Les Chaînes du Silence
139 pages
Français

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Les Chaînes du Silence , livre ebook

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Description

Après avoir sauvé la vie d’un vampire, Nathanaël est contraint de fuir son village. Réfugié au plus profond de la forêt où ces créatures gardent les ombres, il est adopté par l’une d’entre elles qu’il nomme Kael, scellant ainsi son destin.
Malgré sa nouvelle condition d’animal domestique et le silence permanent de son maître, Nathanael observe la communauté qu’il intègre et dont il ignore tout. Pour la première fois, il apprend à contempler ces espaces immenses qui isolent les hommes et abritent les Bêtes, ces créatures issues d’un autre temps.
Lui, l’humain fragile et sensible, symbolise tout ce que les vampires immortels ne regardent plus. Mais parce qu’il choisit de s’attacher pleinement à son maître, leur vie en est bouleversée. De ces chaînes nait un espoir. La liberté. Pour tous les deux.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2020
Nombre de lectures 4
EAN13 9782375681404
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Céline Chevet
Les Chaînes du Silence
Editions du Chat Noir


Dédié à Kaishin Lin.
(Je ne pensais pas mettre ton nom à l’intérieur d’un de mes bouquins avant que le tien ne figure sur une couverture. Ne me laisse pas prendre trop d’avance !)


