Les nouvelles esquisses d Espagne
196 pages
Français

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Les nouvelles esquisses d'Espagne , livre ebook

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Description

Un jeune adulte quitte Paris et fête son départ. Un boxeur homosexuel doit affronter une défaite et

le rejet de son entourage. Un père veuf souffre de la violence de son fils, et une femme battue de

celle de son mari. Deux enfants découvrent le cimetière du Père-Lachaise...

Composé de cinq histoires principales entrecoupées d’interludes, ce recueil évoque librement

l’album Sketches of Spain de Miles Davis, chacune des cinq nouvelles ayant pour point de départ l’un

des titres de ce célèbre disque de jazz.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 janvier 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414506538
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194, avenue du Président Wilson – 93210 La Plaine Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-50654-5

© Edilivre, 2021
Prélude
Miguel A. déambule, tranquille. Il se promène, en chemisette à carreaux et sa veste sous le bras ; il fait rouler ses larges épaules d’ancien boxeur. Son dos s’est voûté à l’approche de la soixantaine ; et un léger embonpoint, contre lequel il a cessé de lutter, alourdit sa démarche chaloupée. Il longe les façades – solennelles et vénérables – des immeubles de la rue des Ecoles : redescendre vers Jussieu ou, à l’inverse, remonter vers la Sorbonne, peu lui importe… Il attend l’heure de sa séance de cinéma.
Dans la torpeur d’un après-midi d’été, le Quartier latin – auguste et imposant – est parfaitement calme. Paisible. Presque immobile. Comme plombé par une atmosphère de canicule. Le soleil est encore trop haut pour qu’une ombre bienveillante s’étende sur le sol et adoucisse le sort des rares passants. Miguel se sent étrangement bien malgré la chaleur et, après un instant d’hésitation – la tentation d’une mousse ou d’une anisette, synonyme de répit ou de simple parenthèse de fraîcheur –, il décide de ne pas entrer dans le troquet à l’angle de la rue Valette. Il finit par échoir dans le square Paul Langevin où, avachi sur un banc, il s’autorise à somnoler. Il ne prend même pas la peine de chasser les pigeons qui s’approchent de lui pour picorer quelques graines sur le sol, à ses pieds.
Sous le soleil estival, étincelant, éblouissant, lumineux, Miguel sue à grosses gouttes : sa chemisette colle à ses aisselles détrempées ; une suée adipeuse baigne son dos, ses reins, sa taille. Il s’éponge le front, puis s’attarde un instant à contempler les deux adolescents qui, debout sur le trottoir d’en face, s’embrassent fougueusement en attendant que le feu tricolore coupe la circulation des voitures. Un joli petit couple. Le gars est de taille moyenne, cheveux châtains. Il est vêtu d’un pantalon noir et d’un t-shirt moulant, de couleur rose et le col en V. Des sourcils épais et des joues bleuies par les traces d’une première barbe épaississent son visage encore juvénile. Dans ses bras, l’adolescente est toute menue, serrée dans un jean clair ; ses cheveux blonds dénoués retombent au niveau de ses épaules, sur son haut bleu ciel.
Au croisement de la rue Monge et de la rue des Ecoles, un groupe de blacks s’arrête et interpelle joyeusement le petit couple. Ils sont cinq ou six, des bouteilles de soda à la main, tous en short, débardeur ou polo de sport ; leur peau brune, baignée de transpiration, brille sous l’épaisse moiteur du mois d’aout. Ils se rapprochent, semblent se concerter, puis acclament les deux amoureux qui, un peu gênés mais fiers malgré tout, leur répondent d’un sourire. Les re-nois passent leur chemin, direction Cardinal Lemoine. L’adolescent enlace sa petite amie ; à nouveau, ils s’embrassent.
Avec la ponctualité agressive et assourdissante d’une sonnerie de réveil, et comme pour marquer la fin de l’accalmie, le vrombissement soudain d’un moteur perturbe la scène : une voiture tape-à-l’œil – du genre coupé cabriolet, peinture métallisée et vitres teintées – déboule à fond et s’enquille dans la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, laissant derrière elle l’écho d’une musique faussement urbaine et surgonflée ; une lourde ligne de basse, quelques accords au synthé pour marquer un tempo syncopé, et une mélodie de tête simpliste, deux ou trois notes aiguës invariablement répétées. Le petit couple décroche à son tour et file par la rue des Bernardins. Trois gamins pénètrent dans le square Paul Langevin en poussant du pied devant eux un ballon de football.
Il est l’heure. Miguel se lève pour reprendre sa lente promenade en direction du cinéma : un authentique cinoche du Quartier latin qui charrie son lot de mythologie, de vestiges et de nostalgie. Ce même cinéma où il avait pris l’habitude d’aller, au milieu des années soixante-dix, lorsqu’il s’entrainait rue Jean de Beauvais. A la fermeture du Central Sporting Club de la rue du Faubourg Saint-Denis, Miguel avait retenu celle du Quartier latin parmi toutes les salles de sport de Paris, avant tout parce que Kim U. étudiait et militait à la Sorbonne cette année-là : et ils ne voulaient pas perdre une minute avant de se retrouver et s’embrasser, sur un des bancs du Luxembourg, à l’ombre d’un peuplier du quai de Montebello ou dans l’intimité partagée d’une séance de ciné.
