Les narrateurs d Auschwitz
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Les narrateurs d'Auschwitz , livre ebook

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Description

Prendre l’Histoire à rebrousse-poil pour faire entendre les voix de ses victimes ; exposer la barbarie que cachent la culture et le progrès technique ; montrer que la mémoire n’est pas l’affaire du passé, mais du présent et que l’écriture peut et doit faire justice. Telle est l’entreprise d’Esther Cohen, qui s’inscrit entre autres dans le sillage de Walter Benjamin et Jacques Derrida. Son livre se veut, comme les oeuvres qui le nourrissent, un acte de résistance contre le silence et l’indifférence qui ont été les complices de la Shoah comme des nombreux massacres qui ont continué de dévaster le monde contemporain.
Primo Levi, Jean Améry, Jorge Semprun, Imre Kertész, mais encore Hannah Arendt, Albert Camus ou même Franz Kafka : les auteurs rassemblés dans cet ouvrage ont vécu les camps, en ont été les témoins historiques, ou en ont eu le sombre pressentiment. En les réunissant, Esther Cohen fait entrer en résonance quelques-unes des oeuvres capitales du XXe siècle. Préface de Silvestra Mariniello

Informations

Publié par
Date de parution 24 mai 2011
Nombre de lectures 0
EAN13 9782760626898
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LES NARRATEURS D’AUSCHWITZ

