Leurs vérités
212 pages
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Leurs vérités , livre ebook

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Description

“Je ne veux pas, moi, me résigner. Je ne veux pas que l'argent dirige ma vie, faire des trucs immoraux en pensant à moi avant les autres, c'est trop nul ! - C'est bien, tu as de beaux principes, comme tout le monde à ton âge. On en revient.” Quand on fait ses études en solitaire à la capitale, que l'on finit par ne plus supporter le bruit, la pollution, les examens, l'esprit de compétition et surtout le petit studio au sixième sans ascenseur dans lequel on remonte se terrer chaque soir, quoi de mieux qu'un petit retour aux sources dans la famille ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 mai 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342051148
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Leurs vérités
Aliénor Bédel
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Leurs vérités
 
 
 
 
Chapitre I. (29 juin)
 
 
 
29 juin, 14 h 32
On en finissait avec les six étages sans ascenseur, je sentais déjà qu’Alexis en avait marre. Il soufflait derrière moi, il ne décrochait plus un mot depuis le troisième. Même moi qui avais eu l’honneur de grimper ces escaliers toute l’année, presque tous les jours, j’avais les cuisses qui protestaient. Quand on n’a pas l’habitude, ça doit surprendre. Les vieilles pierres de l’immeuble avaient beau nous protéger des trente-cinq degrés et de la lumière jaune éclatante d’un début d’été écrasant, on sentait quand même les gouttes de sueur dégouliner depuis le dessous de nos bras jusqu’à la taille. Les sympathiques avantages d’un début d’après-midi en pleine saison. L’heure à laquelle les habitués du soleil ont la sagesse de faire la sieste.
Une fois sur le palier, je le voyais franchir les dernières marches d’un pas lourd et lentement régulier, le sourire toujours fixé aux lèvres. Le pauvre, je m’en voulais. J’avais beau l’avoir prévenu qu’on allait se retrouver perchés au dernier étage d’un vieil immeuble dont les parties communes n’avaient pas jugé bon de faire preuve de plus de modernité pratique qu’au dix-neuvième siècle, en voyant cette grosse figure rouge et ronde collectionner les perles de sueur, je sentais la culpabilité me ronger le mollet droit. Au moins, il connaissait déjà le pire. Six étages, dix-sept mètres carrés pour une jolie vue sur la cour, le tout bien éclairé plein sud, je pouvais lui vanter la marchandise comme les vrais professionnels de l’immobilier pour lui faire oublier ses futures courbatures. J’ai ouvert la porte pendant qu’il riait, un peu désespéré, en calmant ses poumons :
« La vache, c’est haut ! »
Évidemment que c’était haut. Chaque être vivant qui hissait ses os jusqu’à mon palier avait cette phrase perspicace en première observation. Chaque personne que j’amenais ici commentait la cruauté des à peu près cent quarante marches pour reprendre la conversation interrompue par nos insuffisances pulmonaires. Et si mes invités ne le faisaient pas, je m’y abaissais moi-même pour les mettre en confiance. Se savoir victimes du même escalier, ça rapproche.
J’avais pris la peine de tout ranger avant son arrivée, pour faire bonne impression d’abord, qu’il se sente bien et qu’il ne passe pas le premier soir en tête à tête avec mes chaussettes à trous, et pour moi, ensuite, car on ne part pas deux mois avec un pantalon, deux t-shirts et trois chaussettes. Tout était dans mes valises, sauf la vaisselle dans les placards et les poussières, dans l’aspirateur. Débarrassés de mon bazar du quotidien, les meubles semblaient dormir. Alexis reprenait son souffle petit à petit, il avait posé ses sacs devant les miens :
« Ah c’est sûr, c’est chouette ! » lança-t-il quand j’eus ouvert les volets.
« Tu pourras arroser le ficus ? Je ne vais pas le trimballer avec moi pendant deux mois… Ça ne te dérange pas ?
— Non, non, si tu me dis ce qu’il lui faut. Parce que moi, les plantes… » Il dut voir l’ombre de mes inquiétudes passer sur mon visage car il ajouta pour me rassurer : « enfin tu sais, y a eu des étés où j’arrosais tout seul tous les rosiers de ma mère, hein ! »
Mouais. Là, il n’y aurait pas de maman d’Alexis pour rappeler les besoins de mon petit arbre d’intérieur. Un papier, un bout de scotch, « deux verres d’eau par semaine », c’était la garantie facile de sa survie. Au ficus. Et à Alexis, aussi, accessoirement.
« Tu vas avoir besoin d’aide pour porter tes valises jusqu’à la gare ?
— Non, ça ira. Elles ont des roulettes, et je n’ai pas de changement. Je reviens le deux septembre, tu me tiens au courant s’il y a un problème.
— Y aura pas de problème ! » me fit-il avec un salut militaire. Je me demandais soudain comment un petit gars venant tout droit et tout seul du sud-ouest n’allait-il pas s’ennuyer pendant deux mois à Paris. Le connaissant, je savais que la solitude, ce n’était pas son truc. Je lui fis part de mes interrogations. Il rougit :
« C’est que j’avais prévu que peut-être, enfin si tu veux bien, quoi. Enfin normalement, y a ma chérie qui devait me rejoindre. Mais si ça te dérange, elle va chez une amie à elle, hein, je veux pas t’embêter ! »
Alors c’était ça. Il voulait s’offrir deux mois de tourisme parisien en amoureux avec sa petite amie, deux mois de tête à tête pour la première fois de leur vie, c’est pour ça qu’il s’était précipité pour entretenir mon ficus et surveiller mon appartement tout l’été. Et il avait peur de ma réaction, le bougre. Sa confusion m’attendrissait, il devenait encore plus rouge qu’après les six étages. Devant sa précipitation à s’excuser et se justifier, je le coupais, réprimant un sourire avec une moue faussement supérieure :
« Du moment que vous me pétez pas la vaisselle et que vous me mettez pas le feu aux rideaux, ça ira. »
Après quelques instructions données sur l’emplacement des poubelles, le robinet de douche qui était grippé, le congélateur qui ne congelait pas et autres contingences matérielles, je le laissais en possession du double de mes clés, mes dix-sept mètres carrés et mon ficus, et je descendais les six étages, les bras chargés de tout ce qu’il faut pour vivre proprement pendant deux mois en passant par le Nord ouest, le Sud est et le Sud Ouest. Même sans laverie.
Direction gare Montparnasse.
 
