Le sept de trèfle
595 pages
Français

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Le sept de trèfle , livre ebook

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Description

Gaston Leroux (1868-1927)



"– Lottie ! Tu ne vas pas bientôt « sortir de ton duvet », bedide feignante ! Veux-tu que je t’étouffe avec ta baillasse ? C’est une vraie « loche » c’t’enfant-là ! Tiens ! v’là pour t’apprendre à « faire ton rond » à quatre heures du matin bassées !...


Et deux gifles bien appliquées, suivies d’un gémissement de terreur, remuèrent l’ombre au fond du taudis.


Un bec de gaz fut parcimonieusement allumé ; à sa lueur falote et sifflante, les objets d’alentour sortirent de la nuit... un réceptacle des plus bizarres, où s’entassaient des assortiments de costumes romantiques, mêlés à des défroques modernes, des cottes de mailles pendues aux murs avec de vieux habits ; dans un coin, des armures toutes droites figuraient trop bien des fantômes de chevaliers pour la terreur des courtes nuits de la petite Lottie.


Et puis des dominos fanés, des robes de moine et des casques, des vieux gibus, des bonnets moyenâgeux, tout un carnaval poussiéreux qui revenait s’emmagasiner là, après les folles nuits de la Butte ou après la location chez les artistes pauvres du voisinage travaillant encore dans l’historique, attardés à faire du J.-P. Laurens ou du Rochegrosse... pour la salle à manger de M. Philistin, amateur... Mais le plus horrible de ce capharnaüm était assurément la vision du cerbère femelle, gardienne de ces affreux trésors.


Jamais profil plus hostile, pour ne pas dire plus hideux, n’a surgi d’un clair-obscur que celui de la mère Ultrogoth au fond de sa boutique..."



Claude Michel est un sculpteur de talent mais complètement obsédé par le jeu et ce maudit sept de trèfle qui lui est toujours fatal. Un soir, une jeune fille, Lottie, se réfugie dans son atelier pour fuir ses tuteurs qui veulent la vendre à un riche Mexicain... Claude et Lottie tombent amoureux mais...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374638102
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le sept de trèfle
 
 
Gaston Leroux
 
 
Novembre 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-810-2
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 810
PREMIER ÉPISODE
La carte fatale
 
