Crématorium ou les grandeurs d’un tout petit monde
106 pages
Français

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Crématorium ou les grandeurs d’un tout petit monde , livre ebook

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Description

Crématorium ou les grandeurs d’un tout petit monde...
Dans ce crématorium bondé, trois générations d’universitaire sont réunies...
Cette courte narration dure le temps d’une cérémonie de crémation rythmée en symphonie par le Concerto n° 21 de Mozart. Loin de David Lodge, entre empathie et ironie, Yvan Lissorgues y évoque la dérive morale que subit l’université française d’aujourd’hui. Elle aussi contaminée, semble-t-il, par le néo-libéralisme ambiant, générateur d’un individualisme qui tend à s’affranchir de l’éthique traditionnelle de la vénérable institution, qui, accrochée à ses valeurs, résiste.
La même problématique est posée dans La deuxième mort du Professeur Ovo, conte pseudo-allégorique, faussement humoristique et donc avant tout ironique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 octobre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334013345
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-01332-1

© Edilivre, 2015
Dédicace


À Solange,
droite face au petit monde
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne peut être que fortuite.
Crématorium ou les grandeurs d’ un tout petit monde
Espressivo
Les légères premières notes du Concerto n°21 de Mozart envahirent avec une surprenante douceur l’espace de la salle du crématorium au moment même où s’ouvraient les deux battants de la trappe devant laquelle avait été placé le cercueil de bois blanc, qui, très lentement, au rythme de cet adagio musical, était implacablement aspiré par la bouche noire du four ensommeillé, tandis que se vidaient les têtes de la soixantaine de présents pour se remplir de l’effroi qui remontait le long des regards rivés sur cette caisse blanche qui s’enfonçait peu à peu dans le trou noir. Pour la première fois peut-être, les soixante monades réparties sur six rangées de bancs, étaient à l’unisson, enveloppées par les douces notes de Mozart. Le corps du Professeur Jérôme Dancer, dont la dernière lueur de conscience s’était éteinte trois jours avant, mardi, ce petit corps réduit par la maladie à sa plus triste expression, que chacun des présents imaginait figé dans la boîte de bois blanc, s’en allait lentement vers l’anéantissement. De l’éminent professeur, internationalement reconnu comme le grand spécialiste des Lumières en Espagne, Docteur Honoris Causa de l’Université d’Oviedo, titulaire de plusieurs médailles prestigieuses concédées par le Roi Don Juan Carlos pour honorer les apports exceptionnels de ses recherches, admiré et aimé par un petit nombre de ses collègues, redouté et envié et donc haï par le plus grand nombre, ne serait plus dans moins d’une d’heure qu’une poignée de cendres mêlées à celles du bois blanc de sa caisse. Tous, cependant, en cet instant, communiaient, sidérés, dans le silence absolu de leur pensée, avec dans la gorge la palpable sensation de cette impressionnante chose qu’était la mort, la Mort qui les attendait tous. Chacun se voyait, en fulgurance, à la place de leur malheureux collègue et, confusément, chacun se sentait heureux de ne pas s’y trouver. Lentement la trappe se referma. La symphonie devint plus rapide et plus sonore. Les notes valsaient dans un accelerando précipité marqué par de sourds coups de timbales quand éclata, au-delà de la cloison, le sinistre vrombissement du four qui commençait à dévorer la proie qui lui était offerte. Quand, un moment après, la musique se fit plus douce, les idées, anesthésiées par l’émotion, retrouvèrent leur place dans les têtes et recommencèrent à s’agiter.
Diminuendo
Assis tout au fond de la salle, Henri Guéro, en proie à une immense peine depuis l’annonce de la disparition de son maître, avait suivi avec effroi ces premiers instants de la crémation. Au cours de ses trente-quatre ans d’existence, il avait assisté à plusieurs enterrements douloureux, celui de sa grand-mère, celui de son grand-père et d’autres personnes plus ou moins proches, mais jamais il n’avait été témoin d’une crémation. Il était fortement impressionné et chez lui aussi la pensée s’était arrêtée pendant que le cercueil était aspiré et que son regard allait alternativement de la trappe ouverte à Marie-Laure, l’épouse de Dancer, et à leur fils Adrien, assis tous les deux au premier rang, près du Président de L’Université qui venait de reprendre sa place après avoir lu son texte d’hommage à Jérôme, dont lui il n’avait entendu que les derniers mots où il était question du Concerto n° 21 de Mozart.
Arrivé bien avant dix heures, il avait attendu dehors qu’elle arrive, saluant les personnes connues, des collègues principalement et, chaque fois plus nerveux, il était rentré pour déposer sa parka sur l’espace correspondant à deux places. Quand le Président s’avança vers le pupitre, il ne put s’empêcher de ressortir et, inquiet, il fit quelques mètres dans l’allée, espérant voir arriver la Clio de Kathie. Il rentra, nerveux, soucieux, gêné. Quand le Concerto sembla pousser doucement le cercueil blanc, il était à sa place et il oublia tout.
Il ne pensait plus.
