L échappé
23 pages
Français

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Description

En toile de fond, il y a le Tour de France qui bat son plein, dominé par un coureur espagnol jusqu'alors inconnu.
Il y a aussi cette barrière blanche et rouge, entre Matthias et la surface ; cette planche de bois peinte qui sépare ses fantasmes de sa réalité de gardien de parking souterrain. Aussi seul dans sa cabine que dans la vie, Matthias regarde la télé et baisse la tête devant les clients du parking, comme le font les coureurs du Tour lorsqu'ils parcourent ces paysages où Matthias aimerait tant s'enfuir.
Et puis il y a Elle et son passage quotidien devant le gardien, avant de remonter vers la lumière. Comment lui dire qu'elle est tout ce qui lui reste ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 novembre 2010
Nombre de lectures 8
EAN13 9782363150073
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0007€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'échappé
Laurent Barbot
ISBN 978-2-36315-159-9

Novembre 2010
Storylab Editions
30 rue Lamarck, 75018 Paris
www.storylab.fr
Les ditions StoryLab proposent des fictions et des documents d'actualit lire en moins d'une heure sur smartphones, tablettes et liseuses. Des formats courts et in dits pour un nouveau plaisir de lire.

Table des mati res

Episode 1
Episode 2
Episode 3
Episode 4
Episode 5
Episode 6
Episode 7
Biographie
Episode 1
La barrière blanche et rouge monte, la barrière blanche et rouge redescend. Matthias a déjà compté le mouvement, pour tuer le temps, pour l'amoindrir, il n'arrive jamais à le tuer. Pour une journée type de sept heures, l'obstacle se lève et s'abaisse environ deux cent cinquante fois. Elle est passée ce matin, mais c'est comme si ça n'avait pas eu lieu ; Elle n'a pas encore de prénom. Matthias ne s'occupe que des sorties. Il sait qu'il y a cinq bandes blanches et six bandes rouges sur sa barrière et qu'elles mesurent toutes vingt-deux centimètres, sauf celle du bout qui a été raccourcie. Il a un peu honte de savoir ça, c'est symptomatique de l'ennui. Une véritable sclérose neuronale. Ce matin, Elle a souri de manière très conventionnelle. Elle avait bouclé sa rousseur, elle s'est certainement levée tôt pour ça. Matthias sort de sa cabine, ses pas résonnent. Tout résonne ici.

Matthias est un néo-trentenaire. Deux ou trois cents personnes savent qu'il existe et une vingtaine le voit régulièrement. Quand on a besoin de lui dans un des quatre étages souterrains du parking privé, Matthias actionne l'automatisme et la barrière monte quand les abonnés passent leur carte dans la borne. Monsieur Erlhinder, propriétaire d’une quinzaine de parkings en France, lui demande de ne sortir de la cabine que si c'est nécessaire. Son point d'orgue est le contact humain avec le client. Ils montrent leur carte à Matthias qui les salue et leur ouvre la barrière. C’est faussement altruiste. Matthias ne se plaint pas, Erlhinder a accepté qu'il place un petit téléviseur dans sa cabine. Elle est passée ce matin mais elle avait la tête ailleurs, très certainement à la surface.

Le niveau -1 est réservé au marché qui se trouve en haut. Les camionnettes y mélangent leurs effluves de viandes, fruits, poissons et fromages. Au mois de juillet, c'est pire, le trou béant qui mène à la surface apporte un souffle chaud qui galvanise les odeurs. Alors Matthias s'enferme dans sa cabine et fait glisser sa vitre à chaque arrivée de client. Vers huit heures cinq, il la fait glisser en avance pour être prêt, pour Elle .

Dans ses quatre mètres carrés, il regarde ses deux écrans, la télévision et le moniteur des caméras de surveillance. Parfois il enregistre des séquences qu'il va montrer aux deux cons du stand de lavage. Des couples, souvent illégitimes s'ébattent inconscients dans leur véhicule. Matthias aimerait un jour prendre en flag son mari avec une autre femme. Il pourrait lui montrer la vidéo, Elle le quitterait. Les deux cons préfèrent les vidéos de conducteurs qui ont toutes les difficultés du monde à manœuvrer dans les colimaçons qui relient les étages.
— Gad'le l'blaireau, y va toucher, y va toucher !
Il ne se passe rien d'exceptionnel dans un parking souterrain privé. Sauf vers huit heures cinq, ces quelques secondes valant toutes les heures qui couleront avant les prochaines.

Avec la chaleur du trou béant, le mois de juillet apporte sous terre le Tour de France. Matthias y fuit par procuration, juste un peu, ce n'est pas un rêveur. Il aime les coureurs quand ils souffrent ensemble. Il en veut à ce jeune Ibérique qui se démène pour abandonner le peloton. C'est un outsider que personne ne connaît, il traverse l'Hexagone pour la première année. Matthias accepte mal le privilège de ceux qui distancent ainsi la masse. Il trouve juste que le peloton les rattrape. Eh oui l'Espagnol ! Qu'est-ce que t'as cru ? Il préfère les sprints finaux aux arrivées individuelles. C'est moins romanesque mais plus réaliste. C'est étrange un peloton vu d'en haut, c’est étrange de dominer tous ces êtres inclinés. Une phrase résonne toujours dans sa tête quand il les voit.
— Baisse la tête, t'auras l'air d'un coureur !

La grand-mère de Matthias lui avait un jour avoué qu'elle n'avait pas inventé cette ritournelle et qu'elle ignorait bien qui pouvait en être l'auteur. Mais pour Matthias, elle en demeurait la source et trouverait la postérité dans les recueils de citations françaises. Entre Hugo et Ionesco, le portrait en gravure de mamie Huguette surplomberait son lyrisme. C'est par cette rengaine qu'elle lui faisait comprendre qu'il devait s'incliner lorsque, tous les quinze jours, elle égalisait les cheveux de sa nuque pour éviter qu'il ne ressemble aux membres d'Indochine. Lorsqu'il voyait les ciseaux sur la table de la cuisine, Matthias savait que ce refrain allait suivre, précédant de peu le contact crispant des doigts desséchés sur son cou. Il abhorrait les passages de ces bouts rugueux, griffant sa tendre peau blanche d'enfant. Le contact cruel du dépérissement, la fuite de la vitalité ne laissant derrière elle que des tissus arides. Un jour, dans le verger de ses grands-parents, la petite Pélagie lui caressa la nuque avec une feuille de poirier. Matthias eut tellement l'impression que sa grand-mère venait ainsi de l'effleurer qu'il rejeta mécaniquement le bras de la fillette. La petite Pélagie crut voir dans ce geste son envie de ne plus attendre et elle lui montra la dentelle qu'elle lui avait promise. Au collège, il la perdit de vue. Il sait aujourd'hui par Facebook qu'elle a deux enfants. Il lui a envoyé un poke il y a quelques semaines, elle n'y a pas répondu, pas plus qu'à son invitation de faire partie du groupe « Pour le retour des sucettes musicales (celles en forme de sifflet avec le petit piston au bout) ». L’hélicoptère de France Télévisions s'attarde sur les paysages de la Gironde, Matthias quitte son sixième arrondissement par le haut. Il s'évapore, soufflé au dessus des villages-étapes, encouragé par des centaines de badauds vêtus de maillots à pois lui hurlant de prendre plus d'altitude.

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