LE REMEDE
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Description

Après la mort de ses parents et de son frère, le protagoniste quitte le village pour aller vivre en ville, chez sa tante. Son cousin Siméon, victime des troubles somatiques depuis sa naissance, n’ignore pas quand pourrait s’arrêter sa vie, mais ne cède pasnon plus à la pression de ses orages extérieurs. Grâce au « remède », il transcende les soucis de la vie et convertit son cousin, l’orphelin, autrefois assujetti par le poids de l’existence.

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Date de parution 01 janvier 2023
Nombre de lectures 37
Langue Français

Extrait

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uand j’étais tout petit, mes parents et moi Q habitions une maison de campagne au bout d’une ruelle. Le chemin y menant était sinueux, mais large et parsemé de eurs et d’herbes sauvages. Notre petit village se situe au fond d’une vallée, au pied de trois longues montagnes au sommet desquelles on peut admirer la beauté de son paysage. Ma mère avait coutume de se réveiller tôt, avant même le premier chant du coq, pour s’occuper des tâches ménagères puis aller puiser de l’eau à la rivière, y laver la vaisselle et faire la lessive. C’était une routine, pour elle comme pour toute autre femme du village. À notre réveil, le petit déjeuner était prêt sur la table : du thé avec de la patate douce bouillie et des cacahuètes grillées, parfois des tranches de manioc bouillies avec un peu de sel et de l’avocat ou encore de la bouillie préparée avec la farine de maïs, de sorgho, de blé ou de soja, en plus des beignets de maïs dont ma mère maîtrisait la cuisson. Je me sentais bien aux côtés de mes parents qui semblaient ne vivre que pour moi. Nous passions une bonne partie de la soirée autour du feu avant de rejoindre la case pour dormir. La nuit, mes parents restaient dans ma chambre pour
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me chanter des berceuses jusqu’à ce que le sommeil m’envahisse complètement. Je ne pouvais pas fermer l’œil sans leur présence, car j’avais peur des cris des oiseaux nocturnes perchés sur les gigantesques arbres qui entouraient notre maison. Ma peur était inspirée du conte de l’oiseau voleur d’enfants que nous disaient souvent les aînés. Notre petite famille ne vivait pas dans le luxe, mais se sufïsait à elle-même et ignorait complètement l’envers de la joie. Mes parents veillaient à ne pas me laisser seul à la maison. Mon père devait attendre le retour de ma mère, après toutes ses tâches, pour aller soit à la pêche, soit à la chasse ou à la cueillette. Quand il revenait de la forêt, il ne manquait pas de me rapporter quelque chose. De son petit sac en raphia, sortaient des fruits bien juteux ; des mangues, des papayes ou encore des bananes que je dévorais. Je passais la journée toujours à côté de l’un de mes parents ; il était strictement interdit aux enfants non-initiés de se balader loin du village, seuls ou en groupe. Les parents y veillaient. L’initiation était le moment le plus attendu. Les enfants âgés de treize ans allaient alors dans la forêt, loin des habitations et des domaines agricoles. Ils
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y étaient conduits séparément par des guides, les yeux bandés pour qu’ils ne voient pas le chemin emprunté, alors qu’ils étaient censés y retourner après les épreuves. « C’est une façon d’éprouver leur intuition. Quel que soit le cas, un initié n’oublie jamais le chemin menant chez lui », m’expliqua mon père. Les initiés devaient s’y soumettre. Ils n’apportaient ni à manger ni à boire, et vivaient pendant trois mois en bravant les différents dangers de la forêt. Chasser, pêcher ou cueillir étaient les seules activités pour pouvoir manger. Avant d’aller dans la forêt, ils apprenaient quelques techniques de défense pour faire face aux attaques d’animaux féroces. Les guides leur montraient comment tenir la lance, viser avec précision et esquiver une attaque ; ils leur apprenaient à allumer le feu en frottant les pierres les unes contre les autres ; ils les exerçaient à grimper aux arbres, à nager, à tendre les pièges, et aussi à construire des habitations pour le campement puisque l’initiation avait lieu pendant la saison pluvieuse. Les ïlles, quant à elles, apprenaient à devenir des femmes. Les vieilles du village leur apprenaient
