Collection de timbrés
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Collection de timbrés , livre ebook

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Description

Collection de timbrés
Philippe Cassand
Roman de 395 000 caractères, 68 000 mots, 330 pages en équivalent papier.
L'auteur Philippe Cassand recueille les souvenirs de Thierry, un gay sexagénaire qui a enregistré 2 264 amants en quarante ans. Pour chacun d’entre d’eux il a répertorié ses caractéristiques physiques et anatomiques, le lieu, l’année, la note de physique et la note de prestation.
À l’origine, une lecture. En 1978, Thierry dévore le récit cru des aventures sexuelles d’un écrivain en vogue ce qui lui donne envie de composer sa propre collection d’hommes. Par convention, chaque timbre est un plaisir instantané ; les échecs ne figurent pas dans la collection, pas plus que les histoires d'amour.
Cet ensemble singulier illustre un mode de vie spécifique, représentatif d'une population, d'un milieu et d'un temps. La collection est l’image emblématique de l'homosexualité d'avant, celle des hors-normes, des « timbrés ». Ce n’est pas un tableau de chasse, mais une mosaïque narrative autour d’une vie gay.
Thierry fait partie, comme l’auteur, de la génération sacrifiée. Sacrifiée mais vivante. Obsédée mais heureuse. La normalisation sociétale fera-t-elle disparaître l'appétit pathologique de la chair ?
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Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 juin 2021
Nombre de lectures 1
EAN13 9791029404535
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Collection de timbrés
 
 
Philippe Cassand
 
 
 
 
 
 
Préambule
 
 
Thierry a eu 2 264 amants en quarante ans.
Pour chacun d’entre d’eux il a rédigé une fiche, même sommaire.
Thierry a fait une collection d'hommes. Il approche la soixantaine et il n’est en rien extraordinaire. Sauf que, tout de même, ces amants, il les a tous en mémoire, ou presque. Thierry vit seul maintenant. Il vit avec ses fiches.
J'écris un livre sur lui, mais c'est lui qui dit tout. C’est un jeu littéraire avec ses règles et ses conventions, loin des canons officiels.
Je pioche au hasard quelques fiches et je lui dis le titre-code, un titre symbolique (clin d’œil à la mémoire) : certains sont parlants et limpides, d’autres moins... D’autres fois c’est lui qui sélectionne la fiche.
Il me donne alors les caractéristiques de l’amant, la taille de son sexe, le lieu, l’année, le nombre de fois, le type de rapport, la note physique obtenue et la note d’appréciation générale. Nous avons convenu que chaque histoire mérite une mention spéciale sous forme d’une « idée associée ».
Et puis après, il raconte, avec des rires et des larmes. Je transcris, je rédige.
 
À l’origine une lecture : en 1978, Thierry dévore le récit de quelques belles aventures d’un auteur gay en vogue à l’époque et cela lui donne envie, non pas d’écrire un livre, mais de faire une collection d’hommes.
 
Ce livre est le fruit de ces entretiens.
La collection n’est pas classée. Les vignettes sont données dans un ordre qui résulte de la double combinaison du hasard et/ou des associations d’idées.
Dans chaque vignette, il y a un plaisir ; les échecs ne figurent pas dans la collection.
Aux dires de Thierry, elles sont toutes rigoureusement vraies sauf une seule qu’il s’est amusé à inventer, pour le fun, pour le jeu, pour démontrer que tout est vrai et que le vrai peut être imaginaire. Il ne m’a donné aucune indication et il n’est pas certain qu’il s’agisse de la plus farfelue, la plus incroyable, la plus fantasmagorique, la plus gratifiante.
Cela peut être n’importe laquelle.
 
Thierry existe, je l’ai rencontré. C’est Thierry qui parle, à la première personne.
Les lieux sont réels, mais les noms ou prénoms ont été occultés ou changés pour ne mettre personne dans l’embarras. Thierry fait partie, comme l’auteur, de la génération sacrifiée. Sacrifiée, mais vivante.
 
Pour commencer, la première fiche par ordre alphabétique.
 
