La petite fille qui voulait aller à l école
126 pages
Français

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La petite fille qui voulait aller à l'école , livre ebook

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Description

« Il y a des choses qui reviennent souvent dans ma tête et que je préfère oublier. Ces choses qui reviennent à la mémoire et qui dérangent. Je n'étais qu'une enfant restavek parmi tant d'autres, un pantin comme les milliers de pantins qui vivotent dans ce pays. [...] Être accueilli et transformé en petit esclave n'est qu'une des fatalités. Le pays a surtout besoin d'un peu plus d'âmes charitables. » Ce récit bouleversant retrace la vie d'Ève Édouard, jeune fille qui voit son destin basculer lorsqu'elle tente d'échapper à une existence misérable à La Savane. Trompée et vendue en tant que domestique, la difficulté de ce nouveau départ n'a d'équivalent que dans le traitement qui lui est réservé par la maîtresse de maison. À travers cette chronique sans concession, l'auteur dévoile une page sombre de l'histoire d'Haïti, dénonçant avec justesse et sensibilité la condition de centaines de milliers d'enfants. À la fois reflet de cette jeunesse abandonnée et symbole d'espoir, le parcours d'Ève s'impose comme une véritable leçon de persévérance.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 mars 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342160086
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La petite fille qui voulait aller à l'école
Wislène Hyacinthe Norcéide
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
La petite fille qui voulait aller à l'école
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
En souvenir de tous les enfants qui m’ont rendu service dans le passé.
Pour tous les enfants qui ont soif d’une vie meilleure.
Pour tous ceux qui luttent contre la domesticité en Haïti et dans le monde entier.
Pour tous les enfants qui vivotent dans la rue.
Pour tous ceux qui cherchent une cause, plus de 300 000 enfants sont des enfants esclaves en Haïti.
 
Je dédie ce livre à mon conjoint, mon complice, Michel Hervé Norcéide.
À mon fils Mitch et ma fille Whitney.
À ma mère Grâce-Marie Louis Hyacinthe qui veut changer le monde en éduquant un enfant à la fois.
Prologue
Je ne voulais pas assister à ses funérailles. Il y a tant de choses que je ne veux pas. Il me semble que certains faits influencent nos décisions : le destin, peut-être. Mais il y a des gens. Ces gens qui font partie de nos vies ; ces gens qu’on aime et qu’on déteste côtoyer.
Je ne peux vous dire le nombre de fois que j’ai souhaité sa mort. Combien de fois je l’ai tuée de mes propres mains, en la regardant se tordre de douleur jusqu’au dernier souffle ! Mais, en voyant Mme Reyna Desmangles s’installer dans cette horrible boîte en métal, j’ai retenu ma respiration pour ne pas hurler. Ma-dame ! C’est ainsi qu’elle voulait que je l’appelle. Certaines fois, cela valait même un coup de pied, une gifle ou quelques paroles désobligeantes qui me réduisaient à une moins que rien. Ce n’était pas seulement pour cela que j’ai été maltraitée, chiffonnée, flagellée physiquement et moralement. Il y a tant de choses que je ne faisais pas correctement. Certaines fois, je me suis demandé quel genre de vie menait une vraie enfant. Car je n’en étais pas une : je n’étais qu’une adulte précoce, un petit robot programmé à l’exécution simultanée de commandes précises que madame approuve.
 
Dave Desmangles, son mari, se laisse aller. Il éponge ses yeux, luttant contre son chagrin. Bien que les gens parlent d’infidélité, il adorait sa femme. Elle était choyée et respectée. Elle avait la vie que seuls quelques fortunés peuvent se permettre. Pourtant, elle s’est laissée détériorer jusqu’à la mort. À bien y penser, cette aisance ne lui a pas procuré le bonheur souhaité.
Fabrice et Maya, se tenant par la main, s’appuient l’un sur l’autre. Une habitude qu’ils nourrissent depuis leur enfance. Maya m’invite à prendre place à côté d’elle. À cet instant, j’imagine madame monter ses lèvres en un mouvement de désapprobation. Elle n’aimait pas me voir proche de ses enfants et de son mari. J’approche avec prudence. Elle voulait m’exclure à tout prix de sa famille. Maintenant qu’elle n’est plus là… Hantise ! Je garde encore la sensation de sa présence aussi lourde qu’un poltergeist. Je ressens des frissons, mais surtout une tristesse incommensurable qui se glisse au creux des tornades de mon passé, d’une partie de mon enfance et de mon adolescence. Les années volées de ma jeunesse ont disparu dans la lutte d’une liberté aussi inaccessible que la planète Mars. Être au milieu de cette famille ravive des souvenirs, ces fantômes qui, par souci d’un bien-être permanent, devraient rester enfouis dans mon inconscient.
Je me mords les lèvres. Je fronce les sourcils. Je n’ai pas le droit de pleurer. Je ne veux pas réveiller madame. Elle m’insultait en me disant que ma laideur pouvait la ressusciter, tant j’étais laide quand je me mettais à pleurer. Une réflexion terrible précédée de tous les faits irrationnels que projetaient ses névroses. Cette pensée lâche un peu les nœuds qui m’oppressent. Je souris en pensant à toutes les méchancetés qu’elle a dû proférer par moments pour me déshumaniser.
 
