Là-bas
280 pages
Français

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Description

Là-bas, il est parti, loué comme un héros. Ici, elle est restée, murée dans sa douleur. Là, elle perce le secret, franchit le mur du grand mensonge. Mais ici-bas la vie continue, quoi qu'il en fût de cet amour.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 février 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332798527
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-79850-3

© Edilivre, 2015
1.
Elle a dans les quarante ans ; et c’est une femme que tout homme voudrait avoir à soi. Elle est la seule qui dans cette chaleur extraordinaire marche d’un pas vif, le dos droit dans sa courte robe noire qui lui laisse les épaules nues, contrastant avec les tenues claires en lin qui habillent le quartier. C’est une femme ayant atteint l’âge mûr, mais encore du côté de la jeunesse. Elle pousse la porte du Brazza.
L’air est moite et lourd, sans espoir de fraîcheur, tout autour de la place les cafés sont bondés. Passé le coup de feu du déjeuner, ce sont les femmes qui remplissent le Brazza, le plus souvent à l’intérieur où l’atmosphère est climatisée : c’est écrit sur la porte. Elles y viennent seules ou à plusieurs, avec des courses et des magazines, elles commandent du thé ou du café accompagné un verre d’eau froide. Elles s’assoient, boivent, bavardent entre elles ou lisent, attendent leurs enfants qui sortent de l’école, en considérant d’un œil rêveur le jet d’eau mousseux qui, au centre du carrefour, fait sens giratoire. Le café est un endroit, pense Daniel, où les femmes peuvent venir seules sans craindre pour leur réputation. Il prend au bar la commande d’un jambon-beurre-cornichons côtes-du-rhône d’un peintre aux mains calleuses, quand elle entre côté terrasse.
On voit bien qu’elle n’est pas habituée à venir seule au bistrot, elle hésite, cherche une table, s’adresse à Pedro : fumeur, dit-elle. Pedro en indique une d’un mouvement travaillé de ses lèvres hypocrites qui sourient faussement : regardez là-bas, au fond près de la vitre, vous avez de la chance, avec vue sur la cascade. Elle sourit faiblement à la plaisanterie éculée de ce petit con de Pedro, elle voudrait bien un thé à la vanille s’il y avait.
– Il n’y a plus de vanille, madame, framboise c’est tout ce que j’ai.
– Alors framboise.
Au moment où elle finit de s’installer à la table, Daniel se trouve derrière le bar en train de trancher la demi-baguette du peintre. Arrive alors un type bedonnant, costumé et cravaté, au col trempé de sueur, qui veut sans attendre un croque et un demi. Avec un accent anglais ou américain, il se félicite de la fraîcheur de la brasserie, mais désolé il est très pressé, il ne peut pas s’éterniser. La jolie dame sort un paquet de cigarettes avec on dirait un soupir de contentement, un léger sourire, et, concomitamment à cette perte d’attention, la lame du couteau entaille profondément l’index de Daniel. Il sent la tiédeur poissarde de son sang glisser le long du doigt ; accablé, il regarde la mie du pain absorber le sang, avant de se dire qu’il va falloir demander à Pedro de l’aider à nettoyer cette cochonnerie. Heureusement, monsieur Albert n’est pas encore monté à la sieste, qui a déjà une main sur l’alcool et le pansement, et en moins de deux l’index se trouve emmailloté. Monsieur Albert va faire le sandwich.
– Un jambon-beurre, c’est pour le peintre, avec des cornichons.
– Et la dame là-bas, qui s’en occupe ?
– Je vais le faire monsieur Albert, si vous pouviez tenir le bar cinq minutes.
– J’y vais, dit Pedro, c’est comme si c’était fait. Toujours aussi adroit je vois ! clame-t-il en regardant Daniel.
– Allez les gars, le service est bientôt terminé. Pedro tu reprends le bar, Daniel et moi on fait la salle, et dans une demi-heure je suis au lit, déclare monsieur Albert qui connaît son métier sur le bout des doigts.
Il la voit, l’air agacé, fumer sa cigarette. Elle n’est pas une habituée, mais il la connait. Son regard est instable, la nervosité agite ses jolies lèvres roses qu’elle mord en cadence. Elle est vraiment magnifique cette femme-là, tellement belle, y’a pas.
– Votre thé à la framboise, madame.
– Merci monsieur. Vous êtes blessé ?
Il pourrait lui dire que c’est à cause d’elle qu’il s’est coupé, de son regard qui s’est attardé sur elle au lieu de se concentrer sur le jambon-beurre, elle qui pourrait tout changer dans sa vie de loufiat. Mais comme c’est impossible, il plaisante :
– C’est que je ne suis pas très doué de mes dix doigts, comme dit mon patron. Avec la tête, c’est pas mieux d’ailleurs.
– Merci. Je vous dois combien ?
– Prenez votre temps, je vous laisse le ticket, là.
– Je voudrais également un verre d’eau bien fraîche, s’il vous plaît.
– Avec plaisir madame.
