Les Amours inassouvies
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Les Amours inassouvies , livre ebook

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Description

Je sais que ces histoires-là sont condamnées. Que je suis trop jeune et toi trop vieux. Je sais que, dans quelques années, je sourirai d'attendrissement devant le souvenir de ce chagrin comme on le fait devant un rêve d'enfance. Les peines d'amour sont des catastrophes salement risibles. Je sais que les passions sont éphémères et que mourir mille fois ne nous fait pas revivre et je sais que je suis la seule à croire à ton imminent retour. Que toi-même, tu ne l'envisages pas encore. Mais je sais aussi que tu aimes revenir et me prendre. Me prendre comme on dit au revoir. Me prendre, mais également me revoir. Un peu changée et un peu moins jeune. Me voir grandir et éclore. Et toujours t'aimer. Me prendre, mais aussi m'entendre te parler de livres. Des livres que je lis un peu pour te les raconter. Me prendre, mais aussi vivre l'illusion de ta jeunesse renouvelée entre mes draps et mes cuisses.

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Informations

Publié par
Date de parution 08 novembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342057713
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Amours inassouvies
Elizabeth Lemay
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Les Amours inassouvies
 
 
 
À Emmanuel, bien sûr, parce que nous n’avions pas d’histoire.
 
 
 
Cette conception me séduisait : des amours rapides, violentes et passagères.
Je n’étais pas à l’âge où la fidélité séduit.
Je connaissais peu de chose de l’amour : des rendez-vous, des baisers et des lassitudes.
Françoise Sagan
 
 
 
Quel a été le plus beau jour de votre vie ?
— C’était une nuit
Brigitte Bardot en 1965
 
 
 
On s’est rencontré au Monument-National, rue Saint-Laurent. Peut-être aurais-je dû déceler l’échec de notre histoire rien qu’avec ce signe, le signe que rien de durable ne pouvait naître entre ces murs, sur cette rue. Boulevard Saint-Laurent, c’est la rue des gens de passage, celle qui sépare les gens trop disparates pour s’aimer. C’est la rue n’appartenant à personne et tout le monde à la fois. Une zone de non-lieu, un entre-deux. Une rue de transit. L’homme que j’y ai rencontré était à l’image de ce boulevard qui nous mit au monde, il se refusait d’être une propriété. Il ne serait jamais à personne. C’est étrange comme il est aisé d’entrevoir des signes annonçant un désastre après coup, c’est comme relire un roman et y déceler la fin dans l’incipit, parce qu’à la première lecture on ne cherche pas à deviner le dénouement. Plutôt, on décide de ne pas le voir. Peut-être les voit-on ces signes avant-coureurs du désastre, mais préférons les écarter.
Et peut-être n’était-ce pas si merveilleux que cela. C’est un peu de cette façon que s’écrit l’Histoire, en plusieurs versions se tournant le dos et se recroquevillant dans la certitude d’être la seule et la bonne. Les historiens et les amoureux ont cela en commun, ils conservent ce qu’ils veulent bien conserver et envoient aux oubliettes de l’histoire la balance. J’ignore où nous nous trouvions entre le magique et le pathétique, entre le cliché et le singulier. J’oscille entre la certitude que nous nous sommes bel et bien aimés et celle que nous n’étions rien d’autres que deux corps se retrouvant au milieu de la nuit pour combler quelque chose. Quoi, je ne sais trop.
On s’est trouvé un mardi soir, un jour de pluie, au Monument-National, sur le boulevard de l’éphémère, un lieu qui autrefois abritait le théâtre juif de Montréal, une histoire d’échec, et pourtant je m’évertuais à croire à un happy end .
 
 
 
 
Écrire est un grand amour.
Écrire, c’était t’écrire ;
Et maintenant que je t’ai perdue,
si je continue d’agglutiner les mots avec une persévérance mécanique,
c’est qu’en mon for intérieur
j’espère que ma dérive noématique, que je destine à des interlocuteurs innés,
Se rendre jusqu’à toi.
Hubert Aquin
 
 
Jean Echenoz a écrit : « Mieux vaut attendre le hasard d’une rencontre, surtout sans avoir l’air d’attendre non plus. Car c’est ainsi, dit-on, que naissent les grandes inventions : par le contact inopiné de deux produits posés par hasard, l’un à côté de l’autre, sur une paillasse de laboratoire ». C’est de cette façon que Coco Chanel imagina ses créations les plus célèbres : en revêtant le pull d’un homme durant une course de chevaux, un jour inhabituellement froid, ou en observant des pêcheurs près des falaises à Étretat. C’est de cette façon que se créer les grandes choses, naturellement, sans qu’on les ait invitées.
J’étais jeune, stupide et naïve. Tu étais vieux, égoïste et blasé. Mais curieusement, et je ne saurais expliquer pourquoi au juste, il y avait une certaine cohérence dans cette conjugaison, dans la jonction de nos existences et de nos corps. C’est ainsi que s’est créée, au fil des siècles, la beauté unique de la ville de Rome. Dans le désordre des époques et la rencontre des paradoxes. Dans le contraste des styles qui s’entremêlent, qui détonnent et s’harmonisent.
Il avait quarante-deux ans et moi vingt-quatre. J’aimais la symétrie des nombres, leur opposition parfaite. Il n’était pas trop vieux pour moi, je lui ai répété des millions de fois, c’est moi qui étais trop jeune pour lui. J’ai rencontré celui que nous appellerons Emmanuel au Monument-National. Ce soir-là, il était exactement comme je me l’imaginais, doté de cette confiance touchant l’arrogance ayant fait sa renommée. Je le connaissais déjà de la télévision et le jour de notre rencontre, j’étais déjà à moitié amoureuse. Ce serait toujours ainsi, même lorsque nous nous sommes aimés tous les deux, j’étais plus éprise de lui qu’il l’était de moi. Et étrangement, cela ne m’a jamais paru un problème, mon amour était simplement supérieur au sien.
C’est qu’il y a de ces navires qui transforment pour toujours les villages auxquels ils accostent un instant pour reprendre leur souffle.
Tu disais que je ne t’aurais pas aimé si je t’avais rencontré quand tu avais mon âge. J’aime penser que tu as tort. J’aurais aimé être ton premier amour comme tu as été le mien. Laisser une empreinte dans ton histoire, m’enraciner en toi. Exister. Te faire mal. Détruire ce qu’anéantit le premier amour et qui ne porte pas de nom.
Seulement, je sais bien que tu n’as pas tort. Longtemps, j’ai cru que notre différence d’âge nous séparait, mais force est d’admettre qu’elle nous a également réunis. Houellebecq : la crise de la quarantaine est souvent associée à des phénomènes sexuels, à la recherche subite et frénétique du corps des très jeunes filles. Il poursuit : un homme victime de la crise de la quarantaine demande juste à vivre, à vivre un peu plus ; il demande juste une petite rallonge. J’ai été cette rallonge pour Emmanuel.
 
