La vie infernale
572 pages
Français

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La vie infernale , livre ebook

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Description

Emile Gaboriau (1832-1873)



"Se venger !...


Telle est la première, l’unique pensée, lorsqu’on se voit victime d’une injustice atroce, de quelque guet-apens infâme où s’engloutissent l’honneur et la fortune, le présent, l’avenir et jusqu’à l’espérance.


Les tourments qu’on endure ne peuvent être atténués que par l’idée qu’on les rendra au centuple.


Et rien ne semble impossible en ce premier moment, où des flots de haine montent au cerveau en même temps que l’écume de la rage monte aux lèvres, nul obstacle ne semble insurmontable, ou plutôt on n’en aperçoit aucun.


C’est plus tard, quand les facultés ont repris leur équilibre, qu’on mesure l’abîme qui sépare la réalité du rêve, le projet de l’exécution.


Et quand il faut se mettre à l’œuvre, à beaucoup le découragement arrive. La fièvre est passée, on se résigne... On maudit, mais on n’agit pas... On s’engourdit dans son opprobre immérité... On s’abandonne, ou désespère... on se dit : à quoi bon !


Et l’impunité des coquins est une fois de plus assurée.


Un abattement pareil attendait Pascal Férailleur, le matin où, pour la première fois, il s’éveilla dans ce pauvre appartement de la route de la Révolte où il était venu se cacher sous le nom de Mauméjan..."



Suite de : "Pascal et Marguerite"

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782374638140
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La vie infernale
 
II
Lia d'Argelès
 
 
Émile Gaboriau
 
 
Novembre 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-814-0
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 814
I

