Femmes en partance
246 pages
Français

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Femmes en partance , livre ebook

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Description

Treize nouvelles. Des femmes qui disparaissent, s'évanouissent, s'estompent. Ou meurent. Les femmes, toujours en partance ? Toujours tournées vers des horizons lointains ? En toute femme, il y a une absence, le souvenir de ce qui sera peut-être...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 juin 2017
Nombre de lectures 2
EAN13 9782414080106
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-08008-3

© Edilivre, 2017
Saint Louis Blues
Comme toujours, l’aide-soignante ouvre brusquement la porte de la chambre, sans frapper. Elle se dirige vers le second lit, inoccupé, tout en hurlant :
– Alors ? Elle a bien dormi, cette nuit ? Elle va être contente, elle va avoir de la compagnie.
– Elle n’est pas sourde, dit Mélina. Et à deux heures de l’après-midi, c’est : elle a bien mangé ?
La remarque lancée d’un ton acerbe glisse sans aucun effet sur la grosse femme qui retape l’oreiller, découvre le lit et entreprend de le rehausser en actionnant vigoureusement du pied une pédale.
– C’est bien, c’est bien, dit-elle. C’est une petite jeune fille, on l’amène de la réanimation, elle vient d’être opérée.
– Je vais faire un tour, dit Mélina.
Elle se lève avec précautions, glisse une jambe, puis l’autre hors du lit en s’appuyant des deux mains pour ne pas trop solliciter son ventre encore douloureux. Elle laisse passer un étourdissement, puis gagne la salle de bains et décroche sa robe de chambre. Dans la poche, cigarettes, briquet… elle jette un coup d’œil au miroir. Pas vraiment flambant ! Sans maquillage, tu la fais, la quarantaine. Trente-huit ! Tu te vieillis toujours.
Elle donne quelques coups de brosse à ses cheveux blonds et frisés, ça au moins ça reste bien ! Elle pince fortement les lèvres pour leur donner un peu de couleur, lance un dernier regard sans complaisance à son image et sort. Dans le couloir, elle voit arriver un chariot poussé par un brancardier. Sans doute la voisine annoncée. La poisse ! Mais elle a été seule trois jours, on ne peut pas demander l’impossible. Elle s’éloigne sans chercher à apercevoir l’occupante du chariot.
Le chirurgien passera demain. Elle espère qu’il décidera sa sortie pour la fin de la semaine. L’interne lui a dit de ne pas trop y compter. C’est vrai qu’elle ne se sent guère assurée. Elle s’arrête un instant dans la galerie vitrée, entrouvre les pans de sa robe de chambre et regarde ses jambes. Longues, maigres. Ses muscles ont fondu. Dès qu’elle le pourra, elle reprendra la piscine. Elle referme vivement son vêtement, en apercevant un groupe de médecins en blouse blanche. Ils passent à côté d’elle en discutant et en riant sans lui accorder un regard. Elle fait partie du décor, pense-t-elle. Invisible. Comme tous ces fantômes gris qui naviguent lentement dans les couloirs, roulant avec eux une potence à laquelle pendent des flacons et des tuyaux qui plongent dans leurs veines.
Elle gagne les ascenseurs. Sur les six, un seul s’arrête au premier, tous les autres ignorent cet étage, une découverte qu’elle a faite huit jours auparavant et qui la réjouit comme un parfum d’aventure. Au premier, l’ascenseur ouvre sur un couloir de béton. Quelques lourdes portes de métal gris, “réserve matériel”, “ventilation”, “groupes électrogènes”, et au fond, “zone fumeurs”. L’hôpital n’encourage pas le vice ! Il est vrai qu’on pouvait toujours, si on était en état, sortir au rez-de-chaussée, devant le hall. On y trouve, quand il ne fait pas trop mauvais, toute une cour des miracles en pyjamas, survêtements ou robes de chambre, qui grillent des cigarettes en déambulant sans parler. Mélina préfère de loin son jardin secret.
Elle pousse la porte et sort. Des plates-bandes couvertes uniformément d’un lierre épais, d’un vert sombre luisant presque noir, sont entourées de galets blancs. Les hautes falaises des blocs de six étages, construits en porte-à-faux, s’élèvent tout autour de cette terrasse et la couvrent partiellement, ne laissant libre qu’un petit carré de ciel. On peut contourner cet endroit en empruntant une allée bétonnée qui coure sous le redan du second étage. Il faut éviter de se cogner aux piliers de béton obliques. Mélina connaît bien les lieux, maintenant. Elle contourne autant qu’elle le peut un grand aérateur dont les lames de métal horizontales frémissent avec un bruit sourd et qui lui fait un peu peur, et s’engage dans l’intervalle entre deux blocs. Elle débouche à l’air libre, sur une terrasse extérieure. Il y en a quatre, à chaque coin du quadrilatère. Celle-ci, qui occupe l’angle sud-est de l’hôpital, est la préférée de Mélina. Elle est plantée d’arbustes et de quelques bouleaux, bordée d’un petit muret et d’une allée qui en fait le tour.
Elle allume une cigarette, tire une longue bouffée gourmande, et s’accoude au muret. Elle domine tout le carrefour de l’avenue Vellefaux et de la rue Saint-Maur, qui s’ouvre en enfilade devant elle. Des voitures, des passants, des enfants courant sur le trottoir, de la vie. À portée de main. Inaccessible.
