Deux amours
164 pages
Français

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Deux amours , livre ebook

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Description

Deux amours est un recueil de nouvelles traversé par deux thèmes majeurs : celui de la guerre, comme dans Trouvailles , L’œil de Pierre, Un retour ou Collaboration, et celui des changements que peut apporter le regard d'un étranger, comme dans Joyaux, La jeune fille, Voyage ou Iroquois. La nouvelle qui a donné son nom au recueil évoque la confusion des sentiments provoquée par la maladie irréversible d'un fils, l'empêchant d'avoir une vie amoureuse accomplie, ravageant sa mère et donnant au père le sentiment d'être mis à l'écart. Les personnages s'entrecroisent, forment autant de couples, et vivent des amours qui s'inscrivent dans des mouvements de vie très forts et très différents : l'amour maternel, l'amour conjugal, l'amour du fils et de la femme qu'il séduit, puis celui, incongru et inattendu, de cette dernière avec le père...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 septembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332959836
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-95981-2

© Edilivre, 2016
Dédicace
A Irène Borten-Krivine
et Marie Agnès Simon,
sauveteurs en mer.
Aux Neveu,
Pierre, Liliane, puis Françoise,
pour leur confiance.
A Susan, Berthe et Jacqueline,
pour leur soutien.
A mes enfants.
Deux amours
Du papier de soie qui, malgré le soin que Raphaëlle avait pris à le manipuler, s’était froissé et déchiré lorsqu’elle en avait détaché le ruban adhésif, émergeait un petit trépied de porcelaine lesté d’un socle dont les pieds imitaient malencontreusement ceux des meubles rustiques. Cette base massive servait d’appui à un amour cariatide dont les bras potelés soutenaient une petite vasque nacrée. Elle fit tourner l’objet entre ses mains. Il était lourd.
« C’est du biscuit ? », demanda-t-elle en levant les yeux vers l’homme qui n’avait pas pris le temps d’ôter son pardessus.
Dans sa voix habituellement si claire, un léger vibrato révélait l’émotion. Un très bref sourire creusa la joue droite d’Étienne de cette petite virgule que Raphaëlle aimait.
« C’est du biscuit », confirma-t-il. Évidemment, elle avait toujours eu le coup d’œil sûr.
«  C’est un baguier… », continua Raphaëlle, laissant sa phrase en suspens.
«  C’est un baguier. »
–  Attends, attends, que je comprenne… », dit-elle en s’asseyant, enveloppant l’objet de ses deux mains comme elle aurait tenu un oisillon blessé.
Étienne retira son écharpe et s’assit, lui aussi. Depuis son entrée dans l’appartement trop chaud, la neige avait fondu sur son pardessus et y avait laissé de toutes petites gouttes que la lumière des appliques faisait étinceler. Le froid lui avait figé le sang. Le bout de son nez pincé paraissait fait du même matériau que l’opaline des lampes.
« C’est fragile le biscuit… », continua Raphaëlle, songeuse.
« Oui, c’est fragile… Mais la vendeuse me l’a bien emballé. Ça ne risquait rien je crois, je l’avais enfoui dans mon linge.
– Ton linge sale ! », précisa Raphaëlle d’un petit ton moqueur.
« Mon linge sale. », admit-il.
«  Et qu’est-ce que je vais y déposer, dans ce baguier ? » , dit Raphaëlle, malicieuse, semblant interroger le petit calice comme s’il pouvait lui répondre. «  Quelles bagues ? Ma bague de fiançailles ? ».
Elle leva les yeux vers Étienne.
« Mon alliance ? ».
Désarçonné, il branla la tête de gauche à droite, se leva et la prit dans ses bras, sans rien dire. Elle était toute chaude encore de la tiédeur du lit d’où il l’avait tirée. Entre eux, noyau froid et dur, l’objet de porcelaine, qu’elle n’avait pas lâché, empêchait leurs corps de se rapprocher, la tendre palpitation de leurs deux poitrines de s’accorder. Raphaëlle émit un petit rire et s’écarta de lui en ajustant son peignoir.
« Ça me rappelle les cailloux du Crest de la Goutte, tu te souviens ?
– Oui. », dit Étienne en retenant un instant sa main, «  Nous avons dormi à la dure, nous deux… ».
Elle ne commenta pas.
« Tu es rentré plus tôt que prévu.
–  Tu me manquais.
– Tu as pris un train de nuit ?
– J’ai décidé ça brusquement hier soir, en voyant cet objet dans une vitrine.
– Sait-elle que tu es ici ? ».
La réponse tarda quelques secondes, mais Étienne répondit. Non, elle ne savait pas.
« Je repars à quinze heures. Le colloque n’est pas terminé. »
Pensive, Raphaëlle avait posé le baguier sur la table encombrée de livres et de papiers.
« As-tu déjeuné ? », demanda-t-elle d’un ton tranquille. Sa voix était douce, presque caressante.
Étienne se retourna et récupéra un sachet que, pour avoir les mains libres, il avait posé, en entrant, sur la première chaise venue.
« Non, j’ai apporté des croissants…
– Ah, c’est une bonne idée. » , répondit Raphaëlle avec légèreté. «  Je vais faire du café. »
Ils déjeunèrent presque en silence, échangèrent leurs avis sur la qualité des croissants, l’amertume de la nouvelle marque de café que Raphaëlle avait voulu tester, le retour du sucre roux vendu en morceaux mal équarris, et les risques de verglas sur les trottoirs si la ville n’en débarrassait pas la neige au plus tôt, puis Étienne désigna, d’un coup de menton, le matériel qui était en chantier sur la table du séjour.
« Que faisais-tu ?
– Tu sais bien, je suis toujours dans ce recueil.
– Les lettres de ton grand-père… ».
