Au commencement, il n’y avait rien
436 pages
Français

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Description

Un sourd mal-être ronge les jours de Carlo. Lassitude et désenchantement ont pris possession de l’âme de cet instituteur qui se replie sur lui-même quand il n’est pas gagné par de brusques montées de rage. Même son mariage avec Jeanne lui apparaît maintenant dans sa fade réalité : juste un simulacre dont il est à présent prisonnier. Seuls moments où il peut être lui-même : ceux passés avec Karl, étrange ascète qui a investi le vieux bunker caché dans les dunes. Et soudain, comme un rai de lumière qui viendrait percer la grisaille quotidienne : Juliette. Inattendue, inespérée, salvatrice. Elle semble l’attendre à la plage. à un sujet qui aurait pu la maintenir dans les voies étroites du roman purement sentimental, M. Lebeau impose, tout au long du récit, des notes métaphysiques et psychologiques qui aboutissent à bien plus qu’une œuvre sur la passion adultère. En effet, il est encore question du cheminement d’un homme vers une forme de spiritualité empreinte de symboles. Dans la solitude du grenier où il s’est réfugié, il affrontera ses doutes, ses peurs, ses lâchetés. Bibliothécaire à ses heures, il comprendra que, malgré tous les livres publiés, l’Homme ne sait encore « ni lire, ni écrire » les mystères de l’Univers. Ce roman est aussi la chronique d’un village, avec son bistro, ses boutiques, son école, son cimetière au pied des dunes...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 mai 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748376968
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Au commencement, il n’y avait rien
Mireille Lebeau
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Au commencement, il n’y avait rien
 
 
 
 
« Nous sommes de la matière dont sont faits les rêves »
 
William Shakespeare
 
 
 
Décembre 1985,
Au « plat pays »,
Au pays de la mer et du vent,
Là où le ciel, plus grand qu’ailleurs, s’appuie sur la Terre,
Tout au bout,
Tout au bout de la plaine des Flandres,
Qui n’en finit pas…
 
 
 
 
 
 
 
La petite voiture blanche roulait entre le canal et la rangée de peupliers tourmentés par la bise du nord. Depuis quelques jours, l’hiver s’était abattu violemment sur la Flandre. La plaine n’était plus qu’un sombre et vaste marécage lacéré de routes que le gel métallisait.
En face de la petite auberge, volets verts, toit rouge, personne ne réagit aux trois brefs coups de klaxon… Rien. Rien que des bourrasques sinistres, gorgées d’embruns. L’attente était inutile, la solitude oppressante. Le moteur ronfla sous un coup d’accélérateur agacé. Le véhicule fonça vers l’écluse, franchit le pont étroit et fila vers le village échoué au milieu des prairies. Après l’avoir traversé, il s’immobilisa en face d’une propriété abandonnée. Le portillon rouillé était entrouvert.
Juliette descendit de voiture agrippée à la portière que le vent tentait de lui arracher. Manteau plaqué au corps, elle pénétra dans le parc.
Depuis sa dernière visite, la végétation s’était encore densifiée. Elle contourna la demeure ancienne, assombrie par les hêtres centenaires. Son regard s’attarda sur les carreaux sales comme pour y guetter une silhouette, un visage encore vivant malgré les temps révolus. Mais les fenêtres étaient aveugles et, manifestement, personne n’était venu depuis… depuis…
Elle soupira longuement. Le pas lourd, elle se dirigea, au bout du sentier, vers le tombeau de pierre grise. Elle y déposa un bouquet de violettes tout contre le crâne sculpté dans le marbre.
Voilà, elle avait à nouveau cédé au douloureux désir d’être là. Même seule. La belle histoire n’avait-elle été qu’un commencement ? Elle avait la faiblesse d’espérer encore, de croire malgré tout, au rêve interrompu. Elle retint les larmes qui perlaient et courut à sa voiture.
Elle retraversa des villages où déjà des guirlandes lumineuses dansaient dans le vent. Noël approchait. Un an déjà…
Elle avait deux cents kilomètres à faire pour rentrer chez elle, au pays des collines de sapins et des sous-bois ombreux.
En rage contre elle-même, elle répétait tout bas la lancinante question : « Mais qu’est ce qui m’a prise de venir ici ? »
 
 
 
 
I
 
 
 
Pourquoi y a-t-il Quelque Chose plutôt que Rien ?
Et comment être certain qu’il y a Quelque chose,
si on n’est même pas sûr qu’il y a Quelqu’un ?
 
 
À chaque coup de pédale, la chaîne du vélo crissait à cause du sable qui s’infiltrait partout, même sous les portes, les jours de tempête. Carlo habitait un pays où le silence n’existe pas, où l’air respire au rythme de la mer, où le vent a toujours quelque chose à colporter.
Il n’était pas pressé. Il laissait, pour de longs moments, l’engin glisser seul, sur le chemin des Dunes, vers le village encore lointain.
Il aimait la paix des soirs d’été sur la plaine des Flandres quand les cultures maraîchères ondulent, au couchant, sous la brise marine. Il aperçut, au loin, le tracteur de Peter. Au long signe du bras levé, son ancien élève répondit par quelques appels de phares ronds et boueux.
À sa droite, le soleil voilé de brume, glissait lentement derrière le cordon des dunes aux crêtes roses. On entendait la mer invisible claquer de la vague sur le bas de la digue. Carlo pensa : « C’est marée haute ». Cela n’avait, pour lui, aucune importance, mais dans le pays, on vivait avec la mer. Celui qui revenait de la plage disait, en rentrant chez lui ou en poussant la porte du bistrot : « C’est marée haute » ou : « C’est marée basse », comme ailleurs on dit qu’il va pleuvoir même si tout le monde s’en fiche. Les rythmes de la mer se superposaient au temps officiel. Les vieux prédisaient, en observant l’eau et le ciel, la tempête du lendemain ou la promesse de quelques beaux jours.
Carlo soupira. Il rechignait à rentrer chez lui, à retrouver une femme qui n’était plus celle qu’il avait épousée. Il freina doucement. Profiter, profiter encore un peu de cette solitude sous le ciel immense.
 