Une fois de plus, elle s’imagine sortant de l’hôpital. Elle ne prendra pas tout de suite un taxi. Elle tournera le coin, là-bas, devant le café, elle descendra la rue Saint-Maur, elle s’arrêtera aux étals des magasins. Tout doucement. Ce n’est plus très éloigné, maintenant, deux ou trois jours peut-être. Si le chirurgien dit oui demain. Sinon, ce sera pour le début de la semaine prochaine.
La tête lui tourne un peu. Elle s’assied sur le muret. Deux mois et demi… Tu patienteras bien une semaine de plus. Personne ne l’attend. Le journal doit l’avoir oubliée : une pigiste qui ne donne pas signe de vie pendant presque trois mois, c’est comme si elle n’avait jamais existé ! Quant à Jean-Marc…
Elle lève vivement la tête : quelqu’un, là-bas, sort du passage et pénètre sur la terrasse. C’est la première fois que cela se produit. Sa terrasse, envahie. Son mouvement d’humeur la fait sourire. C’est un grand adolescent, très maigre. Il allume lui aussi une cigarette, lève la tête et l’aperçoit. Il semble hésiter un instant, puis se dirige vers elle, la salue de la tête.
– Vous permettez ? dit-il.
Sans attendre sa réponse, il s’assied sur le muret, à deux mètres d’elle. Elle l’observe du coin de l’œil. Les coudes sur les genoux, il fume avec application comme quelqu’un qui n’en a pas l’habitude. Il porte une robe de chambre écossaise sur un pyjama trop court qui découvre le bas de ses jambes. La peau, presque transparente, laisse apparaître des veines bleues qui courent sur ses chevilles maigres et saillantes. La main qui tient la cigarette entre le pouce et l’index est longue et très blanche, d’une étonnante finesse. Il a un profil aigu d’oiseau et un front très haut sous des cheveux bruns tirés en arrière et noués en queue de cheval sur la nuque.
Il tourne la tête vers elle. Ses yeux sont gris ardoise, elle les trouve beaux et tristes. Son bref sourire aussi.
– Chez moi, on dirait :…
– ”Vous voulez ma photo”, je sais, enchaîne-t-elle. Excusez-moi, mais je n’avais jamais vu personne ici.
– Moi, je vous avais vue, de loin. Je viens souvent ici, mais en général je préfère l’autre terrasse, celle où il y a la grande verrière du hall.
Mélina connaît l’endroit. À travers les vitres qui forment un dôme demi-cylindrique, on peut apercevoir, une dizaine de mètres plus bas, la foule qui circule entre la cafétéria, le kiosque à journaux et les guichets d’accueil. Des passerelles métalliques courent sur la verrière, pour permettre le nettoyage. Des pancartes en interdisent formellement l’accès.
– J’y suis allée une fois, dit Mélina, mais on y voit trop de monde. Je préfère être seule.
– Ils sont tout petits, très loin. On est encore plus seul.
– Question de goût, dit-elle. Vous avez dit : “Chez moi”. C’est où, chez vous ?
Il a un geste vague vers la ville.
– Là-bas… En ce moment, c’est “Chirurgie Lavande 4”.
– Et moi, c’est “Fougère 6”. C’est drôle, vous ne trouvez pas, ces noms de sous-bois dans le béton ? Je m’appelle Mélina, ajoute-t-elle sans savoir pourquoi.
– Ils croient que ça fait rêver. Peut-être que c’est vrai pour… certaines personnes.
– Vous ne m’avez pas dit votre nom.
– C’est vrai. Je m’appelle Philippe.
Elle le sent se rétracter et a envie de le poursuivre.
– Certaines personnes… Vous, vous ne rêvez pas ?
Il la regarde.
– Pour quelqu’un qui aime être seule…
– Je sais, je pose beaucoup de questions. Mais je vous ferai remarquer que c’est vous qui êtes venu près de moi.
– Exact. Aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu envie de parler. Ou plutôt, d’être près de quelqu’un. C’est plutôt rare, mais vous voyez, ça m’arrive.
– Et vous le regrettez déjà ?
– Pourquoi êtes-vous aussi speed ?
– Aussi quoi ?
– Speed. Pressée, agitée… offensive.
– C’est vrai. Pardonnez-moi. Je ne suis pas… offensive, enfin je ne crois pas, mais vous avez raison, je me sens… oppressée. Oppressante, du coup ? Peut-être. Je voudrais bien sortir d’ici.
Il a un geste apaisant de la main. Pendant un moment ils restent à fumer en silence en regardant la ville. Puis il jette sa cigarette par-dessus le muret et dit, sans la regarder.
– Je suis ici parce que j’ai voulu mourir.
Il parle à la ville. Elle ne dit rien.
– Et je me suis loupé. Je ne sais pas si c’est tant pis ou tant mieux. Je n’ai plus envie de mourir, mais je n’ai pas non plus envie…
Il montre le carrefour où grouillent les voitures et les passants.
–… enfin, je ne sais pas ce que j’ai à faire là-dedans. C’est pour ça que je regarde les gens en bas, à travers la verrière. Pour avoir une réponse, peut-être.
Ils restent en silence quelques instants. Une réponse… À quelle question ? Elle demande :
– Comment vous êtes-vous… suicidé ?
Un rire bref.
– Vous êtes gentille. Les autres demandent plutôt pourquoi. Comment ? Avec un pistolet… ou ce doit être plutôt un revolver, je ne sais pas la différence, mais c’est ce que la police a dit. Je visais le cœur, ça me semblait le meilleur endroit. Mais c’était un petit revolver de tir, et le cœur est bien plus au centre que je ne le croyais.
Il montre sa poitr

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