Dernier seigneur
90 pages
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Dernier seigneur , livre ebook

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Description

Qu'elle soit exiguë et secrète, qu’elle obéisse à une classification rigoureuse ou personnelle, que les livres
qui la composent soient alignés ou dans des cartons, qu'est-ce qu'une librairie, sinon le rêve d'une vie ?
Jacques Mersaud réalise ce rêve dans la ville haute de Bar-le-Duc. Sa passion des livres, sa sensibilité
littéraire et sa vivacité font de sa librairie, le Cahier Bleu, une référence culturelle.
Au bord de l’Ornain, alors que son entreprise est peu à peu menacée par les grandes surfaces, les sites
de commande en ligne et le consumérisme, Mersaud rencontre une femme lisant un roman d’André
Gide, et en tombe amoureux. Mais Nicole D. disparaît de façon étrange, le laissant désemparé. Son
combat humaniste et son grand amour se mêlent alors de façon inattendue.
Célébration de la plus civilisée des passions humaines, il ressort de ce roman d’amour et d'aventure que
fonder une librairie n'est rien de moins qu'une mise à l'épreuve d'ordre philosophique dont l'avènement
du numérique ne saurait réduire la portée.
Pour tout public. Publié avec le soutien du Ministère de la culture- DRAC GrandEst- et de la Direction
de la culture de la Région GrandEst

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 avril 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9791091590433
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Photo de @benjamarkoword
ISBN : 979-10-91590-43-3
T ABLE DES MATIÈRES
Page de titre
Page de copyright
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
Chapitre XIX
Chapitre XX
Chapitre XXI
Chapitre XXII
Chapitre XXIII
Chapitre XXIV
Chapitre XXV
Chapitre XXVI
Chapitre XXVII
Chapitre XXVIII
Chapitre XXIX
Chapitre XXX
Du même auteur
LE CAHIER BLEU
I

