La Baleine de Luc
166 pages
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La Baleine de Luc , livre ebook

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Description

Tous les réveils sont liés à une inconnue. Au-dessus de moi se pencha une femme en blouse blanche. Avec cet air doux et résigné que la mort laisse aux vivants chargés de l'annoncer. - Vous êtes à l'hôpital, tout va bien. Elle m'essuya le front avec empathie. Puis je me souviens avoir vomi sur le drap. L'air puait l'éther. J'ai tenté d'expulser quelques phrases difficilement. Mes lèvres restèrent collées. Un nouveau relent sec m'emplit le palais. Elle parla lentement. - Ne cherchez pas à parler, maintenant vous êtes sorti d'affaire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 juin 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342052152
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Baleine de Luc
Vincent Doubre
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
La Baleine de Luc
 
 
 
 
À mes filles, qu’elles sachent que tout est toujours possible.
À "elle" aussi.
 
 
 
Le temps perdu est celui pendant lequel on reste à la merci des autres.
Boris Vian
 
 
 
1
 
 
 
Aussi imprévisible qu’une lampe qui claque, la nuit tomba d’un coup. Habituellement le jour se couchait dans l’indifférence sur cette petite ville normande. Elle avait trop connu de ciels déflagrés pour s’inquiéter d’un banal passage d’entre chien et loup. Depuis, une rangée de lampadaires balisait la jetée jusqu’aux premiers instants du lendemain, et puis, sur toute la côte, passée une certaine heure, la mer et la nuit ne forment souvent plus qu’un seul corps. Seulement, celle-ci brutale et imposée m’inquiéta.
 
J’étais de retour en Normandie parce que l’adolescence a plus d’un tour dans son sac. Pendant des mois j’avais imaginé des retrouvailles. J’allais, je l’espérais, renouer avec un paradis perdu. J’étais aussi revenu car je me sentais de plus en plus étranger dans ma propre vie. Ça allait plus loin qu’un simple besoin de tout revoir, c’était une ventralité. J’avais en fait, comme on dit, un problème insoumis, cette obligation animale de savoir ce qui serait encore vivant après autant d’années. Ainsi me suis-je jeté dans cette excuse d’avoir à exercer mon métier dans ce modeste gala de variété à Saint-Aubin-sur-Mer, chanter ici comme un rat dans un égout retrouverait un univers rassurant. Faire l’artiste, la seule chose que je n’aie jamais vraiment ratée.
 
Plus surprenant, les lanternes de Cabourg, à l’est de la baie scintillaient toujours. Elles dansaient au loin comme des guirlandes de noël. Plus près de moi, le reste de la ville semblait toujours alimenté en électricité tandis qu’ici, dans le quartier tout entier, sur la promenade devant, en bord de mer puis une fois dans le restaurant, si étrange que cela parut, c’est le noir complet qui régna soudainement. Et il n’y avait rien de rassurant dans tout cela. Le noir n’est pourtant pas une couleur effrayante. Dans ma position dire que je ne me sentais pas très fier était un étrange euphémisme. L’accident m’avait éloigné de tout ce qu’on peut redouter de la vie et ça faisait longtemps que je n’avais plus ressenti une émotion aussi forte.
 
Cette saloperie de jeunesse rodait, elle m’avait joué un sale coup et brutalement ramenée dans le présent je pouvais tout en craindre, tout imaginer. Un malaise me vint. Les prémices d’une terreur d’où émergèrent des notions de conscience qui m’avaient échappé.
 
Jusqu’à l’instant du rendez-vous Esther avait dirigé la manœuvre jusqu’à me rire discrètement au creux de l’oreille avant de se volatiliser. Négligeant les caprices d’un orage alternatif qui recouvrait la région par moment elle m’avait conduit bras sous bras jusqu’à l’entrée de cette salle, à la manière d’une chatte se mouvant dans la nuit, la traversant sans hésitation. Puis, elle me planta dans la rumeur d’une conversation étouffée. Avec elle je venais de franchir le seuil du restaurant comme on pousse la porte d’un drame, sans le savoir. Dans cette position d’acrobate volant sous la cime d’un cirque sans savoir si le filet sous lui était tendu ou non j’ai eu envie d’avancer la main, d’essayer de toucher un meuble, un objet quelque chose ou quelqu’un dans la pénombre capable d’adoucir mes inquiétudes, au mieux de ressentir cette excitation presque ordinaire qu’une bonne surprise m’attendait. Seulement mon dernier anniversaire avait déjà cinq mois passés et aucune date importante ne me semblait mériter un tel accueil. Ce fut alors que je me mis à envisager autre chose.
 
Dedans, la chaleur et l’obscurité commencèrent à m’étouffer. Le vent tentait de pénétrer par les joints de la véranda en sifflant. Depuis le matin je l’avais vu écorcher la plage et ralentir la mer dans ses fuites en arrière. Tout s’était finalement abandonné lâchement à ce sale temps qui s’agitait sur les environs depuis mon arrivée. Seul l’espoir du retour rapide d’Esther m’empêcha de vaciller dans cette nuit enflée de partout. Je n’avais plus qu’un seul désir, que la lumière revienne vite pour enfin savoir de quoi ou de qui j’avais peur.
 
