Le Rubicon
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Description

«?Mais qu'est-ce que la bague de sa grand-mère vient faire au doigt de cette actrice ? Elle est Américaine et habite dans un État proche de l'Ohio. Presbyte, il mange beaucoup de lentilles, il paraît que ça redonne la vue. Pour les yeux, presbyte, hérédité du côté de sa grand-mère. Quand elle avait le nez dessus, elle ne voyait plus rien. Elle ne lisait qu'avec des grimaces. Ne voyait que quand c'était gros, en avait un fichu caractère. Mais tout n'est pas gros malheureusement, et ça, ça lui posait des problèmes. Déjà son grand-père lui-même n'était pas gros, et donc, elle ne le voyait pas. Il fallait que la saucisse soit énorme, sinon elle disait qu'elle n'avait rien dans l'assiette. Quand les Allemands l'ont embarquée dans son fauteuil roulant, elle les a traités de petites bites. En retour ils l'ont traitée de salope. Elle s'est débattue jusqu'au bout à grands coups de canne dans le train. Jamais revue, juste aujourd'hui sa bague sur cette revue. Est-elle allée à Dachau ou à Buchenwald ? Il n'en sait rien. Ce qu'il a appris, c'est qu'elle était montée à Drancy, comme les autres, direction l'Allemagne nazie. Mais après ? Plus de nouvelles.?» C'est 68. C'est le temps du copieux, de l'abondance, de la consommation à outrance, de la télévision qui usine les cerveaux à partir au boulot. C'est le temps du Far-West, des cow-boys et des Indiens, de Mission Impossible qui s'obstine... Le temps d'Israël et de ses rêves... L'histoire d'idéaux, de fantômes du passé, du plus beau rubis du monde. Celle d'un meurtre et d'un procès retentissant... Kaléidoscope décalé d'idées et de genres, Le Rubicon est un roman hybride sur le fil du rasoir, en équilibre perpétuel entre fantaisie et gravité, divertissement et subversion : portée par une plume aussi maîtrisée qu'efficace, une œuvre singulière qui ne peut laisser indifférent.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 juillet 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342054064
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Rubicon
Jean-Luc Ansel
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Le Rubicon
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
 
 
1
 
 
 
UN HONNÊTE HOMME
ACCUSÉ D’AVOIR TUÉ SA FEMME
(Le Monde, février 1970)
 
Les reporters dans la salle ne manquent pas de noter que l’accusé s’avance vers sa chaise avec un sourire moqueur. Ils désapprouvent vivement ce comportement en une occasion si tragique.
Le prévenu ne partage pas leur façon de penser, car, selon lui, la situation n’a rien de tragique. Il la voit, au contraire, comme un fâcheux moment à passer avant d’être acquitté.
Assis sur sa chaise, il revoit défiler sa vie…
 
