Descartes avance-t-il masqué ?
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Description

Larvatus prodeo. La formule intrigue. Elle aurait été lancée par le tout jeune Descartes en 1619, au moment de faire son entrée dans le « théâtre du monde ». Palabres sans incidences ? Confession d’apprenti philosophe ? Devise d’un intellectuel soucieux de se prémunir d’une saine prudence ? Autant d’hypothèses qui, sans vraiment s’exclure, s’imposent au lecteur d’hier et d’aujourd’hui. Comment ne pas évoquer l’apparent paradoxe issu de cet aveu explicite : celui qui allait consacrer toute son œuvre à la recherche de la vérité aurait-il usé sans scrupules de stratégies de dissimulation ? L’œuvre de dévoilement des sciences appelée de ses vœux, la nécessité de soumettre toute certitude apparente à l’épreuve du doute hyperbolique sont-elles réellement compatibles avec le port d’un masque, fût-il salutairement légitime ?

Il était utile de se livrer enfin à un tel questionnement, en confrontant les sources primaires aux réactions du lectorat et des correspondants du philosophe, aux discours des exégètes contemporains de son œuvre comme des spécialistes actuels.

Anne Staquet est docteur en philosophie de l’université Laval et agrégée de l’enseignement supérieur de l’ULB. Elle enseigne à l’Université de Mons, où elle dirige le service de Philosophie et d’Histoire des Sciences.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 6
EAN13 9782803104611
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DESCARTES AVANCE-T-IL MASQUÉ ?
Anne Staquet
Descartes avance-t-il masqué ?
Préface de Valérie André
Académie royale de Belgique
rue Ducale, 1 - 1000 Bruxelles, Belgique
www.academieroyale.be
Informations concernant la version numérique
ISBN : 978-2-8031-0461-1

© 2015, Académie royale de Belgique
Collection L’Académie en poche
Sous la responsabilité académique de Véronique Dehant
Volume 61
Diffusion
Académie royale de Belgique
www.academie-editions.be
Crédits
Conception et réalisation de l'ebook : Laurent Hansen, Académie royale de Belgique
Illustration de couverture : D’après Frans Hals , René Descartes (1596-1650), philosophe , 1649, Paris, Musée du Louvre. Photo ©RMN-Grand Palais/Musée du Louvre/Thierry Le Mage
Publié en collaboration avec
Bebooks - Editions numériques
Quai Bonaparte, 1 (boîte 11) - 4020 Liège (Belgique)
info@bebooks.be
www.bebooks.be

Informations concernant la version numérique
ISBN 978-2-87569-191-0

A propos
Bebooks est une maison d’édition contemporaine, intégrant l’ensemble des supports et canaux dans ses projets éditoriaux. Exclusivement numérique, elle propose des ouvrages pour la plupart des liseuses, ainsi que des versions imprimées à la demande.
Préface
Larvatus prodeo . La formule intrigue. Révélée par Foucher de Careil, en 1859, dans son édition des Cogitationes privatæ , elle aurait été lancée par le tout jeune Descartes en 1619, au moment de faire son entrée dans le « théâtre du monde ». Palabres sans incidences ? Confession d’apprenti philosophe ? Devise d’un intellectuel soucieux de se prémunir d’une saine prudence à l’heure où la censure imposait aux écrivains et aux savants un bâillon castrateur ? Autant d’hypothèses qui, sans vraiment s’exclure, s’imposent au lecteur d’hier et d’aujourd’hui. Comment ne pas évoquer l’apparent paradoxe issu de cet aveu explicite : celui qui allait consacrer toute son œuvre à la recherche de la vérité aurait-il usé sans scrupules de stratégies de dissimulation, à l’heure de coucher sur le papier le fruit de ses veilles et de ses réflexions ? L’œuvre de dévoilement des sciences appelée de ses vœux, la nécessité de soumettre toute certitude apparente, toute opinion vraisemblable à l’épreuve du doute hyperbolique sont-elles réellement compatibles avec le port d’un masque, fût-il salutairement légitime ?
Il était utile de se livrer enfin à un tel questionnement, en confrontant les sources primaires aux réactions du lectorat et des correspondants du philosophe, aux discours des exégètes contemporains de son œuvre comme des spécialistes actuels. Des lettres à Mersenne à la correspondance avec Regius, le disciple renégat, aux critiques virulentes de Gassendi et de Hobbes, l’interrogation sur la portée réelle du larvatus prodeo se déploie sans se laisser vraiment circonscrire. La condamnation de Galilée, le 22 juin 1633, accusé d’hérésie pour avoir raillé le géocentrisme de Ptolémée dans son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde , encourageait les plus téméraires à la circonspection, et l’on comprendrait aisément que Descartes eût décidé de mettre en application ses déclarations juvéniles. Aussi renonça-t-il à publier son Traité du monde et de la lumière (édition posthume, 1664) qui, sans aucun doute, aurait fait écho aux thèses galiléennes et valu à son auteur un sort aussi peu enviable… La publication, en français, du célèbre Discours de la méthode, pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences (1637) — tous les termes ont leur importance — semble pourtant trahir chez Descartes une volonté sinon de prosélytisme philosophique, du moins un souci bien réel d’amener un public plus nombreux — rappelons que Descartes incluait explicitement les femmes dans sa démarche pédagogique — à refuser toute idée préétablie sans la soumettre à l’épreuve de la raison. Rien en tout cas qui ressemble, de près ou de loin, au travestissement de la pensée… Aux concessions trop lourdes, notre auteur préfère le mutisme, comme lorsqu’il renonce à publier jamais un quelconque traité de morale : « il n’y a point de matière d’où les malins puissent plus aisément tirer des prétextes pour calomnier » (Lettre à Chanut, 20 novembre 1647). La contradiction serait-elle insoluble ? À moins peut-être d’explorer une voie tierce qui rangerait le larvatus prodeo parmi les stratégies discursives de l’argumentation et de la rhétorique, un art de la feinte annonçant, bien avant que n’apparaisse le Malin génie , toute la complexité de la démarche cartésienne.

