Le Flacon
52 pages
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Le Flacon , livre ebook

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Description

À la veille de la Première Guerre mondiale, dans un salon parisien, Madame reçoit. L'arrivée du Colonel jette le trouble. Les désillusions d'un monde finissant sous le regard de Joséphine, la domestique. L'Eau de Cologne Impériale de Guerlain au cœur de cette histoire délicatement sensuelle.

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 13
EAN13 9782490364015
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0041€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient, D’où jaillit toute vive, une âme qui revient.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal , XLVIII
P rès du lit où fut découvert le corps de Joséphine, dans la boîte en carton où se serraient ses maigres effets, on retrouva le flacon vide. Il était enveloppé d’un mouchoir blanc rayé de bleu.
Madame recevait le premier mardi du mois. Tel était l’usage de la maison.
Mieux que quiconque, la petite domesticité de Madame devait se conformer à l’empire de ce jour car l’après-midi du premier mardi dans ses préparatifs, son déroulement et son dénouement semblait, à lui seul, occuper tout le mois.
L’autre jour, réservé au fils de Madame, était le dimanche. Monsieur Paul en usait cependant avec une grande parcimonie et cela rendait ce jour moins redoutable. Lors des trois ou quatre visites dominicales annuelles qu’il accordait à sa mère, les maladresses ou les manquements, s’ils ne passaient inaperçus, étaient bien mieux tolérés tant Madame était à la joie de retrouver son fils.
Joséphine s’éveilla et resta un moment immobile. Elle s’était réglée au cours de ses longues années de service pour savoir, sans réveil, ni signal, qu’il était cinq heures quarante-cinq. Joséphine savait surtout qu’on était aujourd’hui le premier mardi du mois. Elle considéra un instant la muraille où les domestiques précédents, assurés que cette mansarde ne recevrait jamais la visite de Madame, avaient charbonné d’obscènes graffiti.
De façon à être prête pour six heures, elle jugea le temps venu et, d’un coup de pied dans le ventre, réveilla Mariette qui, contre elle, dormait encore profondément. Aussitôt, parcourant pieds nus le couloir carrelé et en prévention de l’affluence imminente des autres occupants du sixième, les deux femmes se précipitèrent à la fontaine commune de l’étage et s’aspergèrent la figure d’eau froide.
Sans mot dire, elles échangèrent un bref regard. Elles savaient non seulement qu’on était le premier mardi du mois mais qu’il s’agissait du mois de mai, dernier mois de la saison des réceptions chez Madame.
Mariette retourna dans la chambre, passa la blouse noire sur le jupon rouge qu’elle gardait pour dormir et disparut rapidement par l’escalier de service. Elle le dévala jusqu’à la cave pour remonter aussi vite à l’étage de Madame avec les seaux de charbon de bois nécessaire au fonctionnement de la cuisinière.
Restée au sixième, Joséphine prit le temps d’une station à la fenêtre du couloir. Le ciel bas roulait sur les toits de Paris de longues écharpes de brumes sombres. La moiteur matinale n’avait pas reçu, comme hier, le moindre adoucissement et la pluie ne viendrait pas. Par l’étroite lucarne qui donnait sur les pans d’ardoises plantés de cheminées de pierre, elle huma la fraîcheur fétide qui montait d’une courette intérieure mal entretenue où moisissaient des ordures. Alors que les domestiques des autres appartements, sortant de leur galetas, commençaient à envahir le couloir, les uns boutonnant leur livrée, les autres tentant de lacer en marchant leurs bottines ou de ceindre leur tablier, Joséphine rentra quelques instants entrouvrir la tabatière pour aérer la chambre. La lumière du jour naissant, reflétée par la vitre, glissa sur la cuvette ébréchée, la carpette usée, la paillasse du petit lit de fer et s’immobilisa sur les malles de voyage de Madame qui servaient de chaises et où traînait un roman sentimental à la couverture arrachée. Joséphine se plaisait à lire en secret à Mariette, quand la journée ne les avait pas trop assommées, les aventures d’une pauvre fille de campagne sottement éprise du fils d’un riche propriétaire plein de mépris. Sa lecture s’était arrêtée au moment où il lui annonçait qu’il partait pour la ville.
Elle boutonna la robe noire, laça le tablier de soie de même couleur, se chaussa légèrement pour garantir un service silencieux, vérifia les manchettes et, jetant un coup d’œil au morceau de vitre qui servait de miroir, ajusta le petit col empesé de batiste blanc. Ainsi bien apprêtée, elle sortit, ferma la porte à clé, descendit prestement les quatre étages par l’escalier de service et entra dans la cuisine.
La combustion du charbon de bois commençait à rendre plus pesante et pénible la chaleur matinale.
Le chien de Madame manifesta à cette venue une vive satisfaction en jappant et sautant avec frénésie. Joséphine calma l’agitation de la petite bête en la replaçant dans son panier et versa un peu d’eau dans son écuelle asséchée. Mariette achevait de préparer et garnir, pour le premier déjeuner, le plateau de Madame.
Joséphine ouvrit la porte de la cuisine. Le climat frais de l’appartement, les odeurs mêlées de sucre et de cire d’abeille vivifièrent les deux femmes. Alors que Mariette se rendait dans la salle à manger pour préparer la table et disposer le déjeuner, Joséphine emprunta le sombre couloir au bout duquel le petit chien attendait déjà, assis sur son derrière, devant la porte de la chambre.
La jeune femme frappa légèrement deux fois puis, sans attendre de réponse, ouvrit doucement la porte.
« Pour vous servir, Madame », murmura Joséphine.
La chambre de Madame sentait la poudre de riz et la fleur ambrée. La fraîcheur et l’obscurité s’y trouvaient garanties par de hauts rideaux en brocart à ramages cramoisis. La femme de chambre jeta un coup d’œil en direction du lit et aperçut dans la pénombre le désordre du chevet. Un oreiller avait dû glisser pendant la nuit et les bricoles si chères au cœur de Madame avaient été bousculées. La domestique rétablit le petit vase avec sa fleur blanche et redressa le cadre de palissandre entourant le portrait de monsieur Paul en premier communiant. Le jeune garçon y prenait crânement la pause, arborant un large col marin, les bras croisés, orné d’un brassard en ruban de soie blanche terminée par une frange de dentelle.
 
