Bleu de fosse
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Français

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Description

« Rien ne peut avoir ma peau, Thomas ! Il n'y a que moi qui puisse avoir ma peau... QUE MOI ! »

Un soir, Thomas Schaeller, jeune trentenaire branché et gérant d’une boutique de baskets de luxe, s’adjoint les services de Bassem, étudiant franco-libanais féru de musique électronique et prostitué occasionnel. Si Thomas devient rapidement accro aux « talents » du charismatique et peu loquace Bassem, la vie de ce dernier se voit bientôt bouleversée, le poussant à s’ouvrir à Thomas. De crépuscule en crépuscule, au cœur d’un huis clos percutant qui les mènera de Strasbourg à Berlin, les deux hommes vont apprendre à s’apprivoiser...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 4
EAN13 9782374532615
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

BLEU DE FOSSE
Thierry Desaules
Les Éditions du 38
Du même auteur

À l’heure où nos fantômes rampent sur l’île aux roses (réédition papier), roman ,
Éditions du 38, 2015.
Le Ventre (réédition numérique), roman ,
Éditions Numériklivres, 2014.
À l’heure où nos fantômes rampent sur l’île aux roses , roman ,
Éditions Numériklivres, 2013.
The Cure, les symphonies névrotiques , biographie ,
Éditions Alphée-Jean-Paul Bertrand, 2010.
Placebo, rock sur ordonnance , biographie ,
Éditions Alphée-Jean-Paul Bertrand, 2010.
Indochine, l’ombre des mots , essai biographique ,
Éditions Alphée-Jean-Paul Bertrand, 2009.
Le Ventre , roman ,
Éditions Bonobo, 2006.

En collaboration :
Hyper parking , nouvelle in « Histoires cueillies pour Haïti »,
Éditions Publibook, 2010.
Harold, de la non-importance du sursis , nouvelle in « Les 15 vies de Daisy Nepsy »,
Éditions du Cygne, 2007.
À N., avec amitié et pragmatisme. À Erwan Chuberre (1971-2014).


La vieillesse n’est pas faite pour les lâches. Bette Davies

Étoiles obscures saccadées soufflent un ciel brillant et vide, Les garçons sauvages sourient. William Burroughs
Prologue
C’est d’abord une forêt de cerisiers fantomatiques qui entoure son visage sur la photo. Un noir et blanc surexposé au bas duquel est écrit « Fuck You » en police d’écriture Impact , mais également en idéogrammes japonais en rapport, j’imagine, aux cerisiers ectoplasmiques. Le port de tête se veut altier, on y verrait presque une certaine arrogance ; la jeunesse semble galvanisée dans l’ombre, sûre d’elle. Le visage n’est pas visible, interdit par une main prolongée de doigts noueux figurant une toile d’araignée masquant les yeux, le nez et la lèvre supérieure. Au poignet, un fin lien de cuir sombre retient un bijou oxydé en forme de lame de rasoir.
« Je suis un loup déguisé en agneau. Enragé et pragmatique. »
Empruntés à la poétesse américaine Sylvia Plath, ce sont ses mots à lui. Je n’invente rien.
Entre les murs du vaste salon où ma solitude se répercute avec le rebond frénétique d’une boule de flipper, l’écran du PC m’éclaire d’un bleu qui me gomme, d’un cobalt synthétique et bienfaisant qui me donne dix ans de moins.
Je suis nu et bleu.
Si un geek gaucho et cinéphile m’observait, j’aurais l’air de sortir tout droit d’un film de Gregg Araki.
Sur l’écran, mes doigts parcourent son visage dont les reliefs me sont encore étrangers ; la masse de cheveux folle et défiant les lois de la pesanteur que j’idolâtrais déjà sur quelques obscurs chanteurs britanniques, le regard défiant, les lèvres épaisses à la courbe trop régulière, presque rouges à l’écran, la barbe noire de deux jours aux poils mal implantés, le teint diaphane.
Nos peaux, encore virtuelles et pixellisées à cet instant, adhèrent l’une à l’autre.
J’écris à un loup pragmatique. L’homme enragé me répond.
Je reçois sur mon adresse e-mail privée un MP3 de rap féminin. Les filles se sont baptisées « Orties » :
Je pratique le sexe après la mort. J’te préfère dur et froid.
Nous convenons alors d’un premier rendez-vous.
Première partie ENTRE CHIEN ET LOUP
I did everything, everything I wanted to
I let them use you, for their own ends
To the center of the city in the night,
Waiting for you
To the center of the city in the night,
Waiting for you.

Joy Division , Shadowplay
Crépusculaire 1
Lui : Un nom sur la sonnette ?
Moi : Schaeller. Thomas Schaeller.
 