« Pouvez-vous retirer vos pieds des sièges, s’il vous plaît ? » La voix me fit ouvrir les yeux malgré la lourdeur de mes paupières. La contrôleuse ne s’adressait qu’à ma voisine qui somnolait les genoux sous le menton et les baskets sur la banquette. À force de prendre le train, on élabore des stratégies. L’épaule contre le dossier, dos à la fenêtre, ma jambe gauche repliée sous ma cuisse droite, la jambe droite mise en avant, la circulation sanguine un peu coincée, je n’avais aucun pied hors-la-loi. J’avais ouvert les yeux par réflexe, au cas où j’aurais éveillé la susceptibilité de la dame. Mais non, rien. Pas de regard accusateur dans ma direction, j’étais non coupable. Après un coup d’œil amoureux au-dessus de ma tête pour constater la présence de mon alto qui constituait mon bagage le plus précieux, déjà mes paupières se refermaient comme deux petites couettes pour cornées sensibles à l’agressivité d’une nuit trop courte et d’un trajet dans le métro trop long et je m’oubliais aux bras de Morphée.
 
Sur le quai de cette gare perdue entre champs et forêts, je cherchais ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à ce dont je me souvenais de ma tante. Déjà que je m’arrêtais à cette gare pour la première fois de ma vie, que je n’en connaissais pas le nom encore une heure avant de prendre mon billet et d’envoyer un SMS excité à mon hôte de Normandie, j’avais en plus le bonheur d’être aussi physionomiste que doit l’être un aveugle. Et encore, à l’usage, les aveugles développent une finesse des écoutilles et reconnaissent la voix, moi, rien du tout. À mes yeux, rien ne ressemblait plus à un visage qu’un autre visage. Et une voix à une autre à mes oreilles. La facilité, en somme.
Je me fiais aux détails physiques retenus de mes visites rendues avec mes parents durant mon adolescence. Un visage allongé généralement débarrassé de la moindre mèche sur le front par deux pinces très fines attachées à des endroits stratégiques au-dessus des oreilles. Ses cheveux légers arrangés pour donner du volume malgré leur petit nombre s’arrêtaient au milieu du cou. Du moins à chaque fois que je l’avais vue. En dépassant la cinquantaine, elle avait peut-être fait la révolution capillaire. J’étais en quête d’une silhouette mince et discrète tout en continuant de marcher vers ce qui avait l’air d’être le parking de la gare. Du gravier avec la terre juste en dessous, visible par endroits, trois voitures en tout sur la place, dont une en train de partir.
Ma tante Françoise était là, debout, appuyée contre le coffre d’une petite citadine, les bras croisés sur son ventre, le menton haut avec l’air de regarder au loin. Mais pas dans ma direction. Avec mon gros sac sur l’épaule, mon alto dans le dos et ma valise tressautant derrière moi sur les cailloux, j’étais ce qu’il y avait de plus voyant et de plus bruyant dans tout ce qui pouvait être considéré comme l’enceinte de la gare. C’est seulement quand je ne fus plus qu’à une quinzaine de mètres de ma tante qu’elle tourna la tête vers moi et m’adressa un sourire. En la voyant, mes souvenirs s’éclaircissaient. En à peu près cinq ans, elle n’avait pas changé. Ses joues s’étaient un peu creusées et ramollies, et les légères courbes de son corps mince s’affaissaient à peine. Et encore, ma comparaison s’appuyait sur mes souvenirs grossiers de gosse, j’inventais peut-être tous ces détails.
« Salut Tatie Françoise ! » criai-je plus fort que les roulettes de ma valise.
« Tu as fait bon voyage ? » me demanda-t-elle en m’embrassant.
Sans attendre ma réponse, elle m’aidait déjà à placer mes bagages dans le coffre de sa voiture pendant que je commençais à sentir à quel point ça allait être différent de toutes les fois où nous étions venus lui rendre visite en famille. Cette fois-ci, ce serait à moi de tenir la conversation. Impossible de déléguer à ma mère pendant que je me laissais aller à mes rêveries adolescentes. J’allais devoir parler d’adulte à adulte, rester à table jusqu’à la fin du dîner, avoir un avis sur l’actualité, et personne ne me donnerait

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