Raphaëlle haussa les épaules et fit une petite grimace d’insatisfaction.
« Oui, j’essaie de choisir des photos et des extraits de presse qui correspondent à l’époque… ».
Étienne regarda les grandes feuilles où Raphaëlle avait déjà soigneusement collé quelques clichés entre lesquels elle avait disposé des articles de journaux. Elle utilisait le papier écru qu’ils avaient acheté ensemble en Auvergne, quelques années auparavant, lors de la visite d’un vieux moulin à papier. La mise en page était irréprochable ; l’écriture manuscrite, nette et élégante, lui rappelait les lettres qu’elle lui avait envoyées avant leur mariage. Précises. Ironiques souvent. Évocatrices. Si nourrissantes pour lui, comme il lui disait. Raphaëlle avait le sens des mots et émaillait sa correspondance, comme sa conversation, des vers qu’ils avaient lus ou qu’elle croyait connus de lui. Longtemps il avait dû lui avouer qu’il ne les situait pas puis, comme elle s’obstinait, il avait fini par se contenter de lui manifester distraitement, d’un signe de tête, qu’il appréciait sa citation. De ses années de lycée, il n’avait évidemment rien oublié des subtilités de la grammaire latine ou de la langue grecque mais, quand il avait été question de choisir lui-même à quoi, comme disaient ses professeurs, il consacrerait son intelligence, il n’avait cessé de ramener son esprit à la matière, celle, d’abord, de la chair souffrante des hommes pour complaire à son père, puis, une fois obtenu le titre de médecin, il était revenu à son intérêt pour ce qui, ici bas, ne parlait plus, ne souffrait plus, mais témoignait encore de grandes passions : roches, pierres et autres minéraux, rejetons des frissons de Gaia, contractions, éruptions, failles et effondrements, craquements et ébranlements, éboulements, explosions, écrasements et autres raz de marées. Il avait choisi de fouiller l’aridité des pentes du Jura. Raphaëlle, qui avait épousé sa passion, l’épaulait, attentive et attentionnée ; soigneuse, subtile, elle l’aidait à trier, cataloguer, observer, différencier. Pleine de révérence pour la rigueur et l’opiniâtreté de son jeune mari, elle s’était mise à son service, apportant à la tâche qu’Étienne s’était fixée sa finesse, sa spiritualité, sa connivence avec les poètes et son goût pour les mots.
« T’es-tu couchée tard ? », demanda-t-il en lançant un regard vers le travail resté sur la table, inachevé.
« Tu sais bien que je n’arrive plus à trouver le sommeil… Quelle heure est-il ?
– Onze heures.
– Nous avons quatre heures devant nous alors ?
– Pas tout à fait. Mon train est à 15 heures. ».
Raphaëlle lui demanda s’il souhaitait se reposer puisqu’il avait passé la nuit dans le train, ou s’il avait envie d’autre chose, marcher dans le parc Montsouris, qui devait être magnifique sous la neige, ou plutôt aller jusqu’au Luxembourg.
« On pourrait prendre un plat au restaurant du parc, avant que tu repartes, non ?
– Oui, va te préparer, et chausse-toi bien, la neige va peut-être tenir. ».
Raphaëlle disparut un moment puis réapparut, en soutien-gorge et en collants, et commença à faire la navette entre la salle de bains et la penderie, interrogeant Étienne sur la tenue la plus appropriée, se ravisant, et reprenant le vêtement qu’elle venait de poser.
« Un pantalon et mes chaussures de marche ? Ma fourrure, mon imperméable ? ».
Elle raccrocha ce qu’elle venait de choisir, et sortit autre chose.
« Ma robe de flanelle et mes bottes ? ».
Il la voulait en tenue d’arpenteuse ; elle opta pour les bottes, la longue robe et le manteau à capuche bordée de fourrure.
Dans le train, et parce que le vêtement de Raphaëlle avait rappelé à Étienne la Lara du Docteur Jivago, ils entamèrent une discussion sur Boris Pasternak, la continuèrent au jardin du Luxembourg, firent halte devant chaque statue, puis conversèrent sur l’étrangeté des sons étouffés par la neige. Ils se trouvèrent soudain environnés de gamins entreprenants et essuyèrent les tirs perdus d’un feu nourri de boules de neige : l’un des pavillons de verre avait servi de planque au camp adverse de leurs assiégeants. Raphaëlle protesta, puis ils rirent, s’époussetèrent mutuellement, et Étienne déposa un baiser furtif sur les joues glacées de sa femme. Ils déjeunèrent au Bouillon Racine, où le garçon s’employa à précéder leurs désirs. Autant d’égards parurent excessifs à Raphaëlle, qui voulut rassurer le serveur sur son bien-être qui ne pouvait pas être plus parfait. Cela fit sourire Étienne, qui reconnaissait là le souci qu’elle avait toujours de ne pas abuser du temps et des efforts des autres. Il partit le premier, la laissant seule terminer son café et payer pendant qu’il se hâtait de prendre le métro.
Elle le regarda fermer la porte. Elle avait tout son temps, rien ne pressait, personne ne l’attendait. Les clients s’en allaient les uns après les autres, retournaient à leurs activités. Des éditeurs, des enseignants, des libraires sans doute. À la table à côté d’elle, un homme rubicond et replet continuait, volubile, à discourir. Sa voix forte détonnait dans l’ambiance du lieu et lui attirait des regards désapprobateurs qu’il semblait ne pas remarquer. Il se leva en enfonçant son chapeau sur sa tête, et son front disparut presque totalement sous le couvre-chef. À mon avis, pensa Raphaëlle, si l’on en croit la théorie des volumes, – comment appelait-on cela déjà ? –, chez cet homme-l

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