Cahiers Albert Cohen N°18
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Cahiers Albert Cohen N°18 , livre ebook

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Description

Tout lecteur d'Albert Cohen est d'abord plein de ces évocations saisissantes de l'antagonisme radical entre « la Loi » et « la nature » dont l'auteur semble avoir fait le socle de sa vision du monde : « [...]C'est notre héroïsme désespéré que de ne vouloir pas être ce que nous sommes et c'est-à-dire des bêtes soumises aux règles de la nature que de vouloir être ce que nous ne sommes pas et c'est-à-dire des hommes. » Quel est le soubassement de cette vision du monde ? Est-il à chercher dans le judaïsme dont Cohen se réclame ou dans une pente quasi gnostique, comme le soutient Jack Abecassis ? Comment se traduit-elle poétiquement ? Que vient-elle signifier politiquement et philosophiquement ? Que trahit-elle de l'imaginaire de l'écrivain, de son rapport à la nature, au corps, à la femme ? Comment l'aversion déclarée pour l'animalité peutelle s'accorder avec les mille et une preuves de l'intérêt, sinon de l'amour, de l'écrivain pour les « bêtes » ? Car ouvrir l'oeuvre de Cohen, c'est découvrir une incroyable faune, dans laquelle les animaux ne sont pas toujours des repoussoirs allégoriques : des chattes aux termites, des chevaux de retour aux félins - miniaturisés ou non -, des langoustes d'Ariane aux araignées adultères, des aigles aux crapauds, en passant par les grosses mouches noires et jusqu'au chien auquel Solal envisage un moment de faire sa déclaration d'amour, le bestiaire de l'écrivain semble inépuisable.

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Informations

Publié par
Date de parution 10 février 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782304022032
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Cahiers Albert Cohen
Animal et animalité dans l’œuvre d’Albert Cohen
N°18, 2008
Editions Le Manuscrit Paris


© Éditions Le Manuscrit, 2008
ISBN : 9782304022025 (livre imprimé) ISBN : 9782304022032 (livre numérique)


Avant-propos
Philippe ZARD
Comme Victor Hugo, Albert Cohen écrit, pense, imagine le monde à travers de flamboyantes antithèses. À l’affrontement de la lumière et des ténèbres, cher au poète des Contemplations , l’auteur de Belle du Seigneur a substitué le combat de la nature et de l’antinature, de l’homme et de la bête. Ce goût des oppositions tranchées peut irriter certains lecteurs modernes et n’est sans doute pas pour rien dans la « bêtise » qu’André Breton a imputée à Hugo. Pourtant, il serait aussi absurde de reprocher à un écrivain sa propension aux antithèses que de faire grief à Van Gogh de la violence de ses jaunes ou au Caravage de sa prédilection pour le clair-obscur. L’antithèse n’interdit pas de penser ; elle n’interdit pas davantage la complexité ni la nuance, qui prennent simplement d’autres voies. Rien ne le montre tant que la question de l’animal et de l’animalité dans l’œuvre d’Albert Cohen, à laquelle nous consacrons ce dernier numéro des Cahiers .
[...] c’est notre héroïsme désespéré que de ne vouloir pas être ce que nous sommes et c’est-à-dire des bêtes soumises aux règles de la nature que de vouloir être ce que nous ne sommes pas et c’est-à-dire des hommes.
Tout lecteur d’Albert Cohen est d’abord plein de ces évocations saisissantes de l’antagonisme radical entre « la Loi » et « la nature » dont l’auteur semble avoir fait le socle de sa vision du monde. Ce n’est pas que le thème en soit particulièrement original : il n’y a là qu’une des innombrables variantes de ce dualisme bimillénaire que nous ont légué la métaphysique antique et ses prolongements chrétiens. Même l’idée que l’esprit du judaïsme serait à chercher dans une morale « anti-naturelle » trouve de multiples formulations antérieurement à l’œuvre de Cohen (chez Hegel ou chez Freud par exemple). C’est en poète et non en philosophe - sous l’effet de litanies inoubliables (« babouinerie, babouinerie ») ou de morceaux de bravoure (le cocktail Benedetti) - que l’auteur de Belle du Seigneur a su faire vivre ces antithèses fondatrices pour dévoiler, sous la société, la jungle, et sous l’humain le primate. Dans son article sur la métaphore animalière dans le chapitre 35 Belle du Seigneur , Joëlle Zagury Benhattar présente quelques-uns des ressorts de cette virtuosité rhétorique.
Pourtant, on ne commence vraiment à mesurer le sens des variations coheniennes sur l’animal qu’au moment où, sans jamais la perdre de vue, on tente de se situer au-delà de l’antithèse pour saisir la pluralité extraordinaire du discours. Ouvrir l’œuvre de Cohen, c’est découvrir une incroyable faune, dans laquelle les animaux ne sont pas toujours des repoussoirs allégoriques : des chattes aux termites, des vieux chevaux aux félins - miniaturisés ou non - , des langoustes d’Ariane aux araignées adultères, des aigles aux crapauds, en passant par les grosses mouches noires et jusqu’au chien auquel Solal envisage un moment de faire sa déclaration d’amour, le bestiaire d’Albert Cohen semble inépuisable.
Depuis l’article pionnier de Mail-Anne Mathis, cet aspect de l’œuvre, pourtant si décisif, n’avait pas fait l’objet d’un examen circonstancié. C’est désormais chose faite, avec ces sept études de belle tenue dont on observera qu’elles parviennent à rendre compte, sans jamais se répéter l’une l’autre, des multiples facettes de la fantasmagorie animalière de l’écrivain. Certaines soulignent à plaisir les ambivalences du rapport à l’animal dans l’œuvre : qu’il s’agisse de l’attention, voire de l’amour, que portait aux bêtes celui qui prétendait les détester, des formes diverses d’alliance avec la nature repérables dans son œuvre (Alain Schaffner, Anne Simon) ou, à l’inverse, des constituants fantasmatiques ou phobiques de cet imaginaire, révélateurs d’une difficulté à penser le corps, la femme, la sexualité (Anne Simon, Alain Romestaing). Au point que Jack Abecassis s’autorise à proposer un portrait inattendu d’Albert Cohen en gnostique : c’est toujours du statut de la chair et de la nature - heureuse ou coupable, maudite ou sauvée - qu’il est question. Les enjeux politiques et sociaux ne sont pas négligés, grâce aux articles de Marius Conceatu (qui apporte sa contribution au parallèle avec Proust à travers une zoologie sociale comparée), de Maxime Decout (qui revient sur les rapports entre métaphores animales et représentation du temps) et de Marina Davies (qui prend appui sur l’image du parasite pour une étude des enjeux du cosmopolitisme chez Cohen). Nul doute que ces riches analyses en féconderont d’autres.


