Les Pas
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Les Pas , livre ebook

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Description

Elle était devant lui LA FEMME, dans la troublante intimité devenue


Il leva les yeux. Elle venait de s'asseoir à deux tables de la sienne, sur la droite. Il avait perçu ce frôlement d'une présence, alors qu'il était plongé dans sa lecture. La nuque dégagée par un chignon, légèrement inclinée, elle prenait connaissance de la carte pour formuler sa commande. La nuque était blonde, quelques duvets brouillés y folâtraient. Elle était fine et contrastait avec l'ensemble des consommateurs. Elle sortit un livre de son sac et se mit à lire, intensément. Dis-moi qui tu lis, je te dirai qui tu hantes. (...) Il eut soudain envie d'elle, qu'elle le distinguât, le découvrît ! Lui parler !!!

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Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782368324875
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les pas



























La SAS 2C4L – NOMBRE7, ainsi que tous les prestataires de production participant à la réalisation de cet ouvrage ne sauraient être tenus pour responsables de quelque manière que ce soit, du contenu en général, de la portée du contenu du texte, ni de la teneur de certains propos en particulier, contenus dans cet ouvrage ni dans quelque ouvrage qu'ils produisent à la demande et pour le compte d'un auteur ou d'un éditeur tiers, qui en endosse la pleine et entière responsabilité.

Patrick-Pierre DHOMBRES







Les pas
Roman













Écrire, qui demande force, et fait appel à de la force, devient contrôle, poussiérisation de soi…

HENRI MICHAUX


Tes pas enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.