Se venger !...
Telle est la première, l’unique pensée, lorsqu’on se voit victime d’une injustice atroce, de quelque guet-apens infâme où s’engloutissent l’honneur et la fortune, le présent, l’avenir et jusqu’à l’espérance.
Les tourments qu’on endure ne peuvent être atténués que par l’idée qu’on les rendra au centuple.
Et rien ne semble impossible en ce premier moment, où des flots de haine montent au cerveau en même temps que l’écume de la rage monte aux lèvres, nul obstacle ne semble insurmontable, ou plutôt on n’en aperçoit aucun.
C’est plus tard, quand les facultés ont repris leur équilibre, qu’on mesure l’abîme qui sépare la réalité du rêve, le projet de l’exécution.
Et quand il faut se mettre à l’œuvre, à beaucoup le découragement arrive. La fièvre est passée, on se résigne... On maudit, mais on n’agit pas... On s’engourdit dans son opprobre immérité... On s’abandonne, ou désespère... on se dit : à quoi bon !
Et l’impunité des coquins est une fois de plus assurée.
Un abattement pareil attendait Pascal Férailleur, le matin où, pour la première fois, il s’éveilla dans ce pauvre appartement de la route de la Révolte où il était venu se cacher sous le nom de Mauméjan...
Pour longtemps encore ce devait lui être un moment affreux que celui où, chaque matin, en se réveillant, il rapprenait pour ainsi dire son désastre...
Accoudé sur son oreiller, pâle, la sueur au front, il examinait les côtés politiques et pratiques de sa tâche, et des difficultés se dressaient devant lui, qui lui paraissaient plus difficiles à écarter que des montagnes.
Une effroyable calomnie l’avait terrassé... il pouvait tuer le lâche calomniateur, mais après !... Comment atteindre et étouffer la calomnie elle-même !...
–  Autant vaudrait, pensait-il, essayer de serrer dans sa main une poignée d’eau, autant vaudrait essayer d’arrêter, en étendant les bras, le vent empesté qui apporte une épidémie...
C’est qu’aussi l’espérance sublime qui l’avait un moment enflammé, s’était éteinte.
Depuis cette lettre fatale qui lui, avait été remise par Mme Léon, il voyait Marguerite perdue pour lui sans retour... Dès lors, à quoi bon lutter !... Quel serait le prix de sa victoire si, par miracle, à force de patience et d’énergie il triomphait ?... Marguerite perdue, que lui importait le reste...
Il se disait cela, et en même temps il se sentait pénétré d’un désespoir d’autant plus profond qu’il était calme, et pour ainsi dire réfléchi.
Ah ! s’il eût été seul au monde !... Mais il avait sa mère, il se devait à cette femme énergique dont la voix, une fois déjà, avait fait tomber de ses mains l’arme du suicide.
–  Je me débattrai donc, je lutterai puisqu’il le faut, murmura-t-il, en homme qui d’avance prévoit l’inutilité de ses efforts...
Il s’était levé, cependant, et il achevait de s’habiller quand on frappa doucement à la porte de sa chambre.
–  C’est moi, mon fils ! fit au dehors la voix de Mme Férailleur.
Pascal s’empressa d’ouvrir.
–  Je viens te chercher, lui dit sa mère, parce que cette femme de ménage dont tu m’as parlé hier soir, Mme Vantrasson, est en bas, et avant de l’accueillir je désire ton avis.
–  Cette femme ne te plaît donc pas, chère mère !...
–  Je veux que tu la voies.
Il descendit et se trouva en présence d’une grosse femme, blême, aux lèvres minces et aux yeux fuyants, qui le salua d’une révérence obséquieuse.
C’était bien Mme Vantrasson en personne, l’hôtesse du Garni - Modèle , qui demandait à occuper au service d’autrui trois ou quatre heures qu’elle avait de libres, disait-elle, dans la matinée.
Certes, ce n’était pas pour son agrément qu’elle se décidait à entrer en condition, sa dignité de commerçante en souffrait cruellement... mais il faut manger.
Les locataires n’affluaient pas au Garni - Modèle , malgré les séductions de ce titre, et ceux qui y couchaient par hasard, réussissaient toujours à voler quelque chose. L’épicerie ne rendait pas, et les quelques sous que laissait de temps à autre un ivrogne, Vantrasson les empochait... pour aller boire chez un concurrent. Il est connu que ce que l’on boit chez soi est amer.
Si bien que n’ayant crédit ni chez le boulanger, ni chez le boucher, ni la fruitière, Mme Vantrasson en était réduite, a certains jours, à se sustenter uniquement des produits de sa boutique, figues moisies ou raisins secs avariés, qu’elle arrosait de torrents de mêlé-cassis... sa seule consolation ici-bas.
Mais ce n’était pas « un régime, » ainsi qu’elle le confessait... De là cette résolution de chercher « un ménage » qui lui assurât le déjeuner quotidien et quelque argent, qu’elle se jurait bien de ne pas laisser voir à son digne époux.
–  Quelles seraient vos conditions ?... demanda Pascal.
Elle parut se recueillir, compta sur ses doigts, et finalement déclara qu’elle se contenterait du déjeuner et de quinze francs par mois, à la condition toutefois qu’elle irait seule aux provisions.
Car c’est là que nous en sommes.
La première question d’une cuisinière qui se présente dans une maison est invariablement celle-ci : « Ferai-je le marché ? » En bon français, cela signifie : « Aurai-je du moins quelques facilités pour voler ? » Chacun sait cela, et nul ne s’en étonne... c’est dans les mœurs.
Et c’est là-dessus que se débattent les conditions ; la cuisinière proclamant hautement et du plus beau sang-froid qu’elle prétend voler, les maîtres hasardant quelques timides objections.
–  Je vais aux provisions moi-même, osa déclarer Mme Férailleur.
–  Alors, répliqua Mme Vantrasson, ce sera trente francs.
Pascal et sa mère s’étaient consultés du regard ; cette mégère leur déplaisait également, il ne s’agissait plus que de l’éconduire, ce qui était facile.
–  Trop cher !... dit Mme Férailleur, je n’ai jamais donné plus de quinze francs.
Mais la Vantrasson n’était pas femme à se décourager ainsi, sachant bien que si elle laissait échapper cette place, elle n’en retrouverait pas facilement une autre.
Des gens étrangers au quartier, des nouveaux venus ignorant la réputation du Garni - Modèle , pouvaient seuls introduire chez eux l’hôtesse de cet honorable établissement.
Elle se mit donc à insister, et pour attendrir Pascal et sa mère, entama son histoire, c’est-à-dire une histoire de fantaisie où mêlant assez adroitement le faux au vrai, elle se donnait pour une victime de la concurrence, des démolitions, de la rareté de l’argent, et aussi de la barbarie de ses parents.
Car elle appartenait, affirmait-elle, ainsi que son mari, à une très honorable famille... on pouvait s’en assurer. La sœur de Vantrasson était mariée à un nommé Greloux, relieur autrefois, rue Saint-Denis, qui s’était retiré des affaires après fortune faite.
Comment les Greloux ne les avaient-ils pas aidés et sauvés de la faillite ?... C’est qu’il ne faut rien attendre de bon des parents, gémissait-elle ; ils vous jalousent et vous caressent, si vous réussissez ; mais si vous échouez, ils vous repoussent...
Loin de rendre la Vantrasson intéressante, ces doléances donnaient à sa physionomie déjà ingrate quelque chose de faux, de suspect et d’inquiétant.
–  Je vous l’ai dit, interrompit Mme Férailleur, c’est quinze francs... à prendre ou à laisser.
La mégère se récria. Elle consentait à rabattre cinq francs de ses prétentions, mais plus... impossible.
Fallait-il regarder à dix francs pour s’assurer un trésor comme elle, une femme établie, honnête, qui n’avait pas sa pareille pour la propreté, et comparable au caniche pour le dévouement à ses maîtres.
–  Sans compter, ajoutait-elle, que j’ai été une fine cuisinière, dans mon temps, et que je n’ai pas trop perdu... Monsieur et Madame seraient contents de moi, car j’ai vu plus d’un gros seigneur se lécher les doigts de mes sauces quand j’étais au service de M. de Chalusse...
Pascal et sa mère ne purent s’empêcher de tressaillir à ce nom, mais c’est d’un ton d’indifférence bien jouée que Mme Férailleur dit

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