leurs sentiments, Coin pour dormir est une œuvre au mouvement auroral, qui fait imperceptiblement mais inexorablement se redresser deux hommes qui renouent avec l'espérance... Qui paraissent même revenir au monde.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 mars 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342034905
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Coin pour dormir
Gérard Jimenez
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Coin pour dormir
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
 
Retrouvez l’auteur sur son site Internet :
http://gerard-jimenez.com
 
 
 
À Martine.
 
 
 
 
 
 
Le vent souffle à écraser un mammouth contre un mur. La rue est vide de gens et de bruit. Pas une voiture qui passe, il est trois heures du matin ou plus, je n’ai pas de montre et plus de téléphone. Je n’ai plus rien, que moi, cette personne que je ne supporte plus. Il fait froid, ce n’est rien de l’écrire, c’est plus que ça, plus que ces mots, c’est comme des lances qui s’enfoncent dans ma chair, je les sens, elles me pénètrent, glaciales et empoisonnées.
Tiens, je pense à ces reportages sur l’Afrique, à ces tribus qui dansent nues dans la chaleur, en brandissant fièrement leurs armes précaires. Pourquoi je ne suis pas né là-bas ?
Je n’aurais pas froid en ce moment, je ne serais pas dans la rue, seul, je n’aurais pas connu toutes ces galères.
Là-bas, il n’y a pas de rue comme celle-là.
Je cherche un coin pour dormir, voilà c’est comme cela qu’on aurait dû nous appeler, des CPD, « coin pour dormir » au lieu de SDF. J’ai sommeil, je n’en peux plus de sommeil. Avant, il y a, je ne sais même plus combien de temps, je traînais le soir, je n’arrivais pas à me coucher. J’avais besoin de ces moments de solitude, pour faire retomber la pression de la journée. Je me scotchais devant la télé, jusqu’à ce que ma tête soit vide.
Maintenant, je ne fais que ça, dormir, dormir, dormir. Je ne m’appartiens plus, je n’existe plus, ni pour les autres, ni pour moi. Je ne comprends pas pourquoi je fais tant d’effort pour continuer à vivre, qu’elle est cette force qui me pousse, cette envie d’être en vie, où est-ce que cela me mène ? Il n’y a plus de cap, plus de voile, plus de mer, je suis échoué. Et j’avance encore ? Ah oui, je marche pour trouver un coin, un coin pour dormir. C’est ça ma vie, chercher, toujours chercher, à boire, à manger, à dormir, à me protéger du froid. Il n’y a encore pas très longtemps, je cherchais aussi des regards de compassion, des sourires de réconforts, c’était un besoin et un jeu. Maintenant je ne joue plus, je vais à l’essentiel, parce que maintenant c’est ma survie qui est en jeu. J’ai perdu d’ailleurs la sensation du jeu, et de tout ce qui est superficiel. C’est pire qu’un animal, je crois.
La nuit, c’est terrible à cause des températures qui descendent, mais au moins je suis tranquille, personne ne me regarde, personne ne m’interpelle, et je n’ai pas besoin de faire semblant d’être bien.
Non, je n’ai pas honte de moi, de ma crasse, de ma puanteur, de ma dégaine minable… De minable. Je ne veux plus rien de vous, les propres, les parfumés, les pressés, pas de larmes, pas d’aide, surtout pas d’aide, je suis assez grand pour me débrouiller tout seul. Foutez-moi la paix ! Passez votre chemin. Je vous donnerai le droit de vous arrêter le jour où vous sentirez la crasse, le jour où vous vous sentirez minable, ce jour-là peut être, on pourra discuter et se comprendre.
Putain, il fait froid.
* * *
Encore une journée, une journée à survivre. Comme d’habitude, j’ai dormi en pointillé, des petits roupillons courts.
Le matin, il faut être au boulot tôt, avant que les poubelles passent, sinon il n’y a plus rien à gratter. J’avoue qu’on y trouve des bonnes choses à manger. Jamais auparavant, je n’aurais imaginé autant de gaspillage des gens. Moi aussi sans doute, je faisais pareil.
Au début, je me souviens, ça me dégoûtait, je puisais du bout des doigts et même parfois ça me faisait vomir. Maintenant je plonge la tête dans le container, je fouille, je trie, et ça ne me fait plus rien. Comme quoi, on s’habitue à tout ! C’est surtout la faim qui commande.
Cette horrible faim qui vous tord, qui vous frappe à grand coup de poing, qui vous hurle dans les oreilles : « tu vas crever ! ». Heureusement qu’elle est là cette douleur, pour vous empêcher de lâcher la vie.
Et alors tu marches, de poubelle en poubelle, et dans ta tête tu lui réponds : « j’y vais, j’y vais, non je ne vais pas crever, non je ne vais pas te laisser me faire souffrir… ».
Je ne suis pas seul au monde à avoir faim, je me le dis tous les jours. Ça me console, un peu, mais ça n’enlève pas la douleur.