Cela fait près de quatre ans que Léna et moi avons ouvert le Sneaky Way, une petite boutique de baskets et de runners de luxe, à l’angle de la rue Brûlée et de la rue du Dôme.
J’avais fait la connaissance de mon associée à l’automne deux mille dix, au sein d’une enseigne de prêt-à-porter haut de gamme où j’officiais en tant que vendeur intérimaire.
Première vendeuse au caractère bien trempée, j’avais été séduit par la forte personnalité de Léna. C’était une jeune femme menue, à la blancheur eurasienne délicate ; le petit nez retroussé et les pommettes rondes qui soulignaient son regard vif laissaient de prime abord à penser qu’on pouvait lui donner le bon Dieu sans confession. Elle en jouait, séductrice et convaincante avec les clients fortunés et exigeants, elle savait se montrer intraitable avec la direction harpagonienne et bonne camarade avec ses collègues. Pour tout dire, Léna était une meneuse d’hommes, de celles qui dirigent leur petit monde à la baguette avec l’air de ne pas y toucher.
Cette boutique est notre réussite commune. Je dois beaucoup à Léna.
Sneaky Way est un lieu que nous avons voulu tout en rondeur organique et immaculée. Un espace-temps où chaque chaussure se doit d’être un obscur objet du désir. Nous y parlons design, confort du contrefort, pureté de la ligne. Nous y avons mis toutes nos billes et, Dieu merci, le succès fut rapidement au rendez-vous. Pour autant, si Léna y a fait la connaissance de Romain, son compagnon, entre deux paires de Pierre Hardy bleu électrique en pointure quarante-quatre, force est de constater que je n’ai pas eu autant de chance sur le plan personnel. Je suis un homme seul, un single man de Christopher Isherwood, passé maître dans l’art de décevoir, et parfois même, souvent devrais-je dire, dans l’art de l’autodécevoir.
Je suis de ceux qui ne rappellent pas les copains, de ceux qui ne donnent jamais de nouvelles aux parents, de ceux qui n’enfantent pas par pur égoïsme, ne remercient pas et – ô grand jamais – ne s’excusent de rien.
Certes, j’ai des amis, quelques-uns, qui m’acceptent tel que je suis et avec lesquels je passe le peu de temps libre que me laisse le Sneaky Way. Mais à trente-cinq ans, je n’ai pas trouvé de lèvres à embrasser en rentrant chez moi le soir, pas d’épaule sur laquelle m’épancher au sortir d’un inventaire exténuant, pas d’âme sœur (mais peut-être devrais-je dire âme frère ) avec qui débiner les clients arrogants et difficiles à contenter. Il n’y a personne dans ma vie réussie.
Alors, parfois, parce qu’il faut bien que le corps exulte pour ne pas s’éteindre, il y a l’interface azuréenne d’un site de rencontres pour hommes. Il y a… le Bleu.
 
***
 
L’appartement meublé du cinquième étage, je l’ai acquis grâce à une donation du vivant de mes parents. Je le loue en général à l’année à des colocations d’étudiants. Les derniers en date ayant joyeusement planté leur année avant la fin du bail, le meublé fait office de garçonnière à l’occasion, en attendant que l’agence qui gère le bien ne me trouve de nouveaux locataires. C’est donc en ces lieux neutres pour moi que j’attends Bassem avec une certaine fébrilité. Le réfrigérateur n’est pas branché. J’ai rempli d’eau froide et de deux bacs à glaçons le lavabo de la salle de bains. Une bouteille de Moët & Chandon et deux cannettes Heineken y surnagent en surface dans une relative obscurité. Je fais les cent pas dans le grand salon blanc qui s’ouvre avec une certaine majesté sur les toits de Strasbourg.
La nuit s’invite doucement sur la ville, parcourant un spectre allant de l’azur au rose indien. Au cœur du panorama, l’unique flèche de la cathédrale suggère un embrasement spectral.
L ’Inside of Me de Montmartre, que j’ai mis à plein volume pour ne pas entendre les pensées qui se fracassent contre mes tempes, semble faire onduler l’ombre des poutres apparentes sur les murs en crépis. Le parquet fraîchement ciré craque sous le poids d’une anxiété certaine.
Certes, Bassem n’est pas le premier homme que je reçois ici, mais il est le premier que je reçois selon cet accord. Et bien sûr, cela change tout.
À vingt heures trente pétantes, l’interphone crachote sa sonnette mortifère, me faisant sursauter debout, moi et le verre de vodka on the rocks que j’ai ramené de mon domicile – deux étages plus bas – pour me donner une once de courage.
J’ouvre.
Commence alors une attente interminable puisque l’immeuble bâti en 1910 n’a pas d’ascenseur. Et c’est exactement dans ce type de situation que viennent vous hanter jusqu’à la folie les questions les plus risibles : je l’attends où ? Sur le palier ? Non, ça fait le mec qui n’en peut plus d’attendre. Dans l’embrasure de la porte ? Non, ça fait le mec méfiant qui s’apprête à envoyer bouler un binôme de Témoins de Jéhovah . Je le laisse poireauter devant la porte quelques minutes comme si je ne m’attendais pas à le voir arriver si tôt ? Non, il n’y croira pas une seule seconde.
Après avoir attendu un court moment, j’ouvre la porte de l’appartement. Un garçon d’une vingtaine d’années et qui me dépasse d’une bonne tête me fait face. Il porte un trois-quarts noir et cintré d’inspiration militaire, un slim et une paire de Converse bleu nuit. Son visage est moins dur que sur les photos, son regard reflète une douce timidité qui me rassure instantanément. Mais surtout, je demeure saisi par sa beauté métissée et diaphane, fruit – je l’apprendrai plus tard au détour de la conversation – d’un père libanais et d’une mère française. Me reviennent en mémoire tous les aphorismes de Wilde concernant la beauté saisissante de la jeunesse. Dorian Gray semble attendre sur mon paillasson que je l’invite à entrer.
La jeunesse sourit sans raison, c’est le plus charmant de ses privilèges.
Ô Jeunesse, rien ne te vaut !
 
— Bonsoir Thomas ! murmure-t-il à mon oreille avant de déposer une bise...

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