La Route de T.S.F.
308 pages
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La Route de T.S.F. , livre ebook

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Description

Cet ouvrage fait l'éloge de la femme martiniquaise. Il s'inscrit dans une particularité que l'on retrouve dans certaines sociétés ; précisément celles qui ont été concernées par, et qui ont subi l'esclavage : c'est le régime matrifocal. Il est en effet courant que la femme antillaise se retrouve seule, en charge de la famille : de son éducation, de son entretien, de son alimentation, etc. La femme martiniquaise est par conséquent très tôt, consciente de ses responsabilités ; endossant malgré elle toute « la charge familiale », elle vient en cela à jouer un rôle essentiel voire central, dans cette société. D'où ses surnoms de « poteau-mitan », de « femm' douboutt », de « mâle-femme » ou de « maîtresse-femme »...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 octobre 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414120352
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-12033-8

© Edilivre, 2017
Première Partie
Chapitre 1 Saison carême
Comme il fait chaud en cet après-midi de carême. Les grandes personnes, minérales, mollement affalées dans un coin d’ombre, semblent gésir dans leur éternel « pliant-toile-de-jute ». Elles sont pareilles à cette engeance reptilienne à la recherche d’une rare fraicheur, qui s’abandonne elle aussi immobile, sous le toit des maisons : petits anolis verts dissimulés çà et là dans les recoins d’un plafond vermoulu, ou sous le rebord d’une fenêtre. Marbouyas translucides. Gros lézard-iguane à excroissance gutturale d’un jaune vif, se recroquevillant dans l’encadrement d’une reproduction de Vermeer.
Il y a cette masse incandescente qui vous accable. Suffocante. Elle a le pouvoir de, lentement, vous anesthésier. Puis, si vous n’y prenez pas garde, insidieusement, vous terrasser. D’abord, subrepticement, elle vous immerge dans un doux rêve aqueux. Puis perfide, elle vous entraine dans les profondeurs abyssales d’une irréversible syncope. Alors, sans crier gare, elle parvient à dérober sans trop de peine, toute votre vitalité.
Une seule solution s’impose pour ne pas vous retrouver pris dans les griffes de ce spectre sournois qui, coûte que coûte, veut vous maintenir à sa merci : c’est de rechercher définitivement asile auprès de l’un de ces généreux manguiers feuillus ; ou sous l’un de ces rarissimes mais ô combien charitables mahoganys centenaires aux infinies ramures.
Se préserver d’une chaleur sèche et lourde devient une obligation. La survie.
Vous retirer. Vous mettre à l’abri. Rechercher… trouver la fraicheur.
Quand on parle chaleur étouffante, il faut imaginer l’astre du jour qui s’acharne sur l’asphalte et qui tape sans répit sur les tôles ondulées des maisons. Résister pour survivre. Il faut penser fontaines étourdies qui tarissent dans « un-enterrement-sans-sonner ». Méditer sur les rivières qui subitement, cessent de « chanter-l’eau-vive » pour laisser place à d’inconfortables lits de roches.
Il faut évoquer sans nostalgie les feuilles naissantes « désséchées-là-même-sur-place » laissées sans aucune chance, qui pourtant s’agrippent « tremblantes-corps-et-âmes » à leurs défuntes branches. Mais surtout, il faut garder à l’esprit le vital anéanti depuis belle lurette : la production éthique d’un jardin créole. Martyre. Avoir à l’idée ces fruits à pain atteints de consomption qui, « fleurs-totote-coulées » se laissent choir : fleurs légères sevrées avant maturité. Et l’essentiel. Le vivrier qui décroit, peine perdue : patates-douces racornies, bananes plantain rachitiques, tarots rabougris, choux-madère chétifs, châtaignes avortées, manioc malingre…
Prendre en considération les sacrifices des uns et des autres s’épuisant à abreuver un bétail sursitaire, ou en proie à de terribles cachexies. Les éreintants « charroyer-de-l’eau ».
Quant aux prières ou, supplications sans réponse à des saints devenus incompétents… comme elles semblent creuses, insensées, vides. Vaines.
Enfin, se rappeler ces gros nuages increvables et narquois qu’on voit venir de loin dans un éclair de joie, qui passent leur chemin ricanant – grosses voix grondement de tonnerre –, et qui lentement s’en vont, maudits, sans égard ni pitié. Il ne faut pas ignorer la vie éprouvée, menacée ; la terre condamnée… le tout compromis, pour un « pas-assez-d’eau ».
En ces après-midis mortels rythmés d’étouffement et de petites sueurs – en réalité, ceux de jours comme les autres –, on entend un peu comme dans un songe fuser ici et là, la vie.
Elle prend forme – le plus souvent –, au travers des cris aigues et surchauffés d’une marmaille oisive s’adonnant à des jeux le plus souvent, improvisés. Ou encore, « plus-rarement-que-souvent », elle surgit via la voix d’une courageuse pauvresse à la recherche d’une existence. Une malheureuse qui par tous les moyens cherche la vie, pour échapper à la déveine.
Faire vivre la vie dans une canicule sans fin. Une canicule éternelle.
– Bien grillé ! bien grillééééééé ! Tablette coco, nougat pistache, bonbon-chouval, filibos, lotchios… Bien grillééééééé !…
– Bien brûlééééééé ! Kia, kia, kia !…