 
1 À-côté-Petit-Prince.
Année 1982.
Idée associée : le collectionneur de sexe rêve quand même d’un chevalier servant.
 
Le Petit Prince n’a rien à voir avec le monsieur en question ni avec un chef-d’œuvre de la littérature. Le Petit Prince était un restaurant pédé des années 80 qui ne désemplissait pas, une institution. Le gros nounours, je l’avais croisé boulevard de Sébastopol. Presque au Châtelet.
« À-côté-Petit-Prince » avait un visage masculin qui attirait l’œil et arborait une toison thoracique mirobolante.
Il habitait dans une petite rue montante à côté du Collège de France. Un appartement de poupée, tout en longueur avec le lit au bout. Un petit lit à une place.
Consommation immédiate. L’étroitesse du lit me permit de l’avoir sur moi la presque totalité du temps du rapport. Il était très lourd, chaque mouvement que je faisais en était rendu difficile. Cette impuissance à l’action faisait tout l’intérêt de la situation. Mon nez se perdait dans la toison exceptionnellement touffue et transpirante. Une transpiration fraîche qui sentait bon.
Vingtaine d’années pour moi. Il n’était guère plus vieux. J’étais dans le fantasme bourgeois du couple et je le revis deux ou trois fois.
La deuxième fois j’étais fiévreux. Ce fut moi qui transpirai abondamment.
Je le bazardais pour je ne sais plus quelle raison. Je crois bien qu’il avait refusé de me servir de potiche. Mon idée d’alors : le trimbaler dans mes soirées pour « montrer » quelqu’un. II n’était pas partant. Je l’avais appelé une fois d’une cabine téléphonique depuis la bibliothèque de la Fac où je faisais semblant de réviser (je me mentais à moi-même). J’étais sans doute excité.
Il me dit non et cela me contraria.
Fin, lorsqu’il me dit un jour :
— J’ai l’impression que tu n’as plus envie de me revoir.
Je lui sus gré de formuler cet état de fait :
— Oui.
— C’est mieux en le disant.
 
 
2 Clavecin duplex.
Année 1977.
Idée associée : cleptomanie sexuelle.
 
Ils habitaient un duplex dans la rue du café où avait été assassiné Jean Jaurès. Une cour pavée très calme avec les immenses fenêtres caractéristiques des hôtels particuliers du Marais. En réalité, c’était un appartement très haut de plafond avec une mezzanine.
J’avais rencontré un péquin et en me rendant chez lui, toujours en avance, question de névrose, je trouvai « l’ami » sur lequel je flashai immédiatement. Je me retrouvai rapidement à quatre pattes sur le matelas de la mezzanine. Je pouvais apercevoir des gens traverser la cour et me demandais si le reflet du soleil sur les vitres occultait suffisamment le spectacle torride, à n’en point douter, que nous offrions. Un beau jeune homme de dix-huit ans (car j’étais beau) avec un homme espagnol aux yeux bleus, l’air avide et les biceps saillants, et l’écume aux lèvres comme on dit dans les romans pornos chics.
L’ami arriva sur ces entrefaites et s’inséra dans nos jeux sans y avoir été formellement invité, ni par moi, ni par mon Espagnol, mais cela devait faire partie de leurs règles tacites. Je ne me souviens pas de lui.
Rien.
Je revis l’ami espagnol aux grands yeux bleus, il donnait des concerts de clavecin. D’innombrables partitions dans une immense bibliothèque en attestaient.
 
*
 
Par quel mécanisme biochimique mystérieux et inconscient mon esprit ne s’arrête-t-il que sur les aventures qui ont ponctué ma vie d’homme et pourquoi les quelques histoires d’amour ne me laissent-elles que des souvenirs que je n’aime pas réveiller ? Seul l’instant fugace intense demeure et représente, par sa brièveté même, la perfection du bonheur. Son revers est la frustration totale puisque dès que l’instant s’achève, la jouissance est consommée et ne vous laisse que le vide.
 
*
 
Il me semble que j’y passais de temps en temps pour me faire sauter. Nostalgie des temps inoffensifs, de l’éclosion des perspectives. On prenait son temps ; on avait tout le temps parce que l’on était jeune et qu’il n’y avait pas de danger. Quelle avidité !
Un bémol toutefois, une fausse note dans la mélodie de ce virtuose de la pénétration en mezzanine : il fut relégué dans le classeur des histoires terminées à la seconde précise où il me vexa mortellement.
Je prenais encore des leçons de piano. J’avais donc des partitions dans un dossier à sangle. Je le tenais comme l’écritoire de la Statue de la Liberté, la tranche supérieure dirigée vers lui. Il passa en revue avec le doigt, l’air soupçonneux, et me demanda si j’avais emporté quelque chose.
Blessé.
Dans ma programmation mentale, fruit d’une éducation aride, faire une telle chose était impensable. Pourtant, en groupe de jeunes durant les voyages linguistiques, j’étais volontiers cleptomane. Mais là, non ! Je venais pour voler seulement à la vie l’instant précieux de la sodomie, de l’anus qui brûle, pas une partition de clavecin. Je n’avais qu’à claquer des doigts pour qu’on me la paye.
 
*
 
J’ai volé quelques timbres pour ma collection, et je suis heureux, car aujourd’hui je suis encore en vie et je regarde mon album.
Esthétique et névrotique.
Je me fais le Café du Commerce à l’intérieur. Je m’interroge beaucoup en ce moment sur la définition du bonheur pour des gens comme nous. Quelle est la vie rêvée, la vie rêvée des démonanges, la vie idéale, ou la plus proche de l’idéal. Parce que pour les autres, on sait à peu près : mariage, enfants, petits-enfants. On va me rétorquer que cela dépend. On va m’incendier, mais disons que pour eux, pour faire simple, c’est plus simple.
Pour nous, il semblerait, au vu des mines piteuses des figurants dans nos lieux grégaires, que le bonheur réside dans l’accumulation des coups, à la rigueur entrecoupée de brèves histoires de contemplation narcissique dénommées ou dites histoires d’amour. Alors, je ne serai jamais heureux parmi vous, hommes sans paroles, sans avenir, sans projets.
Je revisite mes listes, les cases défilent avec les noms de code et les années.
 
Alors lequel maintenant ?
 
 
3 Joshua.
Réveillon 1992.
Idée associée : un appariement apparemment parfait, tatouages gendarmerie/fleur bleue.
 
C’est une grande maison de convivialité tenue par une association de loisirs gays. Sympathique bicoque qui permet de festoyer entre pédés-goudous et de faire des rencontres. Il faut que je tienne mon rang quant à mon sex-appeal et que je démontre au nouveau mari de mon ex que je suis son équivalent sexuel, que j’ai la même valeur faciale que lui, même si parfois je m’évalue au-dessous du cours de bourse, puis au-dessus, au gré des inflexions de mon moral.
Pantalon de cuir, tee-shirt noir orné d’une décalcomanie jaune et orange représentant un dragon avec des idéogrammes. Très flashy. Blouson en cuir jaune et noir, caterpillars noires.
Je surmonte en apparence mon dépit amoureux et il fallait faire bonne figure face à ce couple tout neuf.
À mon arrivée dans la cuisine, notre hôtesse fait quelques réflexions convenues sur ma tenue. Mais la créature lookée Mad Max, qui aide à étaler la pâte feuilletée, a marqué un temps d’intérêt. J’ai fait résonner quelque chose au fond de lui et je ne vais pas tarder à le savoir.
Les installations dans les dortoirs (répartition des individus dans les lits des nombreuses chambres) se déroulent tant bien que mal vu que je suis déterminé à ne pas faire profiter de mes ronflements mon ex et son appendice du moment (je ne veux pas être dans leur niche ou à proximité).
 
*
 
La créature qui m’affectionne a les cheveux très courts, un beau visage viril et triste, une barbe de quelques jours avec des trous. Il ne fait pas radasse gominée

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