 
 
 
Je sais que ces histoires-là sont condamnées. Que je suis trop jeune et toi trop vieux. Je sais que dans quelques années, je sourirai d’attendrissement devant le souvenir de ce chagrin comme on le fait devant un rêve d’enfance. Les peines d’amour sont des catastrophes salement risibles. Je sais que les passions sont éphémères et que mourir mille fois ne nous fait pas revivre et je sais que je suis la seule à croire à ton imminent retour. Que toi-même, tu ne l’envisages pas encore.
Mais je sais aussi que tu aimes revenir et me prendre. Me prendre comme on dit au revoir. Me prendre, mais également me revoir, un peu moins jeune. Me voir grandir et éclore. Et toujours t’aimer. Me prendre, mais aussi m’entendre te parler de livres. Des livres que je lis un peu pour te les raconter. Me prendre, mais aussi vivre l’illusion de ta jeunesse renouvelée entre mes draps et mes cuisses.
 
 
 
 
J’aimerais me détacher de ma jeunesse par curiosité. Pour savoir si de nous, subsisterait quelque chose. Ce que je n’aime pas de la jeunesse, c’est sa façon de prendre toute la place, avec toutes les qualités et tous les défauts qui lui sont inhérents. Tous ses plaisirs et ses revendications, sa naïveté exubérante, son insolence et son mépris de la génération sur laquelle elle s’écrase. Sa façon de toujours aimer ou haïr dans l’excès. Il me semble que c’est toujours elle qui parle à ma place, comme une mère trop envahissante. Ce que je n’aime pas de la jeunesse, c’est sa façon de tout prendre, même ce roman. Et je me demande ce qui restera de moi, lorsqu’elle m’aura traversée. Je me demande si tu m’as aimée ou si c’était seulement elle à travers moi.
Tu disais : « T’es trop jeune pour t’en rendre compte, mais tout ce que tu crois immuable, ton amour pour moi et le reste, tout ça va disparaître. » Même mon amour débridé, tu croyais que je le devais à mon jeune âge.
Je dois bien l’avouer, les vingt ans qui nous gênaient, nous ont également réunis. Parce que si toi, tu demandais à vivre, à vivre un peu plus, moi, je n’ignore pas être la reproduction parfaite de thèses freudiennes. Je dois bien l’avouer, Emmanuel se trouvait quelque part entre l’amant et le père dans sa façon de me prendre sous son aile et de me regarder éclore. D’ailleurs, il joua d’emblée le rôle de protecteur, comme si je lui avais demandé. Peut-être présuma-t-il que c’était ce que les jeunes filles recherchaient chez les hommes plus vieux. J’ignore si c’est le cas. Moi, je dois dire que je ne cherchais pas un homme plus vieux. Je cherchais Emmanuel, sans le savoir.
 
 
 
 
Je lui en voulais de me reprocher mon âge. Je me disais : « Reproche-moi tout le reste, n’importe quoi, mais pas ça ! C’est la seule chose pour laquelle je ne peux rien. » Tout le reste, je l’ai d’ailleurs changé. Il a peut-être cru au hasard lorsque, quelques mois à peine après notre rencontre, je quittai la maison familiale pour mon premier logement. Aussi, j’avais fini mes études en lettres depuis un bon bout de temps déjà, et repoussais mon entrée sur le marché du travail, préférant empocher seulement de quoi vivre en travaillant dans un restaurant. Je voulais désormais réussir, dans quoi, cela importait peu. Même mon apparence changea. Après notre rencontre, je devins une jeune femme soignée. C’est que je voulais devenir le genre de fille qu’Emmanuel n’aurait plus honte d’aimer et qu’il n’aurait plus besoin de dissimuler entre les murs de son appartement. Je désirais qu’il m’amène dîner quelque part comme les autres femmes de sa vie.
Étrangement, c’était dans un café, la dernière fois que je vis Emmanuel à ce jour. C’est ce que j’avais toujours voulu, quitter son appartement. Et pourtant, Emmanuel ne m’avait jamais paru si inaccessible et loin. Contenues et légères nos discussions étaient, alors que nous avions l’habitude d’être nus et de chuchoter des choses graves. C’est que le sexe, plus

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