L’église, feutrée comme une matrice, est remplie d’hommes et de femmes. Les gens considéraient Reyna Desmangles comme une personne estimée de la communauté. C’était une mère formidable. Avant la naissance de ses deux enfants, elle avait été comptable. Elle avait laissé son travail pour prendre soin d’eux, compensant l’absence de leur père trop souvent en voyage d’affaires.
Quant à Dave Desmangles, très bel homme âgé de quarante-cinq ans, il est l’un des hommes d’affaires les plus influents de la région. Ayant accumulé plusieurs diplômes au pays et à l’étranger, il a choisi de s’installer en Haïti dans le but de créer des emplois et de servir la communauté. Très respecté et très apprécié, il est réputé pour son sens de la générosité, son attention envers les démunis et sa passion pour la justice.
 
Ils sont nombreux à montrer leur sympathie envers la famille. Les jeunes femmes guettent Dave Desmangles comme une proie à apprivoiser. Elles veulent toutes l’approcher, le consoler. Tout le monde s’accorde pour dire qu’il est un coureur de jupons, mais il y a peu d’élues. La seule maîtresse connue est Shirley, une infirmière pétillante et pleine de vie. Elle a soigné madame durant ses derniers jours. Elle venait tous les jours après le départ de monsieur pour lui tenir compagnie et partait avant son arrivée. Les rumeurs veulent que Mme Reyna eût fait appel à elle parce qu’elle voulait mettre les choses au clair.
 
Madame venait d’avoir trente-neuf ans quand on lui a diagnostiqué un lymphome à un stade avancé. Si tout le monde choisit la quarantaine pour faire une crise ou pour changer de vie, elle a choisi de mourir. Elle refusait tout traitement, voulait mettre fin à une comédie qui avait trop duré, comme elle aimait répéter. Le châtiment et la souffrance causée par la maladie l’ont béatifiée. Avant sa mort, elle s’est rachetée : elle m’a présenté des excuses. Je demande à Dieu d’avoir pitié de son âme, une phrase qui implore le pardon. Mais je comprends : si je ne lui pardonne pas, c’est moi qui vais me retrouver prisonnière. Certains actes libèrent les bourreaux et emprisonnent les victimes.
Le prêtre commence la cérémonie par un éloge à madame : une femme chaleureuse, une épouse adorable et une mère aimante. « Et moi, dans tout cela ? » aurais-je voulu crier. Je me rends compte que je n’existe pas. D’ailleurs, je n’ai jamais existé. Pendant mes années de domesticité, je n’étais plus qu’un fantôme qui essayait de lever la tête de temps en temps. Je jette un coup d’œil sur ma peau perforée de cicatrices. Je ressens encore les écorchures. Pour répéter les citations célèbres des Haïtiens : « Les tortionnaires oublient facilement, mais les victimes portent des marques indélébiles. »
 
Quelle importance ? Madame n’est plus. Peu importent l’enfer, le purgatoire et toutes ces paroles ecclésiastiques qui nous permettent de rester sur nos gardes ; les chrétiens s’occupent-ils vraiment de faire la différence entre le bien et le mal ? « Ce n’est ni le lieu ni le moment », me dit l’autre partie de mon cerveau qui garde toujours le moral quand les choses s’annoncent difficiles. Laisser les morts ensevelir les morts, c’est aussi valable pour toutes ces choses passées. Madame n’est plus de ce monde : il faut oublier toutes ses fautes. Parler du mal des morts porte-malheur.
Il y a des choses qui reviennent souvent dans ma tête et que je préfère oublier. Ces choses qui reviennent à la mémoire et qui dérangent. Je n’étais qu’une enfant restavek 1 parmi tant d’autres, un pantin comme les milliers de pantins qui vivotent dans ce pays. Il y en a trop, en Haïti. L’industrie les fabrique en trop grande quantité. Il y a les enfants des coïts d’un soir pour quelques gourdes 2 , les enfants des viols collectifs, les enfants de l’insécurité, les enfants de la pauvreté, les enfants de l’ennui, les enfants de la corruption, les petites victimes de la politique, les orphelins de la mer et de la frontière, les abandonnés, les opprimés et les laissés-pour-compte, tous livrés à eux-mêmes. Les inégalités sociales béantes jouent des tours. Être accueilli et transformé en petit esclave n’est qu’une des fatalités. Le pays a surtout besoin d’un peu plus d’âmes charitables.
 
Ces funérailles m’ont plongée dans la tourmente. Alors que madame a pris son envol pour le pays sans chapeau 3 , je me trouve devant un passé néfaste auquel je ne peux plus rien. Les souvenirs se bousculent. La chorale entame une chanson triste ; sons et paroles se mélangent pour faire rentrer les gens au plus profond de leur âme. Voilà bientôt trois ans que je suis libérée du joug de la servitude. Cependant, ma tête emprisonnée ravive ces moments douloureux qui n’auraient jamais dû exister. Mon corps estampillé jusqu’aux cinq sens me rappelle sans cesse cette injustice avec laquelle je devais composer et que des milliers d’autres sont en train de vivre présentement. Ces petits êtres humains, ces êtres détestables aux yeux des maîtresses, qui pensent contrôler leur destin. La lutte pour l’égalité prend forme dans ces maisons où les grands écrasent les petits.
Pourtant, aussi tragique, aussi dramatique et aussi terrible qu’ait pu être mon histoire, maintenant que j’écris ces lignes, je me rends compte que la vie n’est qu’une pyramide avec des tas de problèmes, les uns plus grands que les autres, et que nous ne sommes que des pions dans la vie des autres. Selon l’échiquier, nous pouvons leur apporter du bonheur et du malheur dans ce vaste monde de fous ; nous pouvons être ceux qui jouissent ou ce

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