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à tenir un foyer, à prendre soin de l’époux et à se préparer à devenir mère. Au village, la jeune ïlle pouvait être conïée à l’homme à titre d’épouse dès ses quatorze ans. Comme tout enfant de mon âge, j’avais hâte. Je nourrissais le rêve d’aller me laver seul à la rivière et cueillir des fruits dans la forêt. Rarement, ma mère me permettait de jouer avec les enfants de nos voisins qui avaient presque mon âge. Nous jouions à cache-cache, autour des maisons. Le soir, après le repas, ma mère me lavait dans une bassine ovale en plastique remplie d’eau tiède. Elle m’y plongeait et frottait ma peau avec ses paumes après m’avoir savonné. Pendant le bain, je prenais plaisir à battre des mains dans l’eau. Ma mère me mettait d’autres habits plus propres que ceux avec lesquels je jouais à longueur de journée. Notre petit foyer vivait dans une belle ambiance jusqu’à ce que le destin nous montre sa face cachée. Mes parents croyaient fermement que la naissance d’un enfant était un signe de bénédiction. Ils avaient donc pris l’initiative d’agrandir notre petite famille en y ajoutant un nouveau membre. Ma mère tomba enceinte alors que j’avais huit ans. Je me souviens
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encore du jour où mon père m’annonça que j’allais devenir grand frère. Ce fut un soir de pleine lune, après le repas. Comme d’habitude, nous traînions dehors, autour du feu, avant de rejoindre la maison pour dormir. Ma mère avait l’air très fatiguée et somnolait sur la chaise berçante confectionnée spécialement pour elle par mon père. Par peur de frustrer ce gamin capricieux que j’étais, mon père essaya de me sonder avec quelques questions, pour savoir si j’étais d’accord avec la perspective d’avoir un frère ou une sœur. — Mon ïls, sais-tu que ta mère et moi t’aimons beaucoup ?
— Oui papa, je le sais. — Nous savons bien, tous les deux, à quel point tu es heureux d’être notre ïls unique. — Non, papa, m’entendis-je répondre. Ce n’est pas mon souhait ! J’ai toujours rêvé d’avoir un frère ou une sœur, comme les autres. Vous savez, je suis le seul dans le voisinage à ne pas avoir de frère et de sœur ! — Ça alors ! s’esclaffa-t-il. Tu avais donc beaucoup à dire à ce sujet.
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Il eut une mine indéïnissable, et resta ïgé par l’étonnement et la joie de m’entendre dire que j’aimerais avoir un frère ou une sœur. — Je te comprends mon ïls, enchaîna-t-il. Je vais en parler avec ta mère et nous verrons comment vite réaliser ton rêve. En me parlant de vite réaliser mon rêve, je croyais pouvoir devenir grand frère le lendemain matin. J’ignorais alors que la nature ne pouvait modiïer une seule de ses lois pour me faire plaisir. Quelques jours après notre conversation, je commençai à me demander si mon père n’avait pas plaisanté. Cependant, plus le temps s’écoulait, plus l’apparence de ma mère changeait ; cela me disait clairement, malgré mon jeune âge, qu’elle était enceinte. Pendant toute cette période, aucune parole prononcée par mes parents ne pouvait me plaire autant que celle m’informant que j’allais devenir grand frère ; ce que j’admirais chez les autres et dont j’avais longuement rêvé. Un matin, des pleurs parvenant du salon me réveillèrent. Ma mère hurlait de douleur. Mon père entra dans ma chambre aïn de m’empêcher d’aller au salon. Quelques-unes de nos voisines étaient
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venues ; je pouvais les reconnaitre à leurs voix. J’étais pétriïé et déprimé en même temps, d’entendre pour la première fois ma mère pleurer. La peur et la tristesse m’avaient envahi : pourtant c’était le moment que j’attendais depuis plusieurs années. Ma mère accouchait. Ce matin-là, après tous les efforts que notre mère avait fournis pour donner la vie au nouveau-né que nous attendions impatiemment, il ne lui avait fallu que peu de minutes pour voir son visage. Elle mourut. Plusieurs mois plus tard, mon père et moi demeurions inconsolables. Nous étions déstabilisés en pensant au sort du nouveau-né qui nous était laissé, une de nos voisines, qui avait accouché la même semaine que notre mère, venait chez nous au moins six ou sept fois par jour pour allaiter notre bébé. Notre douleur s’intensiïa au bout d’une semaine lorsque le nouveau membre de notre famille décida de rejoindre notre mère, contrairement aux vœux que l’ensemble du village lui avait souhaités. Notre pauvre famille s’était réduite donc de quatre à deux personnes en moins d’un mois.