PAUL VALERY
I
Le ciel, s’il pouvait désigner ainsi cette attente, n’était pas assez constant, assez bleu, pour gommer la morosité ambiante. Le jardin de la mairie était parcouru de pas. Silhouettes indistinctes, présences immédiates, c’étaient des formes en mouvements dans la grisaille, conduites dans leur silence, distraites et distantes, des formes détachées au hasard dans la multitude de la vie. C’étaient des pas. Des pas d’incertitudes certitudes en équilibre sur le temps, que Jean contemplait à travers la vitrine du Grand Café, tel d’un aquarium. Jean les regardait, ne cessait de regarder cet ensemble flou et pointilliste, comme l’écriture, comme un instant dans la durée.
La tristesse d’un printemps en déroute sur le calendrier s’accentuait en ce huis clos urbain : LA ROCHE-SUR-YON ! Damier pentagonal d’architecture napoléonienne, place d’arme d’où partent taillées en enfilades des avenues parallèles coupées de perpendiculaires, schéma n’offrant au détour d’un croisement aucune surprise, annihilant toute ludicité de rencontres. Ville caserne, ainsi voulue par un souverain artilleur, glissière pour des canons pointés sur toute velléité de révolte. Huis clos exemplaire de la Vendée, faisant office de chef-lieu, planté au cœur de ce département « vengé » d’une guerre qui fût un génocide perpétré au nom des idéaux libérateurs de la République. De ces massacres, des abominations des colonnes infernales, de la politique de terre brûlée, la mémoire collective en avait retenu une déficience extrême à l’égard du centralisme parisien, amalgamant administration déconcentrée et jacobinisme. Jadis, ce peuple avait puisé sa force de résistance dans l’intercession de ses demi-dieux : « not’bon maître » et « not’ bon prêtre », puis cela avait perduré, de générations en générations, d’une culture paysanne et bigote, aujourd’hui transposée en folklore têtu, confessionnalisme scolaire, apologie du businessman du bocage, modernité de façade.
À midi, les rues de LA ROCHE sont envahies de fonctionnaires et d’employés de bureau en mal d’emploi du temps. L’heure se traîne à l’horloge des pointeuses, la « journée continue » laisse du temps au casse-croûte, au sandwich qui désespère. C’est l’heure des conversations dérisoires qui, loin de tuer l’ennui, le nourrissent. Vie à petits pas où la médiocrité des propos joint celle des actes. Pour Jean Dhombre, ce moment était privilégié pour la lecture, coupure par rapport à un travail vis-à-vis duquel il se sentait de plus en plus étranger. Être fonctionnaire en 1990 ce n’est pas une sinécure, mais quand cette fonction est celle d’inspecteur du travail ! Entre l ‘enclume et le marteau. Prends tous les péchés du monde, coordonne, assimile, négocie, fais du vent ! Certes, il l’avait aimée cette fonction à responsabilité, « fonctionnaire d’autorité », disent-ils ! Il l’avait voulu ce concours si pénible à décrocher, qu’il lui avait sacrifié quatre ans de sa vie. Fier de téléphoner à son père le titre enfin obtenu. Et puis, après dix ans à défendre la veuve sociale et le droit orphelin, par trop souvent V.R.P des plans emplois à maquiller la réalité du chômage, il en était revenu à ses amours d’adolescent : Dada, le Surréalisme, la Poésie.
Il leva les yeux. Elle venait de s’asseoir à deux tables de la sienne, sur la droite. Il avait perçu ce frôlement d’une présence, alors qu’il était plongé dans sa lecture. La nuque dégagée par un chignon, légèrement inclinée, elle prenait connaissance de la carte pour formuler sa commande. La nuque était blonde, quelques duvets brouillés y folâtraient. Elle était fine et contrastait avec l’ensemble des consommateurs. Elle sortit un livre de son sac et se mit à lire, intensément. Dis-moi qui tu lis, je te dirai qui tu hantes. Le regard porté sur les autres est fonction de notre disponibilité. Il eut soudain envie d’elle, qu’elle le distinguât, le découvrît ! Lui parler ! Traverser ce mur de silence transparent mais solide comme un miroir. Eût-elle fait un geste d’invite, il eût été à cet instant le plus comblé des hommes ! Mais pourquoi elle ? Pourquoi présentement cette femme eût-elle répondu à tous ses manques ? La réponse n’était pas d’évidence tant le désir paraît tissé de fantômes : quête de la rencontre, du moment qui défie le quotidien. Ce n’est pas la beauté qui suscite, mais l’espace qui sourd de deux présences à la respiration conjointe, ce bout d’espace intime flottant entre deux existences en un point donné du temps. À cette seconde tout est possible, de se rejoindre comme de s’ignorer, séparés alors à jamais, chacun dans sa parole définitivement tenue secrète où les pas divergents murent le silence arpentaire de la solitude.
L’inconnue se retourna. Juste l’amorce d’un regard qui perçoit mais, comme tactile au feu, prestement réintégrant le sphinx. Juste entr’aperçue la présence de l’homme qui la fixe. Jean allait-il engager le dialogue, franchir le vide intersidéral des tables ? Mais que lui dire ? Quel propos introductif saurait porter l’énergie qui l’étouffait ? Le sourire engageant ? Il ne savait faire, il n’avait jamais su mobiliser son sourire. Jean se redressa d’un bond, comme on se noie, se planta devant elle qui leva les yeux, des yeux vert d’eau, mi-interrogatifs, mi-ironiques. Il l’a pria de l’excuser mais il ne pouvait résister à sa curiosité, dés qu’il voyait quelqu’un plongé dans la lecture il éprouvait toujours l’impérieux désir de connaître l’objet de l’intérêt. C’était tellement rare de nos jours d’arriver ainsi à s’abstraire ! Elle le fixa de ces yeux pers devenus franchement amusés, et sans prononcer une seule parole tourna vers lui la couverture du livre, une ancienne édition blanche Gallimard N.R.F de L’AMOUR FOU. Le silence s’ouvrait sous lui. Il fallait qu’il intervînt ! Il lui demanda si elle croyait au « hasard objectif » ? Elle se taisait toujours, Jean statufié devant sa table, dans une position de plus en plus inconfortable. Il enchaîna, lui dit qu’il quêtait le hasard au quotidien, dans la succession de faits, d’événements mineurs qui lui arrivaient et qu’il voulait relier, comme un fil d’Ariane qui donnerait un sens – peut-être perdu – au limon du temps, un sens libérateur sans doute. Les mots étaient venus d’eux même, expressifs, sincères, imagés, presque poétiques. Ils avaient plu. Elle rompit le silence, il entendait enfin sa voix, claire. C’était original, s’y prenait-il toujours ainsi ? Jean était rasséréné, le sphinx s’était mué en félin de chair ! Il pouvait maintenant s’inviter à sa table. Il fit le geste de désigner la chaise vide, elle acquiesça d’un mouvement de tête. Il prit place face à cette femme qu’il ne connaissait pas mais qu’il percevait, tant il l’avait attendue et comme respirée ! Cette femme dont il ne savait rien était maintenant face à lui, à la juste distance d’un baiser ! Il ne fallait pas que ses mains le trahissent, qu’elles s’arrogent toute l’attention de l’interlocutrice. Garder son calme, ne pas trembler, entretenir l’intérêt, charmer, tels étaient les commandements !
Dialogue. Ne plus habiller des silences. Jean voulait éterniser l’échange, donner et recevoir. Il fallait franchir des barrières, arracher les oripeaux du « quant-à-soi », première étape de la rencontre, mise à nu qui sacralise ; réintégrer l’âge primaire de la danse et de l’envoûtement. Enfin ! quelqu’un pour qui la littérature ne s’épuisait pas dans l’actualité ! Jean félicita l’inconnue de son choix. Elle lui avoua avoir surtout été attirée par le titre alors qu’elle cherchait dans une console de livres d’occasion ; qu’elle avait entendu parler du surréalisme mais, excepté Eluard, n’avoir rien lu qui relevait de ce mouvement ; qu’elle aimait lire parce que cela stimulait ses interrogations et, glissa-t-elle malicieusement, celle de tiers. Elle parlait. Maintenant elle parlait ! Jean l’écoutait à peine tant il entendait cette voix, telle une argenterie lovée en un phrasé délicat, et le regard vert était deux oiseaux voletant au rythme des mots agrémentés de légers mouvements de tête. « N’était-il pas vrai, n’est-ce pas ? Un livre, le simple fait de l’ouvrir, suspendait le temps, nous entraînait loin du quotidien, dans une aire emplie d’écriture, la trame silencieuse et omni-présente de l’œuvre. On se coule dans l’illusion, la musique, l’imaginaire de l’auteur. » Chaque fois elle se laissait prendre, de ce désir d’échapper – fût-ce un instant – à la pesanteur. Elle parlait, et plus elle parlait, plus il paraissait à Jean qu’elle se délivrait, comme si le fait qu’il l’eût abordée l’avait libérée, comme si elle avait entendu un déclic dans son secret, impatiemment. Elle retenait du récit de Breton l’avantage de ne point raconter de faux-semblants d’histoires, la relation d’anecdotes, courts-circuits de correspondances, événements sans liens apparents, mais qui jouaient entre eux et dont le lecteur pris à témoin était rendu complice. C’était la forme la plus achevée de l’envoûtement littéraire.
Jean lui parla de sa formation universitaire et de la découverte du surréalisme. Il lui relata l’exp

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