Il subissait quelques images qui voletaient dans sa mémoire hors de tout contrôle volontaire, comme celles qui lui restaient des agréables invitations à dîner dans la maison des Dancer, située à l’autre bout de la ville de Garona, dans la banlieue Nord, quand Marie-Laure, en tablier à fleurs, apportait de la cuisine un plat fumant et odorant… Il se voyait, face à Jérôme, dans ce bureau rempli de livres, écoutant sagement une explication sur la réforme agraire de Jovellanos, ou discutant avec lui de la position de Feijoo face aux miracles ou répondant à ses questions sur Pérez Galdós, Clarín, Pereda… Il retrouvait la sensation du bon café qu’ils savouraient, assis tous les trois dans le petit salon chaudement éclairé par l’insert dont la pâle lueur semblait en harmonie avec une douce musique de fond, toujours la même, tandis que Marie-Laure parlait de ses collègues de Lettres Modernes, de ses étudiants, de leur fils Adrien, prof d’Anglais dans la Région Centre, ou de tout autre chose. Elle lui demandait de raconter son expérience d’instituteur, de parler de son village, de ses parents, elle aimait aussi le taquiner : « J’espère, Henri, que vous allez incessamment nous présenter une de vos fiancées. Un beau garçon comme vous doit en avoir des tas »… Un soir triste de novembre, Marie-Laure s’avançait vers eux quand ils avaient passé la grille du tout petit jardin : « Marie-Laure, je vous présente Catherine, Katie, Maître-de-Conférences chez nous depuis un mois, spécialiste de Cernuda et de la poésie espagnole contemporaine », « Je suis très heureuse, Kathie, de vous embrasser. Vous êtes jeune et belle et vous venez de Normale Sup, m’a dit Jérôme. Notre Henri a bien de la chance ! »… Un soir, il pleuvait, « Jérôme est couché, il est bien fatigué. Je suis inquiète, vous savez, il a beaucoup maigri, mais il va descendre pour le dîner, il est si heureux de bavarder avec vous »… Il le voyait avançant avec lui dans le couloir de la Fac, lui prenant tout d’un coup le bras pour accentuer un propos… Il entendait la voix irritée de son professeur qui s’en prenait à la mesquinerie de tel ou tel collègue, en pleine réunion dans la grande salle du Conseil. Les images n’arrêtaient pas de défiler… et les idées, peu à peu, se dégageaient, par bribes, de l’émotion. Marie-Laure parlait beaucoup et vite, alors que Jérôme, lui, en général était bien plus pondéré, mais quand il était malade, il devenait volubile… Il l’appelait Jérôme et il le tutoyait depuis qu’il avait obtenu, fortement appuyé par lui, son poste de Maître-de-Conférences. Il n’était pas encore pleinement un ami de la famille, mais avec le temps il le serait certainement devenu si son maître n’avait pas disparu, là, si vite, deux ou trois ans avant de prendre sa retraite… Mais… cette musique douce qui s’accordait si bien à la faible lueur de l’insert dans le salon… mais oui, c’était bien celle qui flottait maintenant dans la salle… Ainsi, ce Concerto de Mozart que le Président avait annoncé à la fin de son discours, ce Concerto c’était Jérôme qui l’avait choisi et c’était lui, sans doute, qui avait demandé qu’il fût interprété lors de son définitif anéantissement, comme un ultime adieu posthume.
Au-delà de la cloison, le bourdonnement sourd disait que le cercueil de bois blanc, du peuplier sans doute, devait commencer à brûler, le chêne aurait mieux résisté, inutilement. Le Concerto se déroulait dans la salle en notes douces et caressantes comme un écho plaintif du bruit étouffé du four ravageur. Ainsi l’avait voulu le Professeur Dancer, maître d’œuvre de cette triste cérémonie ! Pris dans le temps indéfini de l’émotion, Henri sentait sa gorge se serrer et ses yeux s’humidifier.
Kathie n’arrivait pas. La place qu’il lui réservait à côté de lui était occupée par sa parka et il était gêné quand il tournait la tête vers la porte de voir tous ces gens debout ou assis à sa gauche, dans l’escalier. Il était dix heures et quart. Elle devait chercher son chemin. Il lui avait pourtant bien expliqué, prendre la rocade jusqu’à la sortie Lagnac, aller tout droit, traverser le village jusqu’au croisement, rue à droite sur deux-cents mètres, tourner à gauche, puis à droite et encore à droite, enfin à gauche… C’était compliqué, lui aussi avait eu du mal, pourtant il avait bien étudié l’itinéraire sur internet. Elle devait être angoissée, peut-être furieuse. Elle penchait la tête à droite, à gauche pour lire le nom des rues. De rage, elle tapait sur le volant, rougissait. Elle était charmante. Il sentit en lui une coulée de chaleur, comme une poussée de vie en accord avec cet Andante si doux, qui, il frémit, accompagnait la destruction de Jérôme. La musique allait, venait, enveloppait, aussi douce avec la mort que tendre avec la vie. L’émotion hors du temps effaçait de nouveau les mots.
Allegretto 1
Voici que l’échelle musicale montait en crescendo, les sanglots des violons s’éloignaient, repoussés par la force sonore des cuivres. L’émotion avait été si forte que ce brusque animato la fit retomber. Alentours, les têtes commençaient à bouger pour secouer la torpeur, retrouver leurs pensées et pour prendre ostensiblement la mesure de l’espace oppressant qui les enfermait. Réciproquement, elles se saluaient d’un regard entendu. Certaines se penchaient, approchaient leur bouche de l’oreille de la voisine et chuchotaient quelques mots
Il détacha son regard de la trappe, de Marie-Laure et de son fils, et le promena dans la salle, machinalement, sans curiosité. Dans la partie droite, il distingua

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