 
Dans les rues, c’est la guerre. C’est un décor de fin du monde. Israël a donné rendez-vous à France au café de Flore. Ce n’est pas par contraste mais par goût littéraire.
Elle a peut-être eu un accident, il en est presque rassuré. Un accident, ce n’est pas un lapin, sauf si c’est à cause de lui. Qu’il est chaud. Il ne sait plus. L’amour quand ça vous prend, ça vous tue. Combien tombent dans le piège ? Combien meurent avant d’avoir dit « je t’aime ». Il ne lui a même pas encore dit « je t’aime ». Voilà l’erreur ! Elle ne reviendra pas. Dire « je t’aime », c’est simple et, en même temps, ça fait du bien. Alors pourquoi ne l’a-t-il pas dit ? Il est con, Israël est le roi des cons ; Jésus avait raison. Il a la tête en passoire, tout passe à travers.
La France arrive ; et heureuse, au bras d’un copain. Une heure de retard, ce n’est pas la mer à boire. Elle est comme ça, insouciante, fait souffrir les autres sans le savoir. Et qu’est-ce qui fait souffrir plus que l’amour ? La jalousie ! Cette jalousie, la première à tuer les couples… Il rêve ou elle l’embrasse ?
— Un copain, mais lui, je ne l’aime pas, présente-t-elle ses joues à Israël.
Ils restent comme deux ronds de flans, que doit-il en penser sur sa chaise ? D’accord, elle n’est pas comme les autres, mais là quand même. D’accord, l’autre est noir, mais, après tout, on peut aimer un noir. Il ne sait plus. Peut-être que lui, c’est juste pour l’amour ? Ça le rassure un peu… Après tout, il vaut mieux être cocu tout de suite que d’attendre des mois que ça arrive. Comme ça, c’est fait ! Une bonne chose de faite.
— Je te présente Israël, dit-elle, au copain. Lui, c’est « nez gros », finit-elle, ricanant vers Israël.
— Noir, c’est noir, réplique l’homme, à forte corpulence.
« Négro », du moins, c’est comme ça qu’elle le surnomme aux oreilles des gens ; effarés à la terrasse, et surtout, des femmes, qui en rêvent. La France a trouvé son esclave et Israël en est le premier au courant. Le temps de l’esclavage n’est pas aboli avec elle. La France serait-elle raciste ? Elle est trop gentille pour l’être. Et lui, il est trop con.
Dieu est un peintre, il a fait la France. Quel tableau ! se disent les gens.
— Tu prends quelque chose ? s’adresse-t-elle à Israël.
— C’est déjà fait, merci.
— Et toi, Négro ?
— C’est déjà fait, merci.
Naturellement, il faut qu’une nouvelle fois France se lève pour que tous les regards se portent sur ses fesses…
— Israël, on a passé une… après-midi, si tu savais…, dit-elle, aux tablées alentour qui écoutent.
« Si tu savais, tu me tuerais ! », finit-il, dans son coin. La jalousie a la manie de voir tout en noir. Les jambes qu’elle découvre, de sa jupe fendue, ne font que rajouter un bout de tissu aux hommes qui l’imaginent à poil. Même si une noire vaut deux blanches, l’amour n’a rien à voir avec le solfège. Une noire, ça devrait être interdit aux moins de 18 ans. Comment pourrait-on en vouloir à la France d’être noire ? À Israël ? Sûrement pas ; lui, en ce moment c’est l’Amérique ! Parmentier a découvert la patate et lui, c’est la France. Elle a un cul, comme une baleine. « Moby Bite », c’est elle. Pour l’instant, la baleine navigue entre les tables ; et les baleiniers sont prêts à la harponner. « La France se fait enculer, c’est peut-être pour ça qu’elle a un cul d’enfer », se disent-ils. On ne peut pas empêcher les marins de penser. Les anguilles frétillent. La France est un remède pour impuissants.
— Si je pouvais lui faire une petite… critique, dit Israël au Noir, ce serait de préférence…
— Oh ! Elle n’est pas parfaite, l’interrompt-il, personne n’est parfait, même les femmes qui vous charment au premier abord.
— Ce que je voulais dire, c’est qu’un de ses défauts, c’est d’être trop femme. N’êtes-vous pas d’accord ?
— Non, je ne le pense pas. Je crois que si elle trouvait l’homme qui lui convient, elle serait capable de l’aimer avec déraison. Elle est délicatement et extraordinairement déséquilibrée. Si elle était traitée sans gentillesse et sans grandes précautions, ses facultés d’affection pourraient être détruites à jamais. Il lui faut véritablement l’homme parfait.
Israël se retire dans son silence. Il n’imaginait pas du tout la France amoureuse et ne pouvait se la représenter dingue de quelqu’un. Elle semble tellement pencher pour l’intelligence qu’elle oppose à la passion, et c’est justement ce qui l’avait tellement surpris. Il n’a pas un instant l’opinion que, à supposer que son compagnon dise vrai, il peut bien être lui-même cet homme parfait.
— On parle d’elle.
— Vraiment ? dit le Noir, qui attend la suite…
— Il faut toujours qu’on bavarde sur tout le monde ici.
— Le café, c’est l’endroit où l’on bavarde le plus.
— Naturellement… Mais c’est effrayant, que les gens ont l’esprit mal tourné. Bande de vieilles chouettes !
— Il me semble que vous la défendez avec fougue.
— Qui ne ferait pas ainsi ? C’est une jeune fille délicieuse. Ça ne vous a pas gêné, vous-même ?
— Bien sûr. Je pense qu’il ne faut pas exagérer les choses parce qu’elle va prendre le thé une ou deux fois par-ci par-là…
— Je ne comprends pas pourquoi on fait circuler de pareilles choses.
— Quoi qu’il en soit, ça circule, dit le Noir, d’un ton si authentique que le pauvre prétendant se sent concerné.
— C’est ce dont je m’aperçois, marmonne-t-il. Est-ce que vous avez le désir de faire la cour à cette demoiselle ?
L’exaspération, la désolation, l’effroi font résonner les paroles d’Israël.
— Vraiment ? dit l’autre d’une voix empruntée.
— Oh, ne vous fatiguez pas, à vous défendre, le stoppe-t-il, le dégoût transpirant dans son regard. Je sais qu’on ne peut pas vous faire confiance. Vous admettrez que je ne m’occupe pas de vos affaires, car je n’y vois pas d’intérêt. Mais, pour l’heure, je vous mets en garde.
— Vous ne pouvez pas… Comment osez-vous ? C’est de la diffamation. Vous êtes assurément horrible.
— Je vous prie de vous lever ! Et battons-nous en duel. Vous avez le choix des armes ! Je ne peux accepter de tels propos. Vous ignorez tout de France, si vous… pouvez croire… Vous êtes bien tous pareils… Je me permets de vous dire que France… Je trouve que vos sous-entendus…
Il cesse, la mine écarlate.
Quand elle regagne la table, France regarde Israël comme s’il avait été piqué par une guêpe.
— Qu’est-ce qui t’arrive, t’es tout rouge ? Et toi, t’es tout noir ?
— Il y a de ces moustiques ici, se précipite Israël.
Le Noir se contente de se taire. Quand la France est là, il l’écrase. C’est tout ce qu’elle lui demande.
 