Soudain, une musique perça. Était-ce elle ou cette angoisse grandissante d’être bientôt démasqué qui me fit trembler de plus en plus fort ? Le volume était accablant. J’ai hésité un pas en arrière. Une illusoire retraite. Je prévoyais maintenant le pire. C’était toujours pareil, une fièvre honteuse me brûlait chaque fois que ma supercherie semblait mise à mal et il n’y avait que moi pour comprendre l’ignominie de cette force qui me tordait le ventre. Depuis la disparition de Patrick tout me conduisait à cette fin. C’est quelque chose que j’avais accepté mais j’en repoussais l’instant. Je ne devais pas le redouter non plus puisque j’en étais responsable. Seulement l’accident m’avait fait oublier la véritable peur, celle pour laquelle on n’est pas préparé, que l’on ne reconnaît pas de ne l’avoir jamais croisée ni jamais ressentie. Toute ma vie reposait sur cette paix superficielle et elle venait de là ma peur, pas du noir.
 
 
 
2
 
 
 
C’est le récit d’une mouche qui meurt. Il lui faut un chapitre entier pour ça. Son agonie me touche. La page est pliée à l’endroit de son dernier souffle. Sur la jetée tout à l’heure avant de rejoindre Esther, j’ai revécu l’instant de mon départ. La veille et ses incertitudes. Mes ultimes heures chez moi, à Nevers me revinrent à l’esprit. Il était près de midi. Je venais de relire ce passage du livre consacré à l’agonie de l’insecte. La page d’après la mouche était sans doute morte et Duras probablement ivre mais je n’ai jamais lu la page d’après. L’été où je l’ai aimée, Loren chantait Capri c’est fini d’Hervé Vilard. Plus tard, Duras écrivit dans Yann Andréa Steiner que Capri était maintenant bien terminé. Aujourd’hui j’habite la rue qui porte son nom à Nevers. Resnais y tourna Hiroshima mon amour . Pour moi, Capri ne sera jamais fini. Mais habiter ici fut tout sauf un hasard. Patrick en était devenu proche, lisait beaucoup Marguerite Duras, s’inspirait de sa discipline phonétique pour pondre ses propres textes. J’ai gardé tous ses livres. Dans la rue, dans l’appartement, elle pouvait se balader chez elle, lunettes au bout des yeux, un gilet de laine sur les épaules, une cigarette soudée aux lèvres, un verre posé dans chaque pièce. Patrick avait acheté ce duplex cossu ancré dans les murs épais d’un ancien hôtel particulier avec les droits d’auteur de son deuxième disque d’or. J’en avais hérité sans bataille, avec son imposante locataire.
 
Hier nous étions vendredi.
J’avais prévu de partir pour midi trente. Je prévois toujours. Bien que ça ne serve à rien parfois, je prévois encore. J’aime ce sentiment de posséder une longueur d’avance sur ce qui doit m’arriver, de maîtriser l’heure à venir. Une manière de mettre à ma main la discipline de ses aiguilles. La seule possibilité de pouvoir éloigner l’échéance de cette vérité qui finirait bien par s’imposer. Pour Saint-Aubin-sur-Mer c’était acquis, je serais plus à l’heure que d’habitude. Mieux que son enfant j’allais redevenir son petit homme. Celui qui la désirait encore, qui avait grandi par son sein nourricier. Elle qui fut la source de toute mon existence. Elle qui m’avait appris la vie, l’autre, celle que l’on ne rêve plus d’avoir tout rêvé croit-on à cet âge. Rien ne m’arrêterait cette fois. J’avais encore abandonné l’idée de sauver la mouche. J’ai plié le livre soigneusement prenant soin de ne pas écraser l’insecte puis je suis revenu dans l’entrée remettre en place ce tableau de Serge Reggiani qui penche toujours du mauvais côté. Des verts juxtaposés pleins de violence et d’excès. Que la porte s’ouvre ou se referme cette peinture penche, rebelle et sincère, des qualités qui depuis l’accident, m’étaient défendues.
 
 
 
3
 
 
 
La musique lentement se tut.
On fit du bruit derrière moi.
Légèrement et à l’évidence malencontreusement. Une chaise que l’on pousse et qui grince sur du carrelage. En tournant la tête, trahies par la petite lune grise, j’ai distingué des ombres, les premières, dans le contour d’une porte. Je n’étais donc pas seul. Elles se muaient indifférentes à l’obscurité. La rétine de mes yeux s’adaptait lentement et j’ai murmuré interrogatif, « Esther… ». Sans écho. Les secondes me parurent interminables. Je devenais anxieux, impatient, remué de frissons incontrôlables quand la musique de nouveau s’intensifia. Les accords suivants résonnèrent si forts qu’ils suffirent à épouser mon inquiétude. M’arrachant à cette drôle d’impression je reconnus instantanément dans le piano brillant le générique d’une émission de télévision très populaire. Jamais je n’aurais imaginé ce que je craignais tant.
L’ Aveu, le talk-show le plus attendu du moment, huit millions de téléspectateurs en moyenne, Patrick aurait adoré y participer. Pour moi l’ Aveu devenait un terminus invraisemblable. D’avoir tellement repoussé cette possibilité de me faire attraper j’étais capable de prévoir le moindre détail qui découlerait d’une telle catastrophe. L ’Aveu était plus qu’une simple émission télévisée, c’était un exercice et la notion même d’exercice me déplaisait. Une souricière pour qui avait des montagnes à mettre au monde. J’en avais une, d’une taille insoupçonnable. Pendant vingt ans mon seul vrai souci fut de toujours tout anticiper pour que c

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