Etudes


Bêtes, « homme naturel » et « homme humain » chez Albert Cohen
Anne SIMON
Unité « Écritures de la modernité » CNRS/Université Paris 3
De l’abeille à la mouche, de la coccinelle à la punaise, de la larve au moustique, en passant, sans exhaustivité, par le singe, l’agneau, le crocodile, l’âne, la sangsue, l’éléphant, l’escargot, la lioncesse, la méduse, le chat, le requin, le vers, le tigre, le gorille et le microbe, le moins qu’on puisse dire est que, pour un homme qui se méfiait de l’animalité tout en aimant nombre de bêtes, les animaux semblent hyperboliquement présents dans l’œuvre de Cohen, du début à la fin de sa carrière, et quel que soit le genre abordé. De fait, chameaux et brebis, chevaux et génisses 1 , mais aussi dieux païens tels que « Vache à la grande corne / Éperviers scarabées et lionnes / Chiens à queue raide / Serpents barbus vaches chacals / Taureaux mitrés / Griffons » 2 peuplent la terre de Paroles juives . À l’autre bout de la vie d’écrivain de Cohen, les Carnets 1978 vont développer le bestiaire récurrent et obsessionnel du journaliste de guerre et de l’auteur de Belle du Seigneur , celui du primate humain : le « gorille » qu’est l’homme doit tenter absolument une sortie hors de la nature, sous peine de rester enfermé dans la bestialité. En outre, les animaux sont souvent présents à des places stratégiques de la narration : début et fin de Solal , où la mouche de l’incipit s’oppose à « l’oiseau royal » 3 de la fin, début et fin de Belle du Seigneur , où une infra-animalité 4 vient en quelque sorte contaminer le romantisme de l’action, et renvoyer le côté dionysiaque du premier roman aux oubliettes.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? De bêtes ou de bestiaires ? Il n’est en effet pas certain que Cohen s’attache vraiment aux animaux dans son œuvre, tant ceux-ci sont inscrits dans des systèmes axiologiques complexes, parfois contradictoires ; ils sont en outre en permanence envisagés non pas pour eux-mêmes, mais dans leur relation aux hommes. Je m’attarderai tout d’abord sur la diversité des bestiaires cohéniens et sur les valeurs oxymoriques qui leur sont accordés, pour en venir ensuite aux contradictions de ce que Cohen nomme « l’animal en l’homme » 5 .
Les valeurs contradictoires des bestiaires coheniens
L’ensemble de la sphère animale, du microbe à l’humain, se retrouve dans l’œuvre de Cohen : insectes, mollusques, rongeurs, oiseaux, bêtes féroces et félines, herbivores (souvent bibliques), primates (y compris « le troisième chimpanzé » 6 que nous sommes), chimères et animaux imaginaires dessinent un ensemble composite et mouvant. En effet, selon les moments, fictifs ou historiques, et selon les personnages, ces bestiaires vont se voir attribuer des fonctions et des valeurs différentes. Elles reflètent bien souvent les contradictions internes à la psyché cohénienne, ou son évolution dans le temps, et non pas les réalités animales – s’il y a un éthologue en Cohen, c’est uniquement celui qui s’occupe du comportement humain, ou, plus rarement, des « communautés hybrides » 7 hommes / animaux familiers, notamment dans le cas de la description, très anthropomorphisée, de la chatte Timie 8 . L’ensemble des animaux mentionnés dans l’œuvre de Cohen pouvant être redevable d’une multiplicité d’interprétations, je ne prendrai que quelques exemples destinés à montrer qu’on ne peut établir une typologie unifiée du rapport symbolique de l’écrivain aux animaux.
Relevons tout d’abord qu’à l’intérieur d’un bestiaire unifié, comme par exemple celui des insectes, les associations d’images diffèrent selon les animaux. Le vers et l’asticot sont constamment reliés à une vie grouillante, fondée sur la mort, gorgée de décomposition : dans Le Livre de ma mère , Cohen imagine la tombe de sa mère où « ne vivent que des racines […] et de mornes créatures d’obscurité aux incompréhensibles d&

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