Mon père détestait la cuisine au beurre, les communistes et les cravates à rayures.
Il ne supportait pas quand ma mère chantait en repassant, et hurlait lorsqu’à table elle lui arrachait sa bouteille de vin au bout du deuxième verre.
Mon père, je le revois chaque dimanche matin faire son spectacle à la quête de la grand-messe. Droit comme un I, la main gauche gantée de blanc sur le ventre et la mâchoire serrée, on aurait dit qu’il accomplissait une mission sainte pour le salut de l’humanité. Mais je me suis toujours demandé si, la barbe frisée et les cheveux noirs brillantinés, il n’y allait pas pour faire le coq devant les paroissiennes endimanchées et voler la vedette au jeune curé. Un jour, j’avais treize ans, il m’avait demandé de remplacer au pied levé la dame quêteuse qui officiait d’habitude avec lui ; j’étais mort de honte devant mes copains, qui pouffaient de rire derrière leurs missels.
Mon père aimait surtout passer des heures à lustrer sa Traction noire, qu’il ne sortait guère qu’une fois par mois pour conduire maman dans les commerces de Metz. Pour eux, Metz, c’était la capitale. J’ignore toujours pourquoi, ils n’aimaient pas Nancy. C’était la grande sortie, qu’ils préparaient la veille avec le plus grand sérieux. Même effervescence joyeuse que celle précédant, chaque 14 juillet, notre départ en vacances au lac de Gérardmer, valises et cannes à pêche en moins ; la grande question était de décider si l’on prendrait par Commercy ou par Saint-Mihiel.
Arrivés à Metz, on se garait toujours à la même place, à mi-pente de la rue des Jardins, qu’un ancien copain de régiment de mon père s’arrangeait pour lui réserver devant sa cordonnerie. Maman passait deux heures à acheter ses tissus chez Stuhler ou ses pelotes de laine chez Phildar, avant d’aller emprunter quelques livres à la bibliothèque municipale de la colline Sainte-Croix, là où se trouve toujours le musée, la Cour d’Or. Mon père faisait le plein de clous ou de pots de peinture à la quincaillerie Vincent, et allait boire une Amos place Saint-Jacques, où maman le retrouvait, essoufflée de porter ses paquets. Parfois, lorsqu’il devenait urgent de me rhabiller, je les accompagnais : on partait tôt le matin faire les achats, on allait manger une escalope viennoise chez Hazard, place Saint-Simplice, et on remontait par la place Saint-Louis et la Fournirue jusqu’au Café de la Lune , devant le marché couvert, pour boire une limonade avant de regagner notre refuge meusien.
Ma mère détestait quand la voisine débarquait à pas d’heure avec son verre mesureur pour lui demander un fond d’huile, histoire de lui tenir la jambe en lui racontant les derniers ragots. Elle faisait du gringue à mon père, qui se serait bien laissé tenter. Ma mère n’aimait pas que la mère Simonin, qui vivait trois maisons plus loin, mette une croix sur le calendrier lorsqu’une fille des alentours se mariait, pour savoir si le premier-né n’aurait pas été conçu avant les noces. Elle aimait nous tricoter des pull-overs et des écharpes sur un coin de table en lisant Nous Deux ou Femmes d’aujourd’hui , me faire des pâtes gratinées le samedi midi lorsque je rentrais du lycée, et vider la vieille boîte de photos noir et blanc en me racontant pour la centième fois l’histoire de la tante Sidonie qui, un jour, avait flanqué son mari à la porte à coups de bâton.
C’étaient mes parents. Ils étaient comme ça. Mais je n’aimais pas que mon père n’aime pas les communistes, et je détestais les romans-photos de ma mère. J’aimais bien voir briller le capot noir de la Citroën, rentrer chez moi le samedi pour engloutir en trois coups de fourchette la couche de gratin des macaronis, et respirer la douceur des pelotes de laine de maman. J’aimais aussi caresser la couverture bleue de son vieux cahier d’écolière, qu’elle avait gardé comme son trésor, et que j’ai toujours sur le coin de mon bureau.
Cinquante ans après, je me souviens de cela plus que du reste. Ce qu’ils aimaient, ce qu’ils n’aimaient pas, leurs manies, leurs marottes, et jusqu’à leur façon un peu trop théâtrale de se disputer pour des riens, comme deux enfants. Les odeurs de la maison, les bruits, leurs gestes, leur regard, et mon regard d’enfant sur eux. Ce sont mes repères, la laisse de mer après la marée, des bribes revenues, retenues, que l’on va déclore dans les moments de cafard.
Et, quand parfois je pense à mes parents, me reviennent l’odeur des sièges en cuir de la Traction, la couleur rousse du gratin du samedi et le léger cliquetis des aiguilles à tricoter.
II