Au comptoir, le bedonnant s’impatiente en silence. Il a faim et soif, sans que Pedro daigne s’occuper de lui. Bien que lui-même Portugais, Pedro n’aime pas les étrangers : selon lui, les Américains parlent fort comme s’ils étaient les maîtres des lieux, les Anglais ne parlent qu’après plusieurs bières, puis ils chantent, les Allemands usent d’une langue horrible, les Arabes méprisent les garçons de café et commandent sans les regarder, et les autres viennent tous d’un monde lointain et donc mauvais. Seuls les Belges et les Canadiens trouvent grâce à ses yeux, parce qu’ils parlent français avec un accent dont on peut rire. Et les Portugais bien entendu, qui sont rares dans le quartier, sauf dans les loges de concierge. Et aussi les étrangers réguliers, les clients fidèles.
Mais celui-là n’est pas d’ici, il n’a donc aucune chance d’être servi rapidement. D’autant que Daniel réclame une carafe d’eau, une qui vient du frigo et, en attendant, il regarde la belle dame qui attrape une autre cigarette, goûte le thé, allume la cigarette, en tire une bouffée profonde. On la voit qui s’apaise. Il lui servirait bien son thé, mais ça ne se fait pas dans ce genre d’établissement. Professionnellement parlant, il préférait les grandes maisons où il travaillait quand il était jeune ; mais humainement, il n’y a pas mieux que monsieur Albert et madame Francine.
Et voilà que Pedro s’amène, soi-disant pour aider à débarrasser les tables du déjeuner qui se vident, mais en vérité pour se foutre de lui et de sa légendaire maladresse : pas plus tard qu’hier, c’est une bouteille pleine qui lui a échappé des mains, avec débris de verre partout et taches sur le bas du pantalon, rappelle son ex-collègue.
– Laisse-moi tranquille, Pedro. T’as qu’à houspiller les autres garçons si ça t’amuse, mais moi tu me laisses tranquille.
– C’est pas joli-joli pour les clients cette grosse poupée à ton doigt, rétorque l’autre, avec son air d’embobineur.
– Laisse tomber Pedro, tu ferais mieux de retourner derrière le bar, comme a dit monsieur Albert.
– Vaut mieux que ce soit moi, c’est compliqué le bar et tu pourrais encore casser quelque chose…
Il aimerait bien lui foutre son pied au cul à ce petit con, avec ses dents jeunes et son avidité. Mais maintenant que Pedro a manigancé pour devenir le protégé de la maison, par respect pour monsieur Albert et sa femme, ainsi que leur petit-fils qui n’y est pour rien, Daniel se dit qu’il vaut mieux la boucler et s’attacher plutôt à baguenauder du côté de la belle dame, qui fume tout en grâces et en volutes.
Ce qui ne l’empêche pas de repenser à cet enfoiré de Portos quand il est arrivé à la brasserie il y a deux ans, qui ne savait rien faire. Il sortait tout droit d’études où il n’avait rien fait non plus, monsieur Albert et lui, ils lui ont tout appris du métier. Il faut reconnaître qu’il a vite compris : la résistance et la rapidité, la mémoire des chiffres, le sourire ensorceleur pour vendre un apéritif ou un vin plus cher. Il a le sens du pourboire ce petit, disait monsieur Albert, et le sens du pourboire c’est ce qui fait qu’on réussit dans la brasserie. Pedro possède aussi le sens de l’économie : il sait récupérer la moitié du poireau vinaigrette que le client n’a pas touché ou le fond négligé de la bouteille de vin. Et pour monsieur Albert qui est Auvergnat, forcément ça compte. Comme d’autre part Pedro ne boit ni ne fume et que monsieur Albert et madame Francine – sa femme qui passe sa journée à vendre du tabac et du loto – n’ont eu qu’une fille dans leur vie de bistrotiers, ça a fini par en faire un gendre acceptable, bien que Pedro ne soit pas Auvergnat et que ses parents ne soient même pas nés en France. Il faut vivre avec son temps, a dit monsieur Albert quand sa fille a été enceinte. Mieux vaut un Portugais travailleur qu’un Français fainéant. Et surtout pas un Arabe. Alors les deux, on les a mariés vite fait dans l’intimité, et lui, Daniel, il a été invité au repas. Pour une fois c’est lui qu’on servait.
Revoilà Pedro. Il a son air de quelqu’un qui cherche des noises.
– Heureusement qu’on te fait pas payer ce que tu casses, parce que tout ton fric y passerait !
– Ce serait bien ton genre de faire payer les garçons, toi.
– Enfin, tu pourrais faire un peu plus attention quand même, dit Pedro le ton gouailleur, ce côté jeune con dont madame Francine, avec ses soucis de santé, raffole.
Pedro retourne derrière le bar, enfourne avec fracas la vaisselle dans les deux machines que monsieur Albert a changé récemment. Daniel a même connu une maison qui prélevait le montant du repas sur le salaire des employés, ce qui est contraire à tous les usages de la profession. En attendant, sa cliente l’appelle avec un joli sourire, elle aimerait bien un morceau de tarte, ou quelque chose comme ça. Il montre l’armoire réfrigérée où une demi-tarte maison aux fraises est en train de se racornir. Maison signifie fond de tarte surgelé, crème lyophilisée formée au fouet et à l’eau du robinet, fruits frais ou en boîte selon la saison et gelée en pot qu’on étale sur les fruits au pinceau et qui donne à l’ensemble un aspect reluisant que les clients adorent. La même recette depuis vingt ans, dit monsieur Albert, et les clients adorent.
– Une tarte aux fraises, madame ?
– Fraises ? D’accord, avec le thé ce sera parfait.
Avant, on

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