Derrière sa vitrine, la caissière semble être restée d’époque, elle-aussi. Elle tend à Miguel son ticket, puis lui rend la monnaie de sa petite main ridée, usée et couverte de petites tâches terreuses. Lorsqu’elle lui souhaite une bonne séance, sa voix aigrelette, chevrotante et sans enthousiasme, déraille légèrement. Miguel s’engage dans un long couloir sombre, tapissé de moquette grise et encombré de vieilles affiches de film – Johnny Guitar, Vertigo ou Citizen Kane , comme toujours –, de photos de stars en noir et blanc dans le style d’Harcourt, de montées de marches cannoises et de couples mythiques : Bergman-Bogart, Morgan-Gabin, Sieberg-Belmondo, Hepburn-Bogart, Cardinale-Delon, Kerr-Lancaster, Bacall-Bogart… Comme à chaque fois, Miguel admire rêveusement ces affiches et ces photos : les portraits des studios d’Harcourt surtout, le perfectionnisme impressionnant des costumes, des postures et des éclairages dont le seul but est de magnifier les visages – bichonnés, alanguis, angélisés ou virilisés 1 – des acteurs ou des actrices photographiés. Miguel ne se doute pas que son goût pour les portraits d’Harcourt tient surtout à leur rapport d’analogie avec les portraits de boxeurs : ces photos en noir et blanc de boxeurs à la ville 2 mimant la pose traditionnelle des pugilistes – une position de garde stylisée, surjouée, virilisée elle aussi –, mais aux visages idéalisés, dépouillés des stigmates du combat, les coquards, les ecchymoses et les coupures qui sont les impropriétés de la profession 3 ; tous ces portraits de boxeurs qui l’ont accompagné pendant plus de quatre décennies et auxquels, sans s’en rendre compte, il demeure profondément attaché.
Dans la salle aux trois quarts vide, l’interminable suite de publicités et de bandes-annonces a déjà commencé. Miguel se faufile au dernier rang pour s’installer au beau milieu de la rangée, bien en face de l’écran, sur l’un des minuscules fauteuils recouverts de l’éternel velours rouge élimé à souhait. Après une énième pub faussement onirique et réellement éventée pour un énième parfum, la bouille ronde et pouponne du petit mineur apparaît sur l’écran, armé de son pic et coiffé de sa barrette : ce casque de cuir aux rebords plats qui ressemble plus au bol de barbier de Don Quichotte qu’à un chapeau. Le gosse est vêtu de son éternel costume : falzar gris, pull jaune, veste grise, ceinture et foulard rouges. Il vole gaiement sur son ticket, septentrionale caricature d’Aladin perché sur un tapis volant de fortune La musique résonne. Tintin-tintin-tintintin . Le petit mineur lance son pic d’un moulinet joyeux. Le piolet tournoie, traverse l’espace de l’écran et se plante au centre d’une cible rouge et or. La musique entêtante radote. Tontin-tontin-tintontin . Et le numéro de téléphone s’égrène, chiffre après chiffre. Zéro-zéro-zéro-un . Miguel se régale : plus de cinquante ans qu’il va au cinéma et, depuis cinquante ans, il retrouve ce petit bonhomme rubicond. Drôle de rituel profane – à la fois humble et immuable. Et à chaque séance, Miguel ressent le même plaisir : il se laisse gagner par un flot de souvenirs comme si cette petite saynète animée condensait à elle-seule tous les films qu’il a vus, et les circonstances de chaque projection ; les réactions des autres spectateurs sur les sièges voisins ; les rires assumés ou les larmes dissimulées de ses amis, autour de lui ; la présence de Kim, assise à ses côtés, ou son absence ; chaque étape de sa vie… Soudain, les lumières s’éteignent. L’obscurité. Brève, mais totale.
Le film peut commencer.
1 . B ARTHES , R OLAND : « Mythologies », 1957, ed. du Seuil, coll. Points Essais (2014), p. 29
2 . Ibid. , p. 25
3 . Ibid. , p. 26
Le concerto d’Aranjuez
La porte s’ouvre. On parle autour de moi du départ, on me fait des recommandations, je respire dans un vertige que je devrais trouver agréable. On me dit adieu, je file comme un mort.
P. N IZAN Aden Arabie .
1
… Pourquoi je pars ? D’où me vient cette envie urgente de foutre le camp ? Ce besoin crucial de respirer un autre air ? Celui d’ici serait-il à ce point irrespirable ? Insupportable ? Avec ses vies millimétrées et ses perspectives étriquées… Un avenir au rabais ! Tout est verrouillé, ici : sclérosé, déprimé ! Déprimé et déprimant ! Je ne supporte plus cette routine omniprésente, ni cette sensation de déjà-vu permanent. J’étouffe ! Je claustrophobe ! Je dois me dégoter un endroit où il est encore possible d’évoluer, de m’élever, de me révéler…
Debout à côté de Louis B. perdu dans ses pensées, Kevin C. tente de figer sur son visage une expression de candeur innocente : « Mouais… C’est bien beau tout ça… Mais, la vraie raison de ton départ ?
L OUIS B. — Qu’est-ce que tu veux dire ?
K EVIN C. — Qu’est-ce qui te pousse à partir ? Pour de vrai. Quelque chose ? Ou quelqu’un ?… Agathe, par exemple ? »
Histoire de couper court à la discussion, Louis recule de quelques pas : comme s’il voulait se donner une vue d’ensemble de l’avancement de leurs préparatifs. La table à manger est repoussée contre un mur et la table basse, glissée dessous. Les chaises sont alignées contre le mur opposé, à côté du canapé. Sur la table à manger, des dizaines de bouteilles de soft et d’alcool en tout genre côtoient des gobelets en plastique, des as

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