Chapitre I
Journal de Nathanaël
« Je n’ai jamais cessé de les craindre. De tout mon cœur, de toute mon âme, sans que jamais leur image ne s’éloigne de moi. Ils ont hanté une grande partie de ma vie ; à présent que je suis sur mon lit de mort, hanteront-ils jusqu’à mon dernier repos ? Ces êtres dont on crache le nom au lieu de l’embrasser. Les vampires.
L’éducation de mon temps reposait sur une simple assertion : rien ne surpasse l’Homme en intelligence, en conscience, en grâce et en esprit. Il est l’enfant de Dieu.
Mensonges ! Ne vivons plus dans l’illusion. Il n’y a ni Dieu ni Diable ; l’Homme n’est qu’un animal parmi les autres. Et à ceux qui prônent que le vampire est son antagoniste, détrompez-vous. Il est son maître.
*
J’avais ramené un cahier à la couverture bleue, finement relié, d’une ville que j’avais traversée lors d’un long voyage comme j’en faisais souvent ces dernières années. Peut-être avais-je pressenti qu’il me deviendrait nécessaire.
Depuis que je suis alité, j’écris chaque jour dans mon journal l’épopée fantastique que fut ma vie, avec la persévérance qui forge les grands auteurs. Je m’accroche à chaque mot, chaque lettre. J’essaie d’être précis et de me souvenir de toutes les sensations, de tous nos échanges.
J’aimerais que mon ami le lise. Qu’un jour, il se pose sur ce que nous avons vécu, et qu’il accepte enfin ce qui nous lie. Je veux qu’il comprenne que faire preuve d’amour et de compassion ne nous rend pas inférieurs. Pour ce rêve un peu fou, j’écris autant que ma santé me le permet.
Celui que j’ai dénommé arbitrairement Kael est à mes côtés. Ces temps-ci, il ne s’éloigne plus du lit. Il ne parle pas plus qu’avant, reste silencieux des heures durant à observer l’ouverture qui sert de fenêtre à sa chambre qu’il a faite mienne.
C’est une pièce devenue nostalgique pour moi, j’y ai vécu presque six ans. Je l’ai toujours trouvée trop sombre, mais je pourrais vanter sa beauté pendant des heures. Ici, tout est une œuvre. Les vampires lacèrent l’ébène plus qu’ils ne le découpent, et dans ses déchirures éclosent de fines fleurs comme des pétales de bois tourmentés. Ils façonnent des fresques d’obscurité. Des figures monstrueuses et monstrueusement belles. Les Bêtes sont omniprésentes dans leurs paysages, leurs gueules se tendent vers les visiteurs, leurs cris imprègnent les murs, complaintes silencieuses. Elles sont les voix de la Nature, vénérées et jalousées à la fois. Le monde de la nuit court le chemin d’humus, franchit le perron, s’étend sur les murs en portraits fantasques relatant les grandes chasses.
Mon esprit est certainement trop étroit pour apprécier l’art des ombres et la peur s’est souvent emparée de moi face à la bestialité tribale qui magnifie jusqu’à la mort. Les vampires aiment ce qui s’éteint en beauté. Ils sont très différents des humains, en cela et en bien d’autres choses. Par leur longévité, ils parviennent à expérimenter une existence faite du meilleur, du plus beau, au moindre mal. Les vampires sont à la recherche d’une esthétique de vie. Ils fuient l’image et l’illusion, se raccrochent au tangible, mais toujours dans la quête du splendide.
Je me tourne vers Kael. À quoi aspire-t-il à présent ? Il ne m’en fera jamais part. Je ne suis rien de plus qu’un animal domestique après tout ; un animal de trente-trois ans bientôt.
Lorsque je l’observe, il ne paraît pas beaucoup plus jeune : une dizaine d’années tout au plus. Cette pensée m’arrache un sourire. À l’image de ses semblables, Kael est un homme magnifique. Il n’a cependant rien de comparable aux humains si ce n’est la forme vague des éléments qui composent son visage. Loin d’être laiteuse, sa peau brille d’un blanc pur et lisse, comme la surface d’un calcaire. Dessous se dessinent de petites veines noires bleutées qui forment des rainures discrètes et infusent en pulsant. Sa chevelure est sombre. Vaporeuse. Elle est comme un nuage sans définition propre qui se fond dans l’air et se noie dans le vent. Ses vêtements ne font qu’un avec un corps svelte que l’on devine à peine. Au bout de ses pieds et de ses mains laissés nus, ses ongles se transforment en griffes et lui donnent un air efféminé, à la fois terriblement séduisant et dangereux.
Kael tourne un œil ennuyé vers moi. Que pense-t-il ? Le gris de ses iris devient effrayant par moments. Enfant, il les avait plus foncés, mais ses yeux se sont éclaircis avec les années en accord, peut-être, avec sa lucidité sur le monde.
Une toux me déchire soudain la poitrine. C’est violent, bruyant et douloureux. Il glisse jusqu’à moi pour me poser une main bienveillante sur le torse. Je sais qu’il n’aime pas me voir souffrir. D’ailleurs, je perçois un peu de tristesse dans l’inclinaison de la fine ligne qui lui sert de sourcils.
J’ai mal. Je ne le lui cache pas. Tout mon visage doit le crier. J’ai mal à l’intérieur. Quelque chose qui me ronge les poumons, la gorge et le cœur. J’ai la respiration qui siffle, des ratés dans mes inspirations. Mon état s’aggrave.
Pourtant, Kael y met du sien pour me sortir d’affaire. Il m’apporte souvent de nouvelles plantes à tester, me les fait mâcher, les réduit en poussière, en pommade. Il se réinvente chaque fois.
Personne ne l’aide, il est seul à me soigner depuis le début de ma maladie. C’est bien normal : qui voudrait s’occuper du chien mourant d’un autre ? Sa mère non plus ne m’a pas rendu visite. Je ne l’attendais pas, mais je me sens malgré tout offensé.
Si je jette un coup d’œil en arrière – et bien que la scène de fin soit quelque peu pathétique –, toutes ces années auront eu du bon. J’ai changé. Kael a évolué. Nous avons fait un bout de chemin ensemble dont nous pouvons être fiers.
Des questions persistent pourtant… Quelle place les vampires occupent-ils dans ce monde ? Au sommet de la chaîne alimentaire, pourvus d’une intelligence aiguë, en recherche constante de perfection, ils semblent néanmoins errer sans parvenir à asseoir leur suprématie sur les autres espèces. Je les perçois comme des âmes en quête.
Après six ans de loyaux services, je commence à comprendre leurs habitudes de vie, leurs intérêts, leur éducation, mais ce ne sont là que des bribes. Il existe un monde qu’ils sont seuls à percevoir. Je l’ai effleuré du doigt sans pour autant m’y aventurer.
— Je pense que nous avons atteint la fin du voyage, dis-je à Kael d’une voix rouillée.
Il incline la tête, visiblement sceptique. Comprend-il le sens de mes mots ? Ses yeux se tournent naturellement vers la lune qui, en son plein, balaie la pièce de ses projections argentées.
— Il faut que tu me ramènes chez les humains. Je ne veux pas être considéré comme de la viande avariée, me permets-je de plaisanter entre deux toussotements.
Je voudrais une sépulture. Je ne parle pas de quelque chose d’extraordinaire, seulement d’une petite pierre tombale à l’orée du bois. Si je peux émettre un dernier choix : j’aimerais mourir comme un Homme.
Kael semble avoir compris. Je le vois dans son regard, dans son attitude. Il y a encore quelque temps, je n’aurais sans doute pas pu interpréter sa tristesse. J’ai l’honneur aujourd’hui de comprendre son embarras, de partager la douleur de l’échec. Je sais ce qu’il peut ressentir à voir l’animal dont il s’est occupé pendant tant d’années dépérir sous ses yeux et malgré tous ses soins.
— Tu as fait de ton mieux. Peut-être qu’un médecin humain saura quoi faire, proposé-je avec un semblant d’espoir.
Honnêtement, je n’y crois plus, mais la vérité n’est pas toujours bonne à être révélée. Kael n’est qu’un enfant à mes yeux. Un enfant à l’apparence d’un jeune adulte, mais un enfant tout de même. Six ans auparavant, il n’était encore qu̵

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