La fossoyeuse
177 pages
Français

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La fossoyeuse , livre ebook

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Description

Simone se sent redevable envers la famille Béland qui vit en face, à Plessisville. Abandonnée à la naissance par sa mère, celle-ci la reprend froidement après plus d'un an. De l'autre côté de la rue, les Béland aiment Simone d'un amour débordant, trop parfois. Après une grève terrible, son père devient fossoyeur. Ce métier sera son seul legs à sa fille. Toute sa vie, elle tente de se libérer de son passé. Déchirée entre la fidélité qu'elle voue à sa lignée et le désir d'appartenir à sa famille de coeur, elle oscille entre la voracité de la terre et les étoiles du ciel. Elle a beau creuser, en elle surtout, rien n'y fait. La mort la poursuit et l'amour lui manque. Jusqu'au jour où son cimetière lui en fait cadeau. Simone évolue dans ce jardin fertilisé par la mort, le cimetière de Plessisville, où la vie fleurit malgré tout.

Informations

Publié par
Date de parution 09 octobre 2020
Nombre de lectures 2
EAN13 9782414493982
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
Immeuble Le Cargo, 157 boulevard Mac Donald 75019 Paris
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-49398-2

© Edilivre, 2021
Chapitre 1
Je creuse. Et je creuse. Je suis si lasse de creuser. Presque 50 ans à enfouir des vies, des souvenirs, des joies et des larmes. Je suis celle qu’on fuit comme la peste, qu’on ne veut pas voir, ni connaître. La sœur de la grande faucheuse… La fossoyeuse…
Depuis toujours, la mort exerce sur moi une véritable fascination même si, comme pour la plupart d’entre vous, je refuse son existence. Comme si je l’appelais de tous mes vœux et la rejetais de tous mes feux.
Quand je marche au village, on me salue et on s’esquive. Je sens la mort, dirait-on. À moins qu’on ne le dise dans mon dos. L’écho des cancans de Plessisville me poursuit souvent, tard dans la nuit. Et pourtant. Je ris, je chante, j’aime et j’haïs, comme vous tous. Et vous toutes.
Ah oui, c’est ça ? Une femme, ça donne la vie, ça ne l’enlève pas. Et moi, ma vie, on ne me l’a pas enlevée, vous croyez ? Dès ma naissance, on me l’a volée pour soi-disant me la rendre presque deux ans plus tard. Mais comment, pour une enfant naissante, reconnaître celle qu’elle n’a jamais vue, de ses yeux vue, en les ouvrant pour la première fois ? Sa maman… Quand la mienne s’est décidée à venir me chercher à la crèche pour m’emmener « chez moi », elle s’est enfermée dans sa chambre, me laissant seule avec une autre femme qui s’appelait Madame Nounou. Je trouvais que c’était un drôle de nom. La madame Nounou, tout ce qu’elle faisait, c’était de frotter partout, pour obtempérer aux ordres de l’autre madame qui voulait que je l’appelle maman.
Alors, dès que j’ai pu marcher, j’ai traversé la rue.
Chapitre 2 Lionel
J’ai trois ans. Je m’en souviens encore et encore, comme si c’était hier.
Je le regarde par la porte entrouverte. Papa est là, devant moi, assis sur le pied du lit. Il ne me voit pas. Il n’a d’yeux que pour un long objet dans sa main et le bout de cet objet est appuyé sur son cou… Je dis papa, sans vraiment savoir ce que ça signifie. J’habite chez ces personnes depuis un peu plus d’un an. Avant, ils venaient me voir, disent-ils, à la crèche (ou à l’orphelinat, comme on dit de nos jours) à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Plessisville. Il paraît que les Sœurs de la charité de Québec jouaient à la poupée avec moi. Mais à un an, comment peux-tu comprendre que ces gens sont tes parents, qu’ils avaient décidé de ne plus l’être et un an plus tard, ils ont changé d’avis et sont revenus te chercher en te demandant de les appeler papa et maman.
À trois ans, tu ne saisis pas que ce long objet est une carabine et que cet homme, qui te prend souvent sur ses genoux et qui est très gentil avec toi, est ton papa, qu’il t’aime vraiment, qu’il dit, et qu’il s’apprête à mettre fin à ses jours. Et par chance, toi, Simone, haute comme trois pommes, tu entres dans cette chambre.
Avant d’appuyer le canon de sa Winchester 30 – 30 sur sa carotide, Lionel s’est assuré que la carabine soit chargée. Et trois fois plutôt qu’une. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on met fin à sa vie, me révélera-t-il plus tard. Est-ce parce qu’il hésite encore ou parce qu’il veut s’assurer de ne pas se manquer ? Ou parce qu’il a vu sa petite fille qui l’observe dans l’embrasure de la porte de la chambre ? – Tu m’as sauvé la vie, ma Simone, mon amour – est la réponse qu’il m’a donnée quand nous avons commencé à travailler ensemble au cimetière.
