Les Aubes
182 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les Aubes , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
182 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Vous décidez un jour de descendre du train qui vous ramène chez vous avant d’être parvenu à destination. Désir de gagner cette ville haute pour admirer le coucher du soleil ? Désir d’échapper à une vie devenue trop connue ? Vous ne le savez pas et vous découvrez peu à peu une ville figée dans d’étranges rituels que votre simple présence va réveiller pour le meilleur ou pour le pire. Et si l’aube ne se levait jamais ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 juillet 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332976550
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-97653-6

© Edilivre, 2014
« Tohu et Bohu, vide et vague… Tohu signifie étonnement, stupéfaction, Bohu signifie vide et solitude. Il est probable que Tohu et Bohu désignaient les déesses du chaos primordial auquel Elohim met fin en créant les ciels, la terre et la lumière »
André Chouraqui
1
Je ne sais pas pourquoi je me suis arrêté dans cette ville. Depuis le matin je voyageais seul. Les paysages avaient défilé sous un ciel bas. Des nuages d’un gris tirant sur le bleu, de mer froide. Son nom ne me disait rien. La gare était ancienne. Des poutrelles ouvragées, de hautes fenêtres ornées de géraniums. En traversant le hall battu par les courants d’air – il était désert, guichets fermés, kiosques protégés par un volet métallique – je me suis senti paré d’une étrange dignité.
Dignité vaine, qui ne devait tenir qu’à la lumière de cette fin d’après-midi.
A l’autre bout des rails j’étais attendu. Je connaissais la beauté d’une femme dans les yeux de nos enfants, le paradis retrouvé dans un jardin de banlieue. Je la connaissais mais peut-être avais-je perdu un peu de ce miracle éveillé.
Je traversai le hall comme on franchit une frontière. Il y faisait froid, les murs étaient nus. J’aurais pu rester et attendre le prochain train.
Ce n’est pas ce que j’ai fait.
2
Elle était là, cette ville, solitaire sur son promontoire, au milieu d’une étendue de nulle part. Aucun village aussi loin que l’œil portait. Le site était toujours lisible en dépit de la prolifération des zones et des quartiers dortoirs. Les immeubles formaient une ceinture crénelée qui ne cachait pas l’élévation naturelle de la colline centrale, sur laquelle, protégées par un restant de fortification, s’étageaient des maisons de Moyen Âge groupées autour de l’église.
Sur le parking de la gare, les voitures accrochaient les rayons du soleil.
Je suis descendu du train en même temps qu’une jeune femme. Elle est partie de son côté, pressant le pas pour atteindre sa voiture. Elle m’a regardé.
Je lui ai fait au revoir, et je n’avais pas du tout envie de la revoir. Seulement marcher vers le haut de la ville.
Le bas n’était que garages, entreprises, petits commerces, devantures tristes et pans de mur décrépi. Du béton avec des taches d’huile, des pavés sous le bitume crevassé.
Je longeai un mur de brique couvert d’inscriptions et de lambeaux d’affiches, gagnai une petite place.
Sur la droite des immeubles. Sur la gauche des maisons d’usine, avec des friches en guise de jardin, et des panneaux « A vendre ». Des planches étaient clouées en travers de la plupart des fenêtres.
Le premier immeuble, celui qui donnait sur la place, ne valait guère mieux. Les larges baies vitrées étaient obstruées par des parpaings. A l’angle, gardant l’entrée d’une rue montante, il y avait un café.
Je n’avais pas soif. Je n’avais pas envie de compagnie.
Une ombre glissa derrière la vitre sale.
3
La porte s’ouvrit : un colosse m’adressa un sourire des plus avenants. Je n’eus rien à dire. Il me prit dans ses bras, me souleva de terre, et m’installa à la place d’honneur d’une longue table d’hôte.
Le comptoir luisait de tous ses cuivres, le sol de larges dalles venait d’être passé à la serpillière, et dans les miroirs suspendus les contours des lustres lourds se reflétaient nets au-dessus des tables de bois brut.
Il était difficile d’imaginer, tellement les vitres étaient crasseuses, qu’il pût faire beau dehors. La pénombre était douce, la lumière semblait sourdre de la moindre surface.
Le colosse revint, portant une bouteille de vin rouge, deux verres, un morceau de pain. Il me souriait, non comme un commerçant, mais comme on sourit à un ami de longue date. Il remplit les verres à ras bord, leva le sien. J’acceptai de trinquer et pour ne pas le vexer avalai le mien cul sec. Le vin était bon. Le pain était rassis.
A peine posé, mon verre fut à nouveau rempli. Son mutisme n’était pas gênant. Je le pris pour cette pudeur des sourds et des muets. Son sourire n’était peut-être pas un sourire, mais ce que d’ordinaire les mots feignent de signifier dans l’indifférence des visages : « enchanté », « bonjour » « vous allez bien ».
Je bus lentement cette fois, non pour savourer, mais parce que la tête commençait à me tourner. Lorsque j’eus vidé mon verre, il ne souriait plus. Abattu, il contemplait la porte.
Je m’apprêtai à sortir lorsqu’une sirène retentit.
4
Par le carreau j’aperçus une foule sortant de l’usine. Les uns tenaient un vélo, les autres allaient par groupes. Hommes et femmes mélangés. Ils ne portaient pas des bleus de travail mais des gris, des blouses grises, des jupes grises, des vestes grises, des pantalons gris.
