Le Carnet de déroute
192 pages
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Le Carnet de déroute , livre ebook

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Description

Du Québec au Mississippi, écrire pour fuir l'ordinaire de sa propre vie. Manfred avait tout, se retrouve avec rien. Et pourtant... « Je n'ai jamais été un homme d'action. Je n'ai jamais été un chef. Leader de rien du tout. J'admire ceux qui, dans le cœur de la bataille, gardent les idées claires, réfléchissent rapidement, prennent de bonnes décisions ; ceux que les autres suivent aveuglément jusqu'à la mort, les adulés, les médaillés de guerre et ceux dont les actions en font des héros instantanés. Je fais un mauvais combattant parce que j'ai besoin de temps, je dois penser à mes coups, les calculer, faire des essais et je dois être certain de leur efficacité. Alors j'ai le temps de mourir trois fois face à un barbare, un ennemi ; je n'aurais pas vécu vieux dans le médiéval. La guerre, c'est pour les autres. C'est pour ça que j'aime jouer aux échecs lents. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 novembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342044508
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Carnet de déroute
Cold Berriganovitch
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Carnet de déroute
 
 
 
À Michel-Georges Micberth
Le seul qui y a cru
&
Annick Morel
Pour sa réconfortante présence
 
Affection profonde
 
 
 
«  Un individu qui n’a jamais livré le combat de la vie ordinaire, qui, une fois sorti de l’école, sur le rail droit de la prise en charge, et pour le reste de son existence, ne peut rien comprendre à ce qui l’entoure. Strictement rien. Ce sacro-saint besoin de sécurité que les parents soucieux du bonheur de leurs enfants ont imposé à la morale collective est un véritable cancer de l’esprit et de l’action.  »
Michel-Georges Micberth [Postface Le Pieu Chauvache 1990]
 
 
 
Préface
 
 
 
Déroute : nom féminin (ancien français desrouter , disperser, de route) désastre financier, social, politique ; échec complet.
 
Arrive un âge où l’homme – pas trop bête, mais juste assez – s’interroge sur sa réussite personnelle. Mais quels sont les repères lui permettant d’affirmer (ou de croire) avoir réussi ? L’accumulation de biens matériels, ne jamais avoir perdu son emploi, un mariage qui ne s’est pas encore écroulé ? Être hétéro ? (oui oui) Posséder une maison plus grosse et plus luxueuse que celle de son voisin avec une piscine ; deux enfants pas trop mal élevés et qui feront leur médecine, un cercle d’amis qui ont réussi ; eux aussi ? Ne jamais avoir été condamné pour un crime, toujours avoir agi avec morale et honnêteté ? Avoir voté à gauche, contre vents et marées… Je ne sais pas…
Si ça se trouve, à ce compte-là, je connais des gens d’une honnêteté et d’une morale irréprochable, pour qui la vie fut d’une saloperie sans bon sens, qui se firent prendre par-derrière – sans consentement et à sec – par les pires profiteurs que la société a engendrés. Des gens qui ont bouffé du pain noir à chaque fin de mois alors que d’autres jetaient caviar et foie gras à leur chien pure race. Des hommes fiers et cocus jusqu’au trognon, de bonnes mères abandonnées par leur maquereau de mari… De bonnes familles humiliées par la déchéance de leur progéniture.
J’ai posé la question à Bill le Polonais, mon seul ami.
« Réussir ? c’est n’pas échouer… » qu’il m’avait répondu entre deux verres de vodka tièdes.
Une réponse pareille, je vous jure…
L’échec d’une vie est un triste état de fait, un constat qui se fait en vieillissant. Ce sont les répercussions aux divers choix que nous avons faits au fil des ans. Échouer, c’est de ne pas avoir atteint les buts que l’on s’était fixés ; sans tenir compte des standards établis par la société. Pour certains, l’échec viendra après une période glorieuse de réussite alors que pour d’autres, la réussite se pointera le bout du nez après une série noire d’échecs consécutifs.
Les parents déprimés qui voient leur fils s’enfoncer dans une vie de débauche, dans le crime (ou la politique) n’ont pas échoué ; leur fils a fait ses choix, lui seul en répond. Nous sommes tributaires de notre propre réussite aussi bien que de notre échec.
Bill ne fut pas surpris par ma réplique.
« Non mon gros, échouer c’est ne pas avoir fait les efforts pour réussir… »
 
Les misérabilistes vous parleront de malchance. De malchance et du non-contrôle qu’on a sur certaines situations. Je n’y crois pas : nous sommes ce que nous décidons. Il m’a fallu passer par bien des épreuves pour m’en rendre compte.
Je ne sais toujours pas si j’ai réussi…
Si je réussirai.
 
 
 
Chapitre 1
 
 
 
«  Il vous vient quelques fois un dégoût d’écrire en songeant à la quantité d’ânes par lequel on risque d’être lu.  »
Paul Léautaud
 
 
Assis sur une roche, face à ce magnifique fleuve vaseux qu’est le Mississippi ; puant la carcasse de poisson-chat bleu, puant le jonc détrempé, les déjections d’un million d’abrutis et puant tout ce que l’homme a de plus mauvais à faire sentir. Fatigué, je combats un violent spleen qui me ravage depuis trop longtemps. Je n’ai pas le goût d’écrire pour vous plaire. Pas le goût d’écrire pour me plaindre de quoi que ce soit, pour que vous ayez pitié de moi ou que vous ayez la moindre compassion… J’écris parce que j’aime les mots, parce qu’ils ont la gentillesse de me faire oublier, un petit instant, ce que je suis vraiment… Écrire ne soigne pas le moindre mal, il le fait vivre.
Adieu…
Manfred Stahl
 
P.-S. Mon épitaphe expliquera peut-être un peu :
«  Il n’a jamais aimé les gens, c’est eux qui l’ont aimé !  »
* * *
Je plie méthodiquement la feuille en quatre, la cache dans la poche arrière de mon vieux jeans, dans une pile pêle-mêle avec mon t-shirt, mes bas, mes sous-vêtements et mon porte-monnaie. Puis, malhabilement, je dépose une roche pas trop sale sur le tout ; pour être certain que la note ne s’envole pas avant demain matin, quand les pêcheurs arriveront. Je suis seul et flambant nu ; hésitant. Ann arrive derrière moi. Elle me prend la main.
— J’ai fait la même chose il y a vingt-trois ans, Manfred… Je ne l’ai jamais regretté ! qu’elle me dit dans le creux de l’oreille.
— On y va alors ? Elle nage plutôt bien…
* * *
J’ai rien voulu de tout ça. Mais maintenant que tout est fini, je peux enfin prendre le temps d’écrire.
«  Ceux qui écrivent sans souffrir n’écrivent pas, ils racontent…  »
À quatorze ans, comme tous les gars de mon âge – qui n’étaient pas dans le club d’histoire, de pastorale ou d’astronomie ; ces grands clubs réunissant tout ce que le désastre sociétal a de plus beau à offrir – je croyais être promis à un grand avenir : celui de rock star – à la Johnny Ramone. C’était lui mon idole du temps. Un rêve éphémère, un rêve ridicule. Et puis à quinze ans, par fainéantise caractérielle de l’adolescent, j’ai abandonné la guitare et le rêve qui venait avec.
Par la suite, vieillissant trop vite ; allant de mauvais choix en mauvais choix, d’échecs en échecs et sur les doux conseils de parents trop aimants, je suis entré à l’usine par la grande porte. Droit vers la chaîne de démontage cérébrale ! L’abrutissement par le travail ! L’anéantissement de l’intelligence par le répétitif… En peu de temps, je suis devenu un adulte cynique parmi une centaine d’ouvriers désabusés ; prolétaires bêtes, stupides et sans raffinement, alors que moi, j’étais singulier, intelligent et cultivé (enfin, en comparaison). La plupart de mes collègues étaient généralement satisfaits de leur sort, ayant cessé – depuis le second jour de leur embauche – de se poser la moindre question sur ce qu’ils sont vraiment : des mollusques. Ils étaient si laids l’un derrière l’autre, le matin, attendant de poinçonner, les yeux vides, les bras mous le long du corps ; ne souriant jamais, transpirant le manque d’envie de vivre.
Ce fut une période de ma vie que je n’ai jamais aimée. Une période où j’étais tombé sous la protection de la sécurité d’emploi avec une vie familiale sans envergure. Le mot ambition est tabou à l’usine, car il fait peur, il dérange – on ne le mentionne jamais, sous peine de se faire mettre à l’écart, en quarantaine ; le syndicat s’assurant de votre docilité. Péniblement, j’ai subi l’enfer de la vie ordinaire.
Ma seule réussite fut d’avoir marié une femme trop bien pour moi : la sainte . Beau sans être un dieu grec, de carrure moyenne, le seul attrait que j’ai à offrir est le vert de mes yeux ; c’est ce qu’elle m’avait dit. Sans elle, seul, je n’aurais pas passé la vingtaine. Je serais en prison pour le meurtre d’un décérébré, peut-être six pieds sous terre des suites d’une violente crise du foie ou, je me serais possiblement autolobotomisé avec une perceuse électrique parce qu’en dépression. Elle a veillé sur moi mieux qu’un ange, m’a donné trois enfants, m’a fait sourire à quelques reprises, chose étonnante et elle m’a aimé ; chose incompréhensible.
Il y a deux ans, fin trentaine sans un cheveu blanc, gras sans être gros et en mauvaise forme physique, j’ai lâché mon boulot. J’ai réalisé – avant qu’il ne soit trop tard – que je pissais assis comme la plupart des hommes. (Ne me dites pas le contraire, notre genre n’est plus ce qu’il était : aujourd’hui, ce sont les femmes qui ont des couilles.) Aussi, j’ai constaté que je ne bandais plus – quoi que parfois mou – à mon réveil ; que je n’obéissais qu’à une seule et triste loi depuis trop longtemps : celle de la tranquillité d’esprit. Le petit bonheur fait vivre vieux à ce qu’on dit.
Un matin de printemps, je me suis révolté. Comme ça, instantanément ! J’en ai eu plein le cul de leur usine. Une envie de tout foutre en l’air m’a frappée. J’ai décidé que j’allais écrire un livre. Je voulais devenir romancier, m’imaginant vivre seul avec mon ordinateur et mes histoires ; mon monde. Un idéal poétique… Ça s’est mal déroulé. Évidemment.
Alors je me suis mis à écrire sur ma vie. J’ai craché avec fiel et virulence, sur papier, mon trop plein de haine de ce que j’étais devenu, mon ras-le-bol de l’ordinaire. J’ai voulu montrer à la face du monde ce que c’était d’avoir raté sa vie, de n’être qu’un simple et misérable citoyen dans le troupeau ; un pauvre type qui se résigne à payer ses taxes, à baiser deux ou trois fois par mois – les jeudis et samedis principalement, le soir vers 9 heures, offrant une faible éjaculation à la pauvre et se satisfaisant d’un faux orgasme – à ne pas boire trop de café, à surveiller sa ligne parce que c’est ce que le docteur veut et à sourire aux gens qu’il n’aime pas…
 
J’ai écrit tout simplement parce que je voulais cesser d’être ce rien, ce vide, ce néant que personne ne remarque

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