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Cohen, Esther
Les narrateurs d’Auschwitz
(Champ libre) Traduction de: Los narradores de Auschwitz. Comprend des réf. bibliogr.
ISBN 978-2-7606-2133-6
1. Holocauste, 1939-1945, dans la littérature. 2. Littérature juive – 20 e siècle – Histoire et critique. 3. Écrits de détenus de camp de concentration – Histoire et critique. 4. Auschwitz (Pologne: Camp de concentration) dans la littérature. I. Titre. II. Collection: Champ libre (Presses de l’Université de Montréal).
pj5012.h65c6414 2010        892.4’09358044        c2010-940879-9
Dépôt légal: 3 e trimestre 2010 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Lilmod, 2006, pour l’édition originale © Les Presses de l’Université de Montréal, 2010, pour la traduction française
Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition. Elles remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
La presente traducción fue relizada con sustendo del Programa de Apoyo a la Traducción de Obras Mexicanas a Lenguas Extranjeras (ProTrad).
Cette traduction a été réalisée avec l’appui des institutions culturelles mexicaines, par l’entremise du Programme d’aide à la traduction d’œuvres mexicaines en langues étrangères (ProTrad).
IMPRIMé AU CANADA EN AOûT 2010
Aux chers membres de ma tribu unique: Flora, Concha, Pepe, Salomon, Chavo, Ruthy, Beto, Lalo et Silvia.
Fugue de la mort
P AUL C ELAN
Lait noir de l’aube nous le buvons le soir
nous le buvons à midi le matin nous le buvons la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons une tombe dans les airs là-bas on n’est pas à l’étroit
Un homme vit dans la maison il joue avec les serpents il écrit
il écrit quand le ciel s’assombrit en Allemagne tes cheveux dorés Marguerite
il écrit cela et vient au seuil de la maison et des éclairs tombent des étoiles il siffle ses molosses qu’ils viennent au pied
il siffle ses juifs qu’ils sortent il leur fait creuser une tombe dans la terre
il nous donne des ordres jouez maintenant et que ça danse
Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
nous te buvons le matin à midi nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
Un homme vit dans la maison il joue avec les serpents il écrit
il écrit quand le ciel s’assombrit en Allemagne tes cheveux dorés Marguerite
Tes cheveux cendrés Sulamithe nous creusons une tombe dans les airs là-bas on n’est pas à l’étroit
Il crie creusez plus profond dans la terre et vous autres chantez et jouez
il prend la chose métallique à sa ceinture il la brandit ses yeux sont bleus
plus profond les bêches et vous autres jouez encore et que ça danse
Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
nous te buvons à midi le matin nous te buvons le soir
nous buvons et buvons un homme vit dans la maison tes cheveux dorés Marguerite
tes cheveux cendrés Sulamithe il joue avec les serpents
Il crie la mort jouez-la plus douce la mort est un maître allemand
il crie plus sombres les violons ensuite vous irez en fumée dans les airs
ensuite vous aurez une tombe dans les nuages là-bas on n’est pas à l’étroit
Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
nous te buvons à midi la mort est un maître allemand
nous te buvons le soir le matin nous buvons et buvons
la mort est un maître allemand son œil est bleu
il t’atteint d’une balle de plomb il t’atteint dans le mille
un homme vit dans la maison tes cheveux dorés Marguerite
il lance ses molosses sur nous il nous offre une tombe dans les airs
il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître allemand
tes cheveux dorés Marguerite
tes cheveux cendrés Sulamithe
(Traduction de Maël Renouard)
PRÉFACE
Prendre l’Histoire à rebrousse-poil pour faire entendre les voix de ses victimes; exposer la barbarie que cachent la culture et le progrès technique; montrer que la mémoire n’est pas l’affaire du passé, mais du présent et que l’écriture peut et doit faire justice. Telle est l’œuvre d’Esther Cohen, qui s’inscrit entre autres dans le sillage de Walter Benjamin et Jacques Derrida. La Shoah, rappelle-t-elle, n’a pas été une aberration de l’Histoire, une déviation sur le chemin du progrès, mais une étape logique de ce même cheminement. Ce livre se veut, comme les œuvres qui le nourrissent, un acte de résistance contre le silence et l’indifférence qui ont été les complices de la mise en œuvre de la « solution finale », mais aussi des nombreux massacres qui dévastent le monde contemporain.
Du Silence du nom au Corps du diable jusqu’au présent ouvrage, l’enjeu éthique et politique des livres d’Esther Cohen est bien le « devoir de mémoire » compris comme une responsabilité envers l’avenir et comme l’obligation de donner la parole et, avec elle, la vie à ceux qui en ont été dépouillés. Le devoir, aussi, de donner un nom à ceux qui ont été privés de leur individualité. Dans une entrevue donnée en 2008 autour de son livre Le spectateur émancipé, Jacques Rancière raconte comment dans l’une de ses installations, l’artiste chilien Alfredo Jaar « utilisait des images de Tutsi massacrés qu’il mettait dans une boîte. L’image était cachée, mais il y avait le nom et l’histoire de la personne sur la boîte. Jaar montrait ainsi que ce million de victimes était un million d’ individus, que l’on n’avait pas affaire à une masse prédestinée au charnier mais à des corps qui portent la même humanité que nous. » Les images télévisées nous montrent constamment des corps massacrés en les arrachant à leur à leur humanité et nous rendent paradoxalement aveugles à la barbarie de notre temps. Alors même qu’on a l’impression de mieux voir, de tout voir, on voit d’une façon qui nous rend complices, qui nous aide à tolérer. Cohen soulève fondamentalement les mêmes questions et témoigne d’une continuité à l’intérieur de cette culture du progrès qui a généré et continue de générer tant d’atrocités.
Le silence du nom reprenait le travail commencé avec La palabra inconclusa, qui étudiait le rapport entre la pensée kabbalistique, la philosophie et la critique littéraire contemporaines (Eco, Barthes, Levinas, Derrida). Au centre du livre, une réflexion sur la langue et, dans la langue, sur le nom propre comme demeure de l’homme. Dans Le corps du diable il s’agissait de faire exercice de justice et de redonner la parole à qui a été réduit au silence, et aussi de montrer dans quelle mesure la mise à mort des sorcières avait « mutilé la dignité de l’homme de la Renaissance. »
Avec ces Narrateurs d’Auschwitz, Cohen développe les questions centrales de ses livres précédents, celles de la langue, du nom, de l’altérité comme impossibilité du retour au même et comme cible du pouvoir constitué. Elle reprend aussi la question de la responsabilité et du devoir de mémoire. Le chapitre « Raconter: témoigner face à la mutité de la langue » s’ouvre par la citation d’un passage tiré de La trêve de Primo Levi; il y est question d’Hurbinek, un enfant né et mort à Auschwitz, un enfant sans nom. C’est l’un des moments les plus forts du livre, qui renvoie le lecteur à l’inextricable lien entre l’exercice de mémoire, de justice et d’écriture, ainsi qu’à l’actualité tragique de l’horreur des camps.
L’apport singulier du texte d’Esther Cohen, son originalité dans la littérature sur la Shoah, est finalement surtout dans la mise en évidence du fait que la littérature est le médium nécessaire de la résistance contre la « destruction technicisée » de l’être humain et contre la « peste » de l’indifférence.
Trois idées en particulier font jour au fil du livre. La première est que la littérature (et l’expérience esthétique en général) a la capacité, comme ce fut le cas pour Kafka, pour Joseph Roth ou pour Camus, d’écouter « les gémissements des époques à venir », de capter ce qui est dans les plis du temps et d’une époque mais que la perception commune a du mal à reconnaître. La deuxième idée est que s’il faut continuer à raconter l’horreur des camps, ce n’est pas seulement pour en rendre compte, mais pour que « la parole fasse de l’histoire un présent », qu’elle la rende humaine. La troisième idée, empruntée à Jorge Semprun, est que « pour rendre croyable l’enfer vécu, il faut passer par l’artifice, c’est à dire par la fiction ».
Témoigner, nous rappelle Cohen, c’est surtout se faire écouter. Et pour se faire écouter et se faire croire, comme le voulait Primo Levi, il y a une recherche qui passe par la langue et le style, par la littérature qui devient ainsi une politique de la mémoire.
Silvestra Mariniello
INTRODUCTION
Vivre pour raconter, tel semble être le principe qui anime la plupart des survivants des camps de concentration et d’extermination de la Deuxième Guerre mondiale. Mais s’il y en a un qui s’y attache de manière obsessive et désespérée, dans l’angoisse de raconter et de ne pas être cru, c’est bien l’Italien Primo Levi, qui revient sans cesse sur cette idée: survivre pour transmettre ce que fut l’enfer de ce lieu nommé Auschwitz.
Ville inconnue jusqu’en 1940, Auschwitz deviendra, en moins de cinq années, le signe de notre temps, l’« expérience centrale de notre époque » (Arendt), la « rupture de la civilisation » (Adorno), « l’image de l’enfer où l’on a tenté d’extirper le concept d’être humain » (Arendt) ou, comme l’écrit Jean Améry, « Auschwitz est le passé, le présent et le futur de l’humanité ». S’il est vrai qu’Auschwitz représente, suivant l’hypothèse d’Adorno, l’« autodestruction de la raison », alors ce qui est arrivé dans ce non-lieu — où nul ne peut habiter, puisque «c’est seulement quand nous pouvons habiter que nous pouvons bâtir 1 » et que dans ce camp d’extermination, rien n’a été construit si ce n’est la mort — devient le paradigme de la civilisation occidentale au xx e siècle.
Auschwitz, lieu qui est passé

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