Assis sur le pied du lit dans cette chambre sombre de sa maison sombre de la rue Matte à Plessisville, en cette fin d’après-midi sombre de novembre 1957, il tient fermement la carabine pour contrer le tremblement de ses mains. Et il pleure. Enfin, il pleure. Depuis deux heures qu’il hésite à tirer, il pleure et sa colère, son immense colère fond peu à peu. Malgré les stores baissés, les murs bleu pâle, les couvre-lits blancs de chacun des lits, celui de mon père et celui de ma mère… et le tapis brun, qui s’harmonise avec les meubles de style colonial bruns, l’atmosphère de la pièce respire quand même un certain bonheur, à l’image du tempérament plutôt joyeux de mon père, caractère que je ne tarderai pas à découvrir. Mais pour le moment, il traverse des moments difficiles.
Depuis deux heures, il repasse sans cesse dans sa tête le fil des événements douloureux qui l’ont mené dans cette chambre. La pire image à lui revenir est celle où il se voit au volant de sa voiture, la tête en bas. Les grévistes de son usine entourent sa voiture qu’ils viennent de virer « sur le top » et scandent à l’unisson mort aux patrons . Tricots La Salle, c’est son usine. Il en est gérant général et son frère Narcisse occupe la même fonction dans la manufacture voisine, Tricots Somerset, également en grève. Il a peur, tellement peur, lui qui a joué au « toff » jusque-là. Une chance que les voitures de la police provinciale arrivent rapidement sur les lieux, pour une fois… La rage extrême qu’il a vue dans les yeux des grévistes l’a terriblement secoué, lui qui croyait bien s’entendre avec ses filles et ses gars, comme il les appelait. La plupart sont ses voisins, ils se connaissent depuis tant d’années et tout à coup, ils le rejettent. Il se sent tellement abandonné, largué par tous ces gens qu’il estimait. Il se croyait apprécié. C’est ce qui lui fait le plus mal, son auto virée à l’envers, secouée comme une poubelle qu’on vide.
Et sa manufacture qui ne vaut plus rien… Il a tout perdu dans cette grève sauvage que la police a fuie comme la peste, les laissant seuls, son frère et lui, pour assurer leur défense. Et pour protéger leurs familles. Ce qu’il n’a pu faire quand les manifestants, reconnaissant son fils aîné Jean-Pierre, l’ont pris en chasse sous le regard absent des flics. Son plus grand doit sa vie à ses grandes jambes.
Seul dans sa chambre, les souvenirs de la grande faucheuse de 1929 surgissent et se bousculent. Tous marqués au fer rouge. Depuis près de trente ans, cette tragédie lui colle à la peau, le poursuit, le traque, ne lui laisse aucun répit. Ses frères ont tous noyé leur désarroi dans la bibine. Lui, me confiera-t-il beaucoup plus tard, en insistant, n’a pas succombé aux charmes de la bouteille. Il a tout senti, tout enduré, tout traversé et… tout gardé en-dedans. Mais là, trop, c’est trop, il veut en finir.
Depuis quelques jours maintenant, l’image de son père le hante. Il le revoit, buvant du gros Gin pour pouvoir supporter les nuits blanches à soigner sa femme, sa fille et son fils, tous atteints de la typhoïde qui s’est abattue sur sa maison, ostracisée, pointée du doigt, la seule résidence infectée à Lyster, village voisin de Plessisville.
Lionel a seize ans lorsqu’il voit sa famille exploser sous ses yeux, en plus de son cœur de jeune adolescent. Son grand frère Arthur a rendu son dernier souffle en vomissant tout ce qu’il avait mangé au petit matin, en fouillant dans le garde-manger, tellement il était affamé. Le médecin l’avait pourtant mis en garde : manger légèrement, se méfier de son extrême faiblesse, qu’il avait miraculeusement survécu, qu’il était guéri, que son appétit reviendrait, se méfier… Mais Arthur est sourd de naissance et il n’a pas cru, ou compris, le toubib. Ni les gestes de sa mère qui ne maîtrise pas le langage des signes et qui, de toute façon, est alitée, à l’agonie.
Pourquoi toutes ces images refont-elles surface maintenant, demande mon père à la grande fille que je suis devenue ? Il sanglote comme un enfant en égrenant tous ces souvenirs qui lui arrachent ce qu’il lui reste de bonheur, au fond du cœur qu’il a toujours eu grand, mais si gros, si lourd.
— J’ai vu mon père emmener ma mère à la gare, et, avec les pompiers, tenter de faire entrer la civière dans le train par une fenêtre. Elle était rendue trop faible pour marcher et monter à bord du wagon par elle-même. Deux jours plus tard, un coup de fil… Sa femme Joséphine, son amour, son poteau, sa lumière venait de s’éteindre. Et lui doit demeurer sous observation à l’hôpital, il est infecté. Le lendemain, j’ai vu mon frère aîné recouvrir le visage de ma sœur, Gertrude. Et le surlendemain, second coup de fil de l’hôpital : papa est mort. Je n’ai pas pu lui dire adieu…
— Et moi, je me suis retrouvé… perdu ! Sans mère, ni père, ni école… C’est que mon oncle Joseph, le frère de ma mère, nommé exécuteur testamentaire par mon père sur son lit de mort, dans sa grande sagesse de grippe-sous, a décidé de m

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