I
Le bar des Artistes
 
– Lottie ! Tu ne vas pas bientôt « sortir de ton duvet », bedide feignante ! Veux-tu que je t’étouffe avec ta baillasse  ? C’est une vraie « loche » c’t’enfant-là ! Tiens ! v’là pour t’apprendre à « faire ton rond » à quatre heures du matin bassées  !...
Et deux gifles bien appliquées, suivies d’un gémissement de terreur, remuèrent l’ombre au fond du taudis.
Un bec de gaz fut parcimonieusement allumé ; à sa lueur falote et sifflante, les objets d’alentour sortirent de la nuit... un réceptacle des plus bizarres, où s’entassaient des assortiments de costumes romantiques, mêlés à des défroques modernes, des cottes de mailles pendues aux murs avec de vieux habits ; dans un coin, des armures toutes droites figuraient trop bien des fantômes de chevaliers pour la terreur des courtes nuits de la petite Lottie.
Et puis des dominos fanés, des robes de moine et des casques, des vieux gibus, des bonnets moyenâgeux, tout un carnaval poussiéreux qui revenait s’emmagasiner là, après les folles nuits de la Butte ou après la location chez les artistes pauvres du voisinage travaillant encore dans l’historique, attardés à faire du J.-P. Laurens ou du Rochegrosse... pour la salle à manger de M. Philistin, amateur... Mais le plus horrible de ce capharnaüm était assurément la vision du cerbère femelle, gardienne de ces affreux trésors.
Jamais profil plus hostile, pour ne pas dire plus hideux, n’a surgi d’un clair-obscur que celui de la mère Ultrogoth au fond de sa boutique, dans le moment que sa méchanceté naturelle, doublée de sa haine contre la petite Lottie qui n’avait de crime que d’être orpheline et d’apporter sa jeunesse dans ce magasin d’antiquités, met en relief un visage de sorcière à l’oreille énorme et plate, à la lèvre mince, à la dent aiguë, à l’œil oblique... Le cou est courbé, le dos voûté, les doigts longs et maigres s’agitant et se crispant comme pour agripper l’ombre au fond de laquelle il y a des soupirs d’enfant !
– Vas-tu te presser à la fin, vermine !...
– Tout de suite... ma... dame...
– Appelle-moi « marraine !... ma bonne bedide marraine ! »
Car elle avait trouvé cela, l’infernale créature ! Elle avait eu l’imagination de cela : se faire appeler du plus doux nom par ce petit être qui se mourait devant elle, d’épouvante !... Mais l’ombre s’était tue... l’ombre ne pleurait plus... l’ombre paraissait morte... Sans doute, pour savoir si l’ombre ne mentait pas, si elle était bien aussi morte que cela, la vieille y enfonça ses doigts crochus et en ramena pantelante, par les cheveux, la tête de l’enfant, qui n’était point, en effet, tout à fait morte de peur, mais qui n’en valait guère mieux ! Les prunelles chavirées dans une figure de cire... une bouche aux lèvres exsangues qui remuent sans avoir la force de prononcer un mot.
– Allons !... appelle-moi « ma bonne bedide marraine ! »
– Ma... bonne... petite...
Et un sanglot, et des coups, et une clameur, cette fois, un « maman » déchirant qui, par-dessus cette horrible mégère, s’adresse à celle qui est morte, à celle qui est au ciel !...
Avoir eu une si belle maman, une vraie petite reine aux cheveux d’or et aux yeux de myosotis qui n’a fait que passer sur la terre pour y laisser cette petite image d’elle-même qu’est Lottie, avoir connu la tendresse parfumée de deux bras qui eurent cette réputation, quelques semaines, à Paris, d’être les plus beaux bras du monde, avoir été gâtée par une créature de rêve qui ne refuse rien à son enfant parce qu’on lui accorde tout à elle, avoir eu une petite maman pour rire et qui ne savait que rire et jouer avec sa fille à la poupée, pauvre petite Lottie qui avait perdu, un vilain jour d’automne, tout cela !... pour trouver quoi ? la mère Ultrogoth ! Il y a des enfants qui n’ont pas de chance !... car enfin, il y a des enfants qui trouvent l’Assistance publique !
Mais trouver ça ! cette horrible vieille dame, marchande à la toilette, vendeuse au « décrochez-moi ça », prêteuse à la petite semaine, courtière en tout ce qu’on voudra, diseuse de bonne aventure, manucure ! Il est vrai aussi que ça (ce qui n’était pas le moins horrible) était l’épouse de M. Roméo, terreur et soutien de sa famille, honorablement connu à Montmartre comme patron du bar des Artistes aux environs de l’Élysée des Beaux-Arts, boîte de nuit qui, par une tolérance exceptionnelle de la police, ouvrait sa porte quand tous les établissements fermaient, et recueillait, à trois heures du matin, les derniers fêtards en quête, sur les trottoirs déserts, d’une douzaine d’huîtres et d’une bouteille de vin blanc. C’était Roméo qui, vaguement cousin de celle qui avait été la maman de Lottie, avait hérité des bijoux de cette dernière et de l’enfant par-dessus le marché...
Le bar de Roméo était le complément du magasin de la mère Ultrogoth. On passait d’une pièce dans l’autre en montant deux marches et en poussant une porte vitrée. Bien des affaires avaient commencé autour des frusques ou des bijoux de la vieille qui trouvaient leur conclusion sur l’acajou du bar de Roméo. Car, il ne faudrait pas s’y tromper, le bar de Roméo était un bar de luxe ! Jamais un ouvrier n’en avait franchi le seuil. Les habits fripés de la haute noce cosmopolite plutôt que parisienne formaient le fond de sa clientèle, cependant que quelques artistes du quartier en étaient l’ornement. Certains avaient là une riche « ardoise » qu’ils liquidaient le plus souvent avec une toile de leur façon que Roméo accrochait au mur, et les toiles ainsi rassemblées, en attendant une honnête occasion, transformaient le bar en un petit musée.
Roméo, dans son genre, n’était pas moins terrible à voir que sa « Juliette », comme disaient les rapins. Et cependant, cet homme avait dû être affreusement beau. Il lui en restait bien quelque chose : deux yeux noirs énormes dans des arcades sourcilières de granit ; tout le visage n’était plus qu’un affreux stigmate de tous les vices. Il était trapu, avec un mélange de chair molle et çà et là de muscles de lutteur qui inspiraient le respect et la nausée... Encore un mot sur ce couple hideux que l’on connaîtra mieux tout à l’heure : Roméo s’appelait vraiment Roméo. Quant à Ultrogoth, les rapins prétendaient qu’elle avait été surnommée ainsi depuis longtemps pour son orgueil fameux et sa prétention à descendre des premiers rois barbares. Eh bien, point !... Elle s’appelait vraiment Ultrogoth comme il s’appelait vraiment Roméo... Il y a des choses qui arrivent. À part cela, nous avons dit qu’on l’appelait aussi « Juliette »...
– Va ôter le volet de la porte !
– Oui, ma...
– Oui « quoi ? »
– Oui, ma bonne petite marraine !
Il y avait sept ans que ce supplice durait. Comment Lottie n’était-elle pas encore morte ? On ne sait pas. Comment, après des scènes comme celle que nous venons de décrire, le léger souffle de vie qui animait cette frêle et jolie créature, tombée au milieu de ces monstres, n’avait-il pas glissé entre les doigts crochus de la vieille pour aller rejoindre l’azur où volent les anges ?... Mais comment surtout, comment ce petit chef-d’œuvre de douceur, de délicatesse et de pureté qu’était Lottie avait-il pu se développer malgré tout dans ce milieu infâme ? Encore un mystère de la création qui fait naître de bien jolies fleurs dans la boue ! Rien n’avait pu ternir la blancheur de cette âme ingénue. Ce qu’elle ne devait pas comprendre, elle ne l’entendait pas. Ce qu’elle était forcée d’entendre, elle ne le comprenait pas. Elle passait sa vie à trembler et à espérer. Quoi ? Elle ne le savait pas.
Lo

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