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Seul, mon père avait peiné pour prendre soin de moi. Il avait dû faire preuve d’amour vrai pour son ïls. Il était resté comme mon seul appui, et je passais chaque seconde avec la crainte de le perdre aussi. Je priais tous les jours pour que le bon Dieu lui prête longue vie. Quatre ans après la mort de mon petit frère, le jour de mon douzième anniversaire, mon père mourut d’un mal de ventre, en quelques minutes seulement. Cela en avait étonné plus d’un dans le village. Certains racontaient qu’il aurait injustement été empoisonné par le mari de notre voisine qui venait allaiter notre bébé, car celui-ci, jaloux, aurait estimé que mon père courtisait secrètement sa femme ; d’autres afïrmaient que mon père serait mort de l’absence de ma mère et de la disparition du bébé. Ils ajoutaient même qu’il se serait senti incapable d’assumer ses responsabilités de père, et aurait demandé aux ancêtres de lui ôter la vie. Ce qui me faisait aussi peur, était que ceux qui rééchissaient de la sorte pensaient que j’allais mourir moi aussi, car, étaient-ils convaincus, les ancêtres avaient décidé de retirer toute notre famille de la terre, aïn de nous offrir une vie heureuse
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de l’autre côté. Cependant, malgré ma réexion d’enfant, aucun de tous ces arguments ne me paraissait crédible. Je connaissais bien mon père ; je doutais qu’il ait pu tomber amoureux d’une femme mariée alors qu’il était accablé par le chagrin d’avoir très récemment perdu la sienne. Aussi, avec l’affection qu’il avait pour moi, je refusais qu’il ait pu lui-même implorer sa mort alors qu’il m’assurait de rester toujours présent pour prendre soin de moi. À mon avis, mon père était sûrement malade depuis un bon moment, mais il ne s’en apercevait pas à cause du manque d’établissement médical de qualité dans notre village.
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***** Après la mort de mon père, je quittai le village pour la ville, chez ma tante maternelle. Là, ce ne fut pas facile de m’adapter, moi qui avais vécu à la campagne depuis ma naissance. Je pensais à mon passé, surtout à la mort de mon père. J’avais l’impression de vivre entre deux mondes : le village et la ville, cet autre monde où les enfants vivent différemment. En ville, la vie des enfants était régie par des règles établies par les parents comme s’ils les décidaient d’un commun accord. Après l’école, chaque enfant était censé rester chez lui, soit devant ses notes, soit devant la télé, soit devant les jeux vidéo. La rencontre entre enfants n’avait lieu qu’une fois par semaine, pendant le week-end, à la piscine ou encore au stade, lors d’un match. Quand nous grandissions, il était difïcile de se faire des amis en dehors de l’école, car même pendant les vacances, beaucoup quittaient la ville, voire le pays. Pendant plus d’un an, je me demandais s’il n’y avait pas d’enfant dans notre voisinage. Je fus surpris de réaliser que plusieurs élèves de ma classe habitaient la même avenue que moi. Ce fut lorsque la mairie réhabilitait les artères de la ville. Le directeur était
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