Tout à coup, un grand frisson lui électrisa le corps : dans la lumière mourante, un air de saxophone s’élevait… Si doux, si insolite qu’il en eut la gorge nouée.
L’air de Petite Fleur lui parvint segmenté par les caprices du vent. Il s’arrêta, un pied au sol, pour écouter la voix sensuelle de l’instrument qui parlait, languissait et, dans un souffle comme retenu, se taisait enfin. Il eut le sentiment de sortir d’un rêve. « Qu’est-ce que c’est ça ?… On dirait que cela vient du bunker… »
Il resta sur place un long moment. Mais il n’entendit plus que la rumeur tranquille de la mer, légère comme une brume de bruit. Il était trop tard pour monter jusqu’au blockhaus qu’il connaissait bien pour y avoir joué, enfant.
 
La nuit était presque tombée. Il redémarra doucement, l’oreille tendue, sans savoir que quelque chose d’important venait d’arriver dans sa vie, sans se douter de ce qu’allait déclencher un air de saxo entendu ce soir-là…
À l’entrée de sa rue, il contourna la première maison pour longer le ruisseau qui courait au fond des jardins. Arrivé derrière chez lui, il poussa le portillon de bois et appuya son vélo contre le mur de la cuisine.
Comme chaque homme, il ignorait de quoi serait fait le lendemain, et pourtant, au lieu de piller l’existence de tous les bonheurs, de toutes les libertés, de tous les élans qu’elle offre, il rentra chez lui, résigné, comme l’insecte se glisse au creux de l’arbre jusqu’au petit jour…
 
Sa femme et ses deux enfants étaient à table. Ils l’attendaient, noyés dans l’éblouissante lumière jaune de la suspension.
— T’as vu l’heure ?
Il y avait longtemps qu’ils ne se disaient plus bonjour. Carlo balbutia des excuses. Il se garda bien de dire qu’il avait entendu de la musique dans les dunes. Depuis un certain temps, Jeanne prétendait qu’il avait des comportements bizarres. Il l’avait même entendue parler de psychothérapie au médecin de famille.
Son fils lui lança un regard complice par-dessus la casserole de soupe fumante que deux bras impatients posaient sur la table.
— Ça va ?
— Ça va, c’est marée haute…
 
Le lendemain, il s’éveilla tard. Dans la maison, l’agitation du matin avait déjà cessé. Il enfila un pantalon de jogging large et confortable et se pencha à la fenêtre de la chambre. Tout au bout du jardin, la Leye coulait paisible, se glissant entre la prairie bordée de saules têtards et les massifs de dahlias que Jeanne avait plantés. Il faisait le temps magnifique d’un vrai matin d’août : malgré l’heure avancée, on devinait encore, dans le ruissellement du soleil, la fraîcheur moite de la nuit.
 
C’était jour de marché dans la rue de l’Église toute proche… Piqué de cris pointus, pailleté de bruits de toutes les couleurs, le bavardage de la foule ressemblait à s’y méprendre à celui d’une plage surpeuplée.
Carlo aperçut Céline au pied du mur blanc qui longeait son potager. Une assiette creuse à la main, elle examinait le poirier en espaliers, écartelé contre les briques. Les paires de bras de l’arbre comme supplicié, étaient attachées à des crochets par des cordes de chanvre. La vieille, le dos courbé, fouillait les touffes de toison verte que formaient les feuilles. D’un geste indécent, elle dénudait les lourdes gonades pendantes à la peau brune et légèrement grenue. Elle glissait ensuite la main en cupule sous le fruit, puis y pressait doucement le pouce. Si la chair cédait, elle tordait délicatement la poire en la relevant pour la détacher de la branche et la déposait dans l’assiette.
Comme souvent quand il l’observait sans qu’elle le sache, Carlo eut pitié d’elle. Il se souvenait de la belle femme qu’elle avait été, rouquine aux yeux verts, à la chevelure frisée et sauvage, à la chair blanche et replète. Pendant des années, elle avait remplacé, auprès d’un père tyrannique, sa mère décédée. Mais à la mort de celui-ci, libre enfin, elle avait mis les bouchées doubles au festin de la vie. Découvrant l’amour, elle en avait fait une friandise abondamment consommée. Elle était devenue candidement provocante. Ses vêtements laissaient deviner un corps pulpeux dont la sensualité gourmande agissait comme un appeau sur le désir des hommes. Elle cachait ses aventures mais tout le monde lui connaissait de furtifs amants et les cernes qui marquaient ses paupières pâles, étaient autant d’aveux silencieux…
 
Carlo, à cette époque, était trop jeune pour tout comprendre mais, quand il venait au village avec sa mère et que Céline passait, ondoyante, auréolée de lumière rousse, il devinait au regard des femmes, que d’étranges ressentiments les habitaient. Il avait entendu aussi les hommes l’appeler entre eux « féline » et leurs rires bruyants révélaient une complicité de mâles.
Céline avait vieilli. À la cinquantaine, elle était devenue – comment dire ? – « Onctueuse »… Son corps s’était appesanti de lourdeurs femelliennes , affadies dans le sac épaissi de la peau. Petit à petit, le temps avait blanchi, jauni, le lourd chignon que ses jeunes amants aimaient, dans un premier geste, à dérouler. Les amours s’étaient faites de plus en plus rares… Il restait, dans ses beaux yeux verts, des lueurs de convoitise qu

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