 
 
 
2
 
 
 
À cinq heures du matin, étonnamment il fait froid, au mois de mai. Une brume de campagne masque le soleil. Israël a exigé la réparation de l’offense, par les armes. L’offensé en a eu le choix. Le revolver. Un duel est affreux, surtout lorsqu’il détruit une vie pleine d’espérance.
— Dépêchez-vous, Israël ! crie le donneur d’ordre, agitant sa casquette. Vous êtes juste à l’heure. Nous avons besoin de vous… Alors vous allez pouvoir faire un double, Messieurs, dit-il d’un ton décisif. Les gilets pare-balles sont interdits.
— Je voudrais me reposer, si ça ne vous gêne pas, murmure Israël. Je ne sais pas toucher une arme aujourd’hui. Le Négro prendra ma place.
— C’est ridicule, reprend le donneur d’ordre, sans aucune pitié, il faut combattre parce que vous êtes en train de perdre.
— Il faut que vous vous battiez, mon petit, dit le Noir, ricanant. Amusez-vous pendant que vous êtes encore jeune.
— J’aimerais me reposer cette fois, Monsieur le donneur d’ordre, confesse Israël, qui commence littéralement à fondre.
— D’accord, lui dit-il, acceptant l’excuse, alors vous pouvez vous battre.
Les deux hommes retirent leurs vestons et les autres se séparent.
— Vous êtes jaloux, et puis voilà ! crie le Noir à Israël.
— Jaloux ? Mon Dieu ! Comment ça ?
— Messieurs… en joue !
La vie d’Israël passe au ralenti. Tout se déroule comme s’il passait sous un métro. Revoit sa mère au matin qui le mettait en confiture. Son père l’amener à la pêche, et remonter un poisson gros comme lui. Son grand-père astiquer la cour de sa grand-mère. Revoit sa petite sœur, heureuse comme une gamine. La bonne se titiller les nichons devant la glace. Des nichons énormes.
Des gouttes de pluie pleurent sur son visage ; ce sont celles qu’il pleuvait ce jour-là, quand ses parents sont partis pour Buchenwald.
— Ca représente quoi, pour toi, un duel ? l’interroge Dieu.
— La vengeance, l’audace, l’honneur, de France…
—La France ? Mais tu rêves, Israël ! Je t’attends…
Prêt… Feu !
Deux coups retentissent dans la brume. Deux ombres sortent du brouillard… Ils sont en vie. Deux oiseaux sont morts à

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