Cette nuit, je me suis demandé quel âge j’avais. J’ignore pourquoi je me suis fixé cette idée en tête. Je ne sais plus, j’ai l’âge sans doute où on accélère sa vie, parce qu’on a peur de ne pas tout finir. L’âge où on a trié ses désirs, ses envies, ses besoins, il ne reste que les plus grands, les plus importants. Et on se dit que ceux-là, on ne les lâchera pas, non, on va s’y accrocher, pas de concession, ce ne seront pas que des rêves flous.
Ça doit être ça mon âge. Va savoir.
De toute façon, moi, maintenant, là dans mon coin à chercher le sommeil, qu’est-ce qu’il me reste ? Rien. Ce mot, est si petit, pourtant il représente un vide immense, un gouffre sans fond, un ciel infini sans étoiles, un désert à perte de vue. Il fait peur, au début oui, et puis après, on s’en contente. On tourne dedans, dedans ce rien, on tourne en spirale, et on finit par se retrouver au centre, perdu, complètement perdu, à se demander ce que l’on fout là, puis à plus rien se demander.
Alors l’âge que j’ai, je m’en balance !
Je n’ai plus d’horizon, je ne sais même plus ce que c’est.
Stop je vous laisse, j’en vois un qui traîne autour de ma poubelle. Oui c’est ma poubelle, elle ne m’appartient pas, je n’ai pas de papier qui le certifie, mais c’est la mienne, pas touche.
C’est bon, il a compris, il me la laisse. Parfois il faut se battre pour défendre son « garde-manger », c’est comme dans l’autre vie finalement. Moi j’ai horreur de la violence, mais j’ai appris quand même, c’est une question de survie.
Poubelle, avant, rien que le mot me dégoûtait. Si je l’effleurais à peine, je courrais me laver, me désinfecter, me débarrasser de tous ces microbes que j’imaginais collés sur moi. Beurk ! Aujourd’hui, je l’aime presque cet objet, et plus il est plein, et dégoulinant, et plus je jubile. Ça va en débecter plus d’un de le lire. C’est sûrement étrange, mais je le comprends encore que cela puisse vous écœurer. Des vieilles sensations qui persistent certainement.
Oui mon horizon est bouché, licencié de la société, éjecté, remercié, non même pas, viré, dégagé… Et je pourrais en dire encore et encore des adjectifs piteux. Tiens c’est exactement ce que je suis devenu, piteux. Je ris en le prononçant. Piteux, piteux, piteux. Finalement si on le répète longtemps, il ne veut plus rien dire, on s’habitue au mot et sa signification s’évapore. C’est comme ma vie, elle se répète jour après jour, et toujours les mêmes gestes, et toujours les mêmes angoisses, elle s’évapore aussi. Ma conscience s’éteint, petit à petit. L’inconscience me guide, à force de faire toujours la même chose. Un retour à l’instinct !
Et la joie là-dedans ?
Attentez, il faut que je réfléchisse… Un peu… Beaucoup… À la folie…
Je crois qu’il n’y a plus de pétales à enlever.
Bon, n’exagérons rien, on se marre quand même de temps en temps entre collègues.
On rit d’un rien, pour s’entretenir, pour ne pas oublier ce que c’est que le rire.
On passe pour des fous dans ces moments-là, les gens n’osent plus nous regarder. C’est vrai que la folie s’attrape ! C’est quand même mieux que la grippe aviaire !
Putain, on est dans notre bulle, comme des adolescents, à part que nous, on ne le fait pas pour se faire remarquer, non, on se moque de tout et de tout le monde. C’est une espèce de naïveté tardive… Oui j’avoue, j’adore ces moments-là.
J’ai froid, j’ai froid, c’est monstrueux. Je n’arrive plus à écrire. Au fait ça vous étonne, qu’un type comme moi, enfin je veux dire dans cette situation, puisse écrire. Eh oh ! Ce n’est pas un privilège de riche, que je sache ?
Vous avez remarqué, comme je m’applique, à bien tourner les phrases, à bien mettre les ponctuations, à ne pas oublier les négations. À faire les choses, je l’ai toujours dit, autant les faire bien. Bien sûr dans la rue, on ne parle pas ainsi !
D’ailleurs, pour tout vous dire, on ne parle pas beaucoup. Ce sont les sujets qui nous font défaut. Forcément, on n’a pas la télé, très peu de journaux et surtout, c’est l’envie qui nous manque. L’envie de parler de l’autre vie, celle des autres, sur l’autre planète. Sur la nôtre, il n’y a pas grand-chose à dire.
Le cahier sur lequel je grattouille ces quelques mots, je l’ai ramassé au pied d’un container. En fait j’ai trouvé un cartable, c’était mon jour de chance. Dedans il y avait, le cahier et une dizaine de stylos. Je vous l’ai dit, les gens jettent n’importe quoi. Il faut voir ce qu’on récupère.
On ramasse des tas de trucs, pour s’occuper un peu, et puis on remet tout à la poubelle, parce qu’on en n’a pas besoin, et qu’on n’a pas de local pour les stocker, à part nos poches, mais elles sont pleines. Pardon, je ris tout seul ! J’ai mal, parce que j’ai les lèvres gercées, et là, je vous assure, ce n’est pas une blague.
La rue s’anime, j’ai fait un bon déjeuner, je ne vous dis pas quoi, vous ne pourriez pas comprendre.
Ce n’était pas avec des croissants aujourd’hui, mais ça m’arrive. Ces jours-là, je vais au petit bar d’en face, on dit toujours le petit bar d’en face, alors je précise, en face mon c

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