Le petit « chabin-tiqueté » turbulent et moqueur de la route de T.S.F, ne peut comme à l’accoutumée s’empêcher d’importuner Léanise. Dire que la malheureuse dont la réputation n’est plus à faire – étant donné l’excellence et la variété de ses douceurs – « descend-à-Fort-de-France » chargée mais surtout, éreintée, après de rudes journées passées à confectionner des sucreries, griller des arachides et réaliser les nombreuses autres spécialités pays.
Elle est belle la dame avec sa longue robe titane ; hibiscus rouge sang, alamandas d’or. Belle, parée de son immaculé « jupon-cancan-broderie-anglaise », qui négligemment en dépasse. D’un geste gracieux, furtif, elle le remonte côté gauche de sa large croupe. Son port est élancé, sa démarche, rythmée. Cadence saccadée d’une jolie calenda… Sa peau – superbe, noir de jais à la brillance quasi métallique –, semble si douce. Un court collier chou délimite son long cou gracile, surmonté d’une tête digne et hautaine. Et sa poitrine généreuse dont tant de marmaille a profité. Et ses longues mains calleuses qui ont tant travaillé. Vieille manman – foutt –, que les luttes interminables de la vie n’ont que peu flétrie. Femme battante. Maîtresse femme, on le sait.
Fafane, comme tous les garçonnets de son espèce – que voisin Louis nomme « homme tôtôy », catégorie hors pair de bambins remuants et insupportables –, n’est certes pas le premier à l’accabler en plaisanteries, quolibets et autres enfantillages ; et encore moins le dernier, à la faire perdre courage et patience.
– Ça ne fait rien ! répond pour la énième fois Léanise, affichant un semblant de sourire mêlé d’indifférence.
Alors, redoublant d’ardeur, la voilà qui change automatiquement de registre vocal, augmentant d’un peu plus son intensité sonore.
– Bien grillé !… Eh ben Man Adeline, on prend le frais ?!
– Ah, c’est toi Léanise… Je faisais une petite sieste. La chaleur est tellement lourde aujourd’hui, que je n’ai pu m’empêcher de m’assoupir pendant ma lecture… Qu’est-ce que tu as dans ton panier aujourd’hui ? As-tu pensé à mon sirop de batterie ?
– Je ne t’ai pas oubliée, non… tiens ! Sinon j’ai fait des « filibos » ; tu prends un ti paquet han ? Et puis tu sais que mes cacahuètes sont toujours bien grillées, tu veux deux cornets ? Ces jours-ci, la vente ne donne pas. Et puis ça me fatigue tellement de « monter-descendre » toute la journée sous le soleil chaud !… Tiens, je te mets une belle poignée dessus…
Comment dire non ? Comment refuser la vie à ces manmans qui de l’existence, ne connaissent que lutte et débrouillardise ? Ces négresses vaillantes, méritantes, courageuses, malgré la rudesse de leur quotidien.
Femmes debout, mâles-femmes, poteau-mitan. Filles-mères le plus souvent.
Mais manmans-courage. Manmans-combat. Manmans-espérance.
Manmans-destin seules face à l’adversité. Labourant la vie, semant une graine d’espoir, faisant germer puis croître en leur progéniture, l’espoir de lendemains meilleurs. Lendemains de réel partage, où les bonnes choses de la vie ne seraient pas l’apanage d’une minorité, mais le bien de tous : Un vrai lendemain.
Je vous revoie « maitresses-femmes » bravant la malédiction des jours sans et des aléas. Vous, abandonnées par vos « papas-zenfants », seules à vous débattre dans une misère-sœur, marchant pieds nus dans la panade, « une-main-devant-une-main-derrière » ; ratissant la terre entière pour trouver l’aubaine d’un ménage par-ci, un petit travail mal payé par-là… merci seigneur !
Je vous revoie vous grattant la tête sur un réfléchir « avec-beaucoup-de-si-et-de pourquoi », au sujet du mangé des enfants : « où trouver-une-monnaie ? ». Vous arrachant les cheveux : « à-qui-demander-prêter » pour un « tant-pis-si-ou-plaît » ? Vous faisant des cheveux blancs et un sang d’encre. Car perdues dans le flot d’un voisinage indiscret, vous hurliez en vous-même la solitude. Alors, votre fierté déguisait l’aubaine d’une récolte de fruit à pain, de mangues, de coco-secs ou de quelques prunes tombées au bord de la route, en un « ramassage pour cochons ». Nul n’ignorait que vous iriez plus loin les revendre ; ou qu’invendus, ces fruits de saison serviraient chez vous de pitance. Cette même fierté vous poussait à mentir ou à fermer les yeux sur la réalité : dignes, vous ignoriez votre déveine pour laisser une chance à la chance, de la vie à la vie, de l’espérance à l’espoir.
La marchande de bonbons, experte en une redoutable technique de vente, mêle habilement flatterie, pleurnicherie, paroles creuses ou persuasives ; fine méthode qu’elle élabore et met au point progressivement, en fonction du client ; et surtout, tactique à laquelle peu de personnes finalement, résistent.
– Mais oui, ma chère ! Tu sais très bien que je ne peux rien te refuser : il faut toujours que je te fasse vendre un petit quelque chose. Donne-moi aussi deux nougats-pistache pour mon mari… ça fait combien en tout ?
Et la douloureuse tombait en douceur, mêlée à une avalanche d’éloges sur ma soi-disant beauté mythique de « calazaza » ou de « chabine-mulâtresse-grand-cheveux »… ; ou mêlée à des compliments sur la tenue irréprochable de ma maison. Tout cela arrosé de rires gras, sonores. Creux.
Chabin, chabine…
Quoique le métissage existât depuis la nuit des temps, c’est pendant la période esclavagiste que furent stigmatisés aux Antilles les dits « mulâtres ».
Ce phénomène qui se développa progressivement, devint problématique – notamment pour le clergé –, à mesure qu’il prit de l’ampleur dans

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