Madame et Monsieur avaient eu une enfant qui n’avait pas survécu à la naissance puis un fils. Monsieur Paul avait sagement grandi dans l’hôtel particulier de ses parents, avenue de Villiers, non loin du parc Monceau. Pour former sa conscience au respect du devoir et au culte de la vérité, il avait été instruit par mademoiselle Marie. De mise simple, discrète et modeste, cette demoiselle était native de Pont-l’Évêque où, cinq jours par an, elle allait retrouver des parents qui vivaient pauvrement des fruits d’un petit verger. Elle n’avait jamais cherché à entrer en relation avec les autres domestiques dont elle partageait pourtant la condition en mangeant par exemple toujours à l’office avec monsieur Paul. Joséphine ne l’avait pas connue, mais il lui semblait qu’elle n’avait guère laissé dans la maison de souvenirs marquants. Madame avait oublié jusqu’au nom de cette jeune femme. Seul, monsieur Paul, pourrait aujourd’hui témoigner de l’existence de Mademoiselle qui partagea pendant près de vingt ans, jour et nuit, la vie de la famille. Mais monsieur Paul ne venait plus guère et ne s’en souvenait peut-être même plus. Madame conservait ainsi symboliquement sur son chevet, une photo de son fils et, tenue par le col d’une fiole en cristal, une petite fleur blanche renouvelée suivant la saison.
 
Alors que le petit chien était parvenu à force de bonds à attraper le drap de fil au revers brodé qui dépassait, Joséphine s’avança vers la fenêtre pour ouvrir les lourds rideaux et faire entrer le jour. L’effort qu’elle devait déployer pour ouvrir ces pesantes tentures brisait ses forces dès le matin, mais Madame tenait à ce rituel qui lui rappelait les fastes de son ancien domicile.
 
Madame avait naguère mené grand train, aux temps heureux où les affaires de son mari s’épanouissaient, florissantes. Monsieur avait fondé sa fortune sur le commerce de marchandises précieuses dans les colonies françaises et le minerai avait servi de support à ses premières transactions. Il maîtrisait assez bien cette matière, étudiée en sa jeunesse, et se reposait sur un étroit réseau d’amis et de connaissances compétentes et dignes de sa confiance. Assez vite, Monsieur se laissa convaincre de se diversifier dans les bois précieux et les ivoires taillés. Les étoffes indiennes, sur une...

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