Le colosse ramassa prestement sa bouteille et fila se poster derrière le comptoir.
Silencieux ils entraient. Vague salut de la main, petit mouvement de menton, les yeux ternes.
Ceux qui n’avaient pas trouvé de place autour de la grande table se serraient le long du comptoir. Deux serveuses arrivèrent des cuisines, portant chacune un nombre impressionnant de chopes. Les femmes aussi nombreuses que les hommes n’avaient pas le regard plus vif. Les lèvres restaient désespérément closes, une courte gorgée, les mains serrées sur la chope, tête inclinée, perdus dans leurs pensées, et pas un bruit, sinon le choc mat du verre régulièrement posé sur le comptoir ou sur la table.
Ce spectacle me devint vite insupportable. Je sortis sans même songer à payer ou à remercier le colosse.
5
L’usine se trouvait derrière le mur de brique que j’avais longé précédemment. Elle tenait plus de la fabrique d’ailleurs. Deux cheminées, et, par le portail grand ouvert, deux longs bâtiments en enfilade. Une grosse horloge surmontait la façade du premier d’entre eux. Il était dix sept heures trente.
La place était déserte, aucun son ne sortait du café.
Bientôt le soleil disparaîtrait derrière la ville haute.
J’hésitai.
D’un côté il y avait ces maisons abandonnées. De l’autre un bloc d’immeubles prolongé par un autre bloc, avant de céder la place à des pavillons individuels. Des pavillons pour cadre ou contremaître, enseignant, médecin, avocat.
J’étais passé dans un cercle d’indifférence, comme un homme qui franchit une limite interdite et se trouve confronté à une totale absence de justification par rapport à son acte.
Mon premier désir aurait été de gravir la rue montante, la rue principale, la rue haute, de courir vers les derniers feux du soleil, de l’autre côté, derrière cette flèche d’église dont les ors et les verts resplendissaient.
J’ai toujours éprouvé une peur panique en face des églises et des cathédrales. Longtemps il m’est arrivé de tourner autour sans oser y pénétrer. A peine sur le seuil, dans le froid du caveau montant du sol, l’effroi me saisissait à la vue de la lumière transfigurée sanglante des vitraux.
Je restais là à contempler le clocher planté dans le soleil comme un clou dans la face.
6
Un cri résonna, déchirant, glacé. Je me retournai : au milieu de la rue, une femme pliée en deux me lançait des signes désespérés. Du sang coulait le long de sa cheville. Un vieux vélo au cadre gris était couché sur la chaussée. L’une des roues tournait encore.
Je ne bougeai pas.
Elle répéta son cri d’entrailles, tassée sur elle-même, prête à se rouler par terre.
Une rue de fin du monde.
Je m’approchai. Elle avait plaqué ses mains sur son visage, les yeux, à travers ses doigts, rivés sur moi. Elle respirait fortement. Je voulus la relever. Aussitôt elle bondit à l’intérieur d’une bicoque dont toutes les fenêtres sauf une étaient condamnées. J’avais à peine eu le temps de remarquer son extrême maigreur et ses yeux effarés.
Le jardinet devant la maison était encombré de tout un tas d’objets hétéroclites allant de la casserole à l’angelot en plâtre. Les mauvaises herbes étaient reines, couvrant à moitié un vieux cadre de bicyclette, un sommier aux ressorts apparents, un cheval à bascule dont la tête manquait. Je me frayai un passage jusqu’à la porte entrebâillée.
Elle surgit alors à la fenêtre de l’étage.
De longs cheveux châtains plaqués, des joues creuses, des lèvres outrageusement peintes. Non pas peintes, gercées… une bouche, une plaie. Elle ne criait plus.
Le soleil avait encore baissé, bientôt il ferait sombre.
Les derniers clients sortaient du café. Tous les ouvriers, comme répondant à un même mot d’ordre, se dirigeaient vers les immeubles. Je n’avais aucune intention de les suivre.
Je les suivis.
7
Ils marchaient si lentement que je me retrouvai très vite au milieu d’eux. La lumière rasait les toits, l’ombre fraîche en montant réveillait une nostalgie de fraternité. Personne ne parlait, aucun signe, aucun geste de la main. Je finis par douter de leur présence.
J’avançai la main vers la femme la plus proche. Allais-je la traverser de part en part ? Allait-elle se dissiper sous mes yeux ? Ou bien était-ce moi qui allais devenir fumée ? Rien de tout cela n’arriva. Ma main trouva la sienne et s’en empara fermement. Une main incroyablement vraie, longue et tiède, forte dans la prise qu’elle me rendit.
Sans la quitter je voulus renouveler l’expérience avec mon voisin de droite. Cette fois-ci le contact fut rude, sec. Une véritable injonction à me tenir droit. Elle se prêtait sans se donner, sans prendre, elle m’acceptait sous condition.
Au fur et à mesure que nous avancions le groupe s’éclaircissait. Mes « parents adoptifs » ne devaient rien avoir en commun. Il s’en alla le premier. Je lâchai vivement sa main. Avec quelques autres, lourd, massif, il s’engouffra dans un hall sombre. Je restai bientôt seul avec la femme. Les blocs d’immeubles se succédaient, tous identiques, pareilleme

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents