À l ombre du silence
75 pages
Français

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Description

Seule survivante de l’écrasement d’un avion, Sarah Blanchard est repêchée et accueillie par un homme étrange, défiguré, au passé trouble, où l’injustice, la vengeance et la violence s’entremêlent, un homme qui vit en ermite dans le fond des bois. Chacun meurtri par la vie, les deux êtres s’apprivoiseront au rythme du quotidien, des malentendus, des drames et du silence. Alors qu’enfin un certain équilibre est atteint, la séparation est inévitable. Mais quand Sarah apprend la vérité sur son samaritain, tout s’embrouille.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2022
Nombre de lectures 2
EAN13 9782898312045
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1300€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À la mémoire de Marie-Laure et Laurent.




Je vais traverser cet hiver en silence, on ne peut s’approcher d’une rose rouge qu’en silence.
Christian Bobin




Cabane


Crash
Sarah s’engouffra dans l’avion. L’esprit brumeux, soulagée de pouvoir enfin dormir, elle s’affala sur le dernier siège du Beaver de la North Minerals Tech Company, une compagnie minière modeste, qui prospectait les terres rares , ces minéraux de plus en plus précieux, utilisés dans les gadgets électroniques. Un instant, elle regarda par le hublot. En ce début de novembre, il faisait froid, le ciel était gris, mais les prévisions étaient bonnes. Fabien, le pilote, l’en avait assuré. Le vol serait sans histoire. Comme d’habitude.
Sarah était arpenteure-géomètre. Oeuvrant pour l’entreprise depuis plus de trois ans, elle y trouvait son compte. Bons revenus, voyages nombreux, vie en plein air, indépendance. Accompagnée de techniciens, elle s’envolait ainsi vers le Nord québécois, ou vers l’étranger. Pendant des semaines, vivant dans des abris de fortune, ils vérifiaient les coordonnées des prospecteurs, analysaient les terrains, préparaient les plans des futures installations. Sarah s’assurait de l’exactitude des certificats de localisation, des titres de propriété et des multiples documents exigés par le gouvernement. La tâche accomplie, tous retournaient chez eux, laissant la firme négocier les droits des Premières Nations. Pendant des semaines parfois, dans le confort de leur foyer, certains avec leur famille, d’autres, comme Sarah, seuls dans leur humble vie, ils attendaient une nouvelle mission.
Sarah appuya sa tête contre la vitre. Elle était vidée. Malgré la gueule de bois, elle sourit à la pensée de sa dernière nuit d’aventure dans le Grand Nord, une nuit qui s’achevait à peine. Elle songea à ce technicien, Éric, le petit nouveau, grand, chétif, qui l’avait accueillie sur sa couche, qu’elle avait hébergé dans sa chair. La nuit avait été chaude. Sauf qu’à cinq heures du matin, elle avait dû le quitter. Ils avaient un avion à prendre.
À vingt-huit ans, Sarah vivait pleinement. Au travail, à la maison. Elle brûlait la chandelle par les deux bouts. Elle sortait le soir, dansait, chantait, baisait. L’alcool et la cocaïne comblaient les vides, engourdissaient la solitude. Puis elle repartait à l’aventure.
Sarah était grande, avait les cheveux bruns, les yeux mi-vert mi-bleu et un regard pétillant. Des taches de rousseur décoraient sa peau laiteuse. Elle avait tout pour être belle. Hélas, elle vieillissait de manière prématurée. Ses cheveux longs souffraient de soins négligés, des cernes encerclaient ses yeux, ses conjonctives s’injectaient du sang de la toxicomanie et de la fatigue. Elle avait perdu son sourire de jeunesse. Jadis volubile, elle parlait rarement. Qu’à ses rares amis et ses confrères. Au travail, ses rapports n’étaient plus aussi professionnels. Lors des expéditions, lorsque le séjour dans la toundra se prolongeait, il lui arrivait de coucher avec un technicien comme cela avait été le cas la nuit précédente. Parfois, d’une nuit à l’autre, l’amant changeait d’identité. En dehors de ses rapports charnels impromptus, elle se montrait revêche. Ses confrères masculins s’en accommodaient. Les femmes, d’anciennes amies pour la plupart, la détestaient. Elles osaient des remarques sur les changements qui s’opéraient chez leur compagne, mais rien n’y faisait.
— La vie est si courte, qu’elle lançait. Vous devriez en profiter, vous aussi. Allez, amusez-vous, les filles !
Mais son plaisir était égoïste. Elle ramenait tout à elle. Dans sa conception des relations, ces « imbéciles » qui s’enchaînent à un mari, ou une femme, et à des enfants, gaspillent leur existence. Opinion certes qui déplaisait à sa mère et ne faisait pas l’unanimité chez ses consœurs et confrères de travail. On s’était plaint de son comportement, mais son travail demeurant exemplaire, on tolérait ses incartades. Et les hommes en profitaient.
Sarah n’avait pas toujours été ainsi. Elle aussi avait eu des espoirs, des illusions. Comme la majorité des filles de son âge, elle avait cru au bonheur, avec un mari et des enfants. Elle avait eu une enfance heureuse. On l’avait gâtée. Les plus beaux jouets, les plus récents gadgets, les meilleures écoles. Elle était espiègle, heureuse, l’avenir lui paraissait rose. Jusqu’au jour fatidique, le jour de la trahison.
C’était un soir de juin. En compagnie d’un nouveau copain, elle profitait d’une soirée tranquille dans un resto-bar à la mode. Trois hommes, des amis de son compagnon, les avaient rejoints. L’un était petit, musclé, portait un piercing au sourcil. Un autre était grand, bien enveloppé de chair et plutôt taciturne. Blond, ses yeux bleus fuyaient le regard des autres. Le dernier était costaud, bavard, plutôt drôle. Ils avaient eu du plaisir ensemble. Jusqu’aux ténèbres.
Quand Sarah s’était réveillée, elle était dans un parc, allongée près d’un buisson, presque nue. Ses vêtements déchirés gisaient près d’elle. La nuit était épaisse. Elle n’entendait qu’un lourd silence. Elle ne reconnaissait pas l’endroit où elle se trouvait. Elle tremblait, elle avait mal. Aux épaules, aux coudes, aux mains, à la tête. Il y avait aussi cette douleur entre les cuisses, dans son ventre. Du liquide gluant et abject s’échappait de ses entrailles, se répandait avec mépris et cynisme sur la peau des cuisses, dégueulasse. De ses mains, Sarah avait voulu essuyer la souillure. En vain. Encore et encore, la viscosité sourdait de ses entrailles comme d’une source intarissable. Sarah avait eu la nausée, elle avait vomi son dégoût et sa rage. Elle avait pleuré de longues minutes. Les larmes taries, elle avait rampé sur l’herbe humide, puis titubant, gémissant, criant presque, elle avait atteint l’entrée du parc. Une voiture balisée y était postée. Deux agents surveillaient la circulation.
Le procès avait été un long calvaire. Il lui avait fallu raconter comment elle s’était fait piéger, il lui avait fallu relater sa douleur, la souillure. Il lui avait fallu convaincre de son état de victime, qu’elle n’était pas consentante, qu’on l’avait droguée et violée plusieurs fois. Mince consolation, le rapport médical était formel. Il s’agissait bien là d’une agression sexuelle multiple, d’un viol collectif. Témoignant devant ses bourreaux, Sarah avait revécu une agression dont elle n’avait aucun souvenir. ADN à l’appui, les quatre hommes avaient été condamnés. Et sa haine des mâles avait explosé. Une haine qui l’avait soutenue finalement. Elle se vengerait sur les autres, ces complices. À son tour, elle éprouverait du plaisir. Et les autres seraient ses objets.
Une vibration la réveilla. Elle inspecta autour d’elle. C’était la panique. À ses côtés, Fred, la tête appuyée sur la têtière du siège devant lui, vérifiait sans cesse la ceinture qui le retenait à son siège. Éric vomissait dans un sac de papier. Dans l’autre rangée, Alain marmonnait en pleurant.
— Pas moi. Non, mon Dieu. Pas moi. Mes enfants ont besoin de moi. S’il te plaît, mon Dieu.
Une nouvelle turbulence secoua la carlingue. Sarah trembla. Installé sur le siège devant Alain, crispé, les yeux fermés, le visage contracté, Philippe serrait les appuis-bras de son siège. Le vacarme était cauchemardesque. Des craquements accompagnaient les secousses.
À travers le hublot, Sarah voyait le brouillard, les nuages, ou la fumée — elle ne pouvait savoir. Puis la neige apparut. L’habitacle craqua encore.
— Mais qu’est-ce qui se passe ? hurla Sarah.
Personne ne répondit. Même Fabien, absorbé par ses instruments et les commandes, blême, terrorisé et rendu sourd par le vacarme. Chacun pensait à la vie qu’il risquait de perdre. Sarah se tourna encore vers le hublot. Dans le blizzard, elle crut apercevoir des arbres, puis une montagne. En bas, une parcelle de bleu apparut. Enfin, ce fut le choc.
L’eau était glacée. Transie, Sarah se débattait en retenant son souffle. Elle chercha ses compagnons. Dans le tourbillon, elle ne vit que des débris. Puis elle aperçut une silhouette, Alain peut-être, ou Fred, sur son siège, inconscient. À part lui, elle ne repéra personne. Des débris la heurtaient, amortis par l’eau. Non sans difficulté, paniquée, elle parvint à déboucler sa ceinture. Elle n’avait plus de souffle, elle devait respirer. Elle s’activa, dénicha une immense brèche dans la carlingue, s’y faufila et s’élança vers la surface.
L’air lui fit du bien. Elle cracha l’eau qu’elle avait aspirée. La surface n’était pas plus accueillante que les profondeurs. Un blizzard faisait rage. À travers la neige et le vent, une vision d’apocalypse meublait le décor. Des pièces de l’avion se consumaient avant de plonger à leur tour. Des craquements accompagnaient le sifflement des rafales. Sarah appela. Rien. Que le chaos. Elle appela encore. Pas d’autres voix, personne pour l’aider. Elle était détrempée, frigorifiée. Ses lèvres tremblaient, ses mâchoires claquaient. Elle devait sortir de là.
Sans voir où elle allait, avec difficulté et désespoir, Sarah nagea. Elle avait mal au cou, à un bras et à une hanche. Ses muscles raidis n’en pouvaient plus. À bout de forces, elle envisagea d’abandonner, sombrer doucement dans l’abîme et le néant. Elle arrêta de se battre et se laissa couler. Ses pieds touchèrent le fond de l’eau. La rive était toute proche ! Puisant dans ses ultimes réserves, elle activa ses membres et se lança vers l’avant. Sa tête heurta une pierre. Elle s’y agrippa, tira de toutes ses forces. Ses pieds touchèrent enfin la terre ferme. Elle rampa, puis s’étendit sur le matelas de rocaille et de neige. Épuisée, elle s’évanouit.
Quelque part dans son rêve, son corps fut bercé par un quelconque navire perdu sur une mer agitée. La sensation était agréable. Elle appela Thérèse, sa mère qu’elle n’avait pas revue depuis des mois. Elle appela Richard, ce père tant aimé, mort des années auparavant. Elle a

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