Ils sont morts ensemble, il y a longtemps, dans la voiture enroulée autour d’un arbre, sur une longue ligne droite à moins d’un kilomètre de la maison, où la seule plaque de verglas de ce 18 décembre 1968 semblait avoir été programmée et posée là rien que pour eux et, à la réflexion, pour moi aussi, qu’elle a brisé. Je n’avais pas vingt ans, je commençais à peine mes études de lettres à Nancy, où j’avais une chambre à la cité universitaire de Boudonville. Cette chambre, numéro 211, à la porte de laquelle on a frappé un peu avant vingt heures, où deux gendarmes sont entrés, avec derrière eux le petit concierge chauve dans sa blouse grise, je ne savais pas ce qu’ils me voulaient, un long silence gêné, j’ai cru qu’ils venaient pour une enquête, un témoignage, avec ce qui se passait parfois entre étudiants, moi je n’avais rien à me reprocher, et là, la nouvelle qui a atomisé mon cerveau. Ils m’ont présenté leurs condoléances, j’ai mis un temps à comprendre ce qu’ils voulaient dire par là, pour moi c’était la fin du monde, la fin de tout, la fin de moi.
Je n’ai jamais compris, ça n’aurait pas dû arriver, ce n’était pas prévu, pourquoi eux, pourquoi eux ensemble ? Pourquoi m’ont-ils laissé seul ? Pas prévue, leur mort ; pas prévu, mon plongeon brutal dans le statut d’orphelin ; pas prévue, la première marche d’un Golgotha vers le bout duquel je chemine toujours dans ma tête. Le traumatisme est encore là, pareil à un tout petit éclat d’obus serti à tout jamais dans ma chair et qui chaque matin me rappellerait que je l’ai échappé belle – non, je ne l’ai pas échappé belle, c’est pire.
Bizarrement, si j’ai conservé intacte et vivante la mémoire de mes parents, je n’ai gardé que du flou des moments qui ont suivi leur mort, la messe, le curé qui osait dire que maintenant ils étaient heureux près du Père céleste, le cimetière, le notaire, les papiers. Pourquoi d’ailleurs dit-on « les papiers », « les démarches » ? Comme si un deuil était semblable à l’achat d’une maison, à l’inscription dans une école ou à l’établissement d’un passeport. Comme s’il fallait encore homologuer les morts avant de les soustraire pour toujours à l’autorité des lois et de les mettre dans cet enclos, dans ce charnier où ils vont tout doucement se décomposer à l’abri d’une croix, recouverts de pots de géraniums au printemps, de chrysanthèmes à l’automne.
Alors je me suis noyé dans les études, tête baissée, à m’en péter les neurones. Il me fallait réussir, pas pour moi, pour eux, pour qu’ils soient fiers de moi, le survivant, pour tenir la promesse que je n’avais jamais eu le temps de leur faire. Comme pour entrer en religion et cultiver le désastre de mon âme, je me suis fait ermite, j’ai quitté ma chambre de Boudon , j’ai loué un tout petit studio rue de la Ravinelle, pour être seul, ne plus entendre rire et nocer dans les piaules d’à côté, ne pas chialer en voyant les autres partir le vendredi soir avec leur paquet de linge sale sous le bras pour rentrer chez leurs parents et en revenir deux jours plus tard, avec le souvenir de la tarte du dimanche. J’ai bossé comme un dingue. J’ai assumé ma solitude, j’ai couché avec elle, j’ai fini par me sentir bien dans ses grands bras, on formait un couple d’enfer. D’enfer, oui…
Je ne revenais plus que rarement dans la maison d’Audrecourt 1 désormais vide mais si pleine d’eux. Je m’étais pourtant juré de ne jamais la vendre, de ne pas la louer, et qu’un jour je retournerais y vivre. J’ai tout conservé ou presque, les meubles, les vieux souvenirs ; rien n’a bougé, tout est pareil, confit dans un passé que j’avais redouté de voir s’effacer. La demeure de mes parents est devenue leur musée, avec moi comme gardien : les outils de mon père, les livres et les magazines de maman, le plat à gratin, le verre mesureur, quelques pelotes de laine au fond d’une vieille armoire. Seule ma bibliothèque m’appartient, le reste est toujours leur espace.
Lorsque je rentrais, je restais de longues minutes dans ma voiture, ou debout devant la porte, n’osant pas, espé rant qu’ils m’ouvriraient et se jetteraient dans mes bras en me disant : tu vois, on est revenus . Mais ils n’ouvraient pas, ils n’étaient pas revenus pour m’attendre, alors j’entrais, sur la pointe des pieds, à l’affût du moindre bruit dans la cuisine, dans les chambres, à la cave, au grenier. Je me disais qu’ils allaient rentrer des courses, que j’entendrais bientôt le crissement des pneus de la Traction sur les gravillons de l’allée du garage (c’était l’une des manies de mon père, rien que pour faire hurler maman), que la porte allait s’ouvrir, mais la porte ne s’ouvrait jamais. Je ne croyais pas qu’ils étaient partis pour de bon, je les imaginais vivant dans les forêts paisibles d’un monde lointain et peut-être chimérique, à m’attendre. Puis avec les années tout cela s’est apaisé, il a bien fallu apprivoiser les ombres de ce temps-là.
Dans ma voiture qu

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