Valérie André
Membre de l’Académie
Introduction
« Les comédiens, appelés sur la scène, pour ne pas laisser voir la rougeur sur leur front, mettent un masque. Comme eux, au moment de monter sur ce théâtre du monde où, jusqu’ici je n’ai été que spectateur, je m’avance masqué 1 » , écrit Descartes en 1619. Le philosophe semble y annoncer que désormais tout ce qu’il fera ou dira sera couvert d’un voile pudique. Et l’intention qu’il y avoue a d’autant plus la tonalité d’un programme ou d’une résolution qu’elle appartient à ses écrits de jeunesse, alors que son auteur n’est pas encore connu et qu’il va, comme il le décrit, bientôt faire son entrée dans le monde.
Prendre au sérieux cette affirmation du recours à la dissimulation systématique — car c’est bien de cela dont il s’agit, dans la mesure où il n’est aucunement fait référence à des circonstances imposant de déguiser ses propos — signifierait qu’il faut en fait revoir tous les écrits du philosophe à cette aune. Cela pourrait peut-être mener à une toute nouvelle réinterprétation de l’ensemble de sa pensée.
Vu l’enjeu, il serait hâtif d’accorder une telle portée à une seule phrase. Le doute est d’autant plus permis qu’elle a été écrite dans sa jeunesse, avant qu’il n’élabore son système, et qu’elle n’a pas été publiée. Certes, les écrits privés peuvent révéler une bien plus grande sincérité que les textes officiels dans lesquels la bienséance ou les stratégies jouent un rôle, mais rien ne garantit non plus que ce soit le cas. Il est logique que l’emploi d’un masque ne s’exhibe pas, car l’idéal d’un travestissement est de se faire oublier. Mais il est tout aussi possible que Descartes ait renoncé à tout masque par la suite et que l’extrait, resté privé, vienne du fait qu’il y ait abandonné cette idée. Qu’il préfère ne pas publier son Monde lorsqu’il apprend la seconde condamnation de Galilée pourrait appuyer cette interprétation, puisqu’il aurait pu y dissimuler ses positions scientifiques en accord avec le savant italien plutôt que de soustraire purement et simplement sa science au public 2 .
Dans ces mêmes notes, on trouve une autre allusion à la dissimulation, mais dans une tout autre perspective. « Les sciences portent le masque : si on le leur ôtait, elles apparaîtraient dans toute leur beauté. Pour celui qui voit à fond leur enchaînement, il ne sera pas plus difficile de les conserver dans sa mémoire que d’y retenir la série des nombres 3 . » Il n’est ici plus question du sujet de la connaissance, mais des sciences mêmes. Et il ne s’agit plus de se couvrir d’un masque, mais, au contraire, de dévoiler les sciences, de les faire apparaître en pleine lumière, afin de révéler leur beauté, laquelle dépend apparemment de leur enchaînement et de leurs liaisons. Or, on sait combien Descartes insiste sur la liaison des causes et effets dans les sciences. Cela apparaît explicitement dans sa méthode :
Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entre-suivent en même façon, et que, pourvu seulement qu’on s’abstienne d’en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut, pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées, auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne découvre 4 .
Toute la démarche cartésienne de recherche des vérités scientifiques est basée sur ce principe, qui doit beaucoup aux démonstrations géométriques.
Si Descartes envisage de se couvrir d’un masque, il envisage aussi à la même époque d’enlever celui qui recouvre les sciences. Il est donc difficile de tirer de ces extraits des indices sérieux de son rapport à la dissimulation.
En outre,

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