Le Japonais chante tous les matins
384 pages
Français

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Le Japonais chante tous les matins , livre ebook

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Description

Elle est blonde, elle est belle. Elle a un mari, et deux jolies petites filles. Elle vit dans un bungalow coquet, et entretient son jardin. C’est une bonne ménagère, et une mère exemplaire. Jusqu’au jour où elle prend la fuite, car les apparences sont souvent trompeuses. Elle sait comment faire, elle a lu tant de romans policiers… Elle se fait appeler désormais Line, Régina, ou Holly-Jane et tente de profiter enfin de sa vie. Et rencontre l’amour. Mais tout ne risque-t-il pas de dégénérer, comme dans les polars dont elle est si friande? Chronique sociale? Polar américain? Eloge de l’American Way of Life? Roman d’amour?Françoise Thibaud s’amuse à multiplier les pistes, joue à brouiller les cartes, dans ce roman qui refuse les étiquettes, et met en scène une héroïne forte et attachante.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 10
EAN13 9782748311297
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0098€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Japonais chante tous les matins
Françoise Thibaut Le Japonais chante tous les matins Édition revue et corrigée Publibook
Retrouvez notre catalogue sur le site des Éditions Publibook : http://www.publibook.com Ce texte publié par les Éditions Publibook est protégé par les lois et traités internationaux relatifs aux droits d’auteur. Son impression sur papier est strictement réservée à l’acquéreur et limitée à son usage personnel. Toute autre reproduction ou copie, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon et serait passible des sanctions prévues par les textes susvisés et notamment le Code français de la propriété intellectuelle et les conventions internationales en vigueur sur la protection des droits d’auteur. Éditions Publibook 14, rue des Volontaires 75015 PARIS – France Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55 IDDN.FR.010.0105710.000.R.P.2005.035.40000 Cet ouvrage a fait l’objet d’une première publication aux Éditions Publibook en 2006
Elle est blonde ; blonde et rose. Elle a deux filles : Sa-mantha-Lou et Margarita-Maria. Elle a un teint de fleur, transparent et charnu. Elle marche dans la rue d’un pas vif et serein. Son indéfrisable virevolte autour du regard net, un peu effronté, gris vert. Elle est assez grande, potelée et rose, mais sans embonpoint, avec des rondeurs gracieuses, serrées dans la fibranne de sa robe imprimée. Elle marche dans la rue, sans chapeau, sans sac à main, en chanton-nant ; juste le filet à provisions et son porte-monnaie, sur le dessus des paquets. Elle aimerait fumer une cigarette dans l’air encore frais du matin, mais elle n’ose pas : tant de regards, derrière les rideaux, depuis ces petites bico-ques entassées dans la grand-rue de la ville endormie et balourde. Est-ce une ville au juste ? Un gros bourg, seule-ment, sans cinéma ni grand magasin à étages, comme dans les vraies villes ; des garages, un motel, deux officines de banques, l’une en face de l’autre, et puis un peu en retrait, autour d’un carré de gazon et de lauriers, l’inévitable Hô-tel de ville peint en blanc, et l’église, et la salle des fêtes ; tout cela ennuyeux à mourir, avec des fêtes non moins sinistres.
Elle est en retard. Elle voudrait rentrer vite et fumer une cigarette. Elle est blonde et en retard, une vraie blonde, non trafiquée, ni platinée ni rien ; elle est très fière de ses cheveux, de ses toisons claires sous les bras et entre les cuisses. Elle doit se dépêcher : les filles rentrent déjeuner, car cette après-midi l’école organise une sortie à la pis-cine… Il faut préparer les goûters aussi, et les maillots, les serviettes, ne rien oublier : le bonnet de Margarita, dont les oreilles sont fragiles ; ce bonnet ne sert à rien, au contraire – il retient l’eau – est pire que le mal, mais la petite y tient
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beaucoup, il la rend différente des autres et lui donne l’occasion de se faire plaindre. Elle adore ça, c’est son truc : se faire plaindre. La vie n’a pas toujours été facile, pas vraiment épouvan-table non plus, mais souvent pénible, lente et pesante, avec des moments de peur et de désespoir. Elle pense à ça en marchant, à la moche maison de l’enfance aux murs écail-lés, au jardin poubelle avec des carcasses de voitures, à Maman Cox, toujours pleurnichant, toujours entre deux bouteilles, et au camionneur en panne, assez jeune, avec des biscoteaux, pas trop gros, qui l’a sautée tout de suite, dans sa cabine, et qu’elle a épousé parce qu’il n’y avait pas d’autre solution pour partir vite de cette baraque de fous. Elle déteste les gros. Elle pense à ça, au père violent, rarement là, qui les battait toutes, toujours plein de canet-tes, toujours avec son fusil. C’était Maman Cox qui prenait en premier, et puis elle et ses sœurs plus jeunes, et après il se les envoyait contre la porte des chiottes, tou-jours au même endroit, comme un métronome. Elle pense à ça, à sa mort, un jour d’orage, dans un fossé, sous la pluie, comme un chien ; à cause des éclairs, personne n’a entendu le coup partir, il paraît qu’il s’est tué tout seul, en tombant sur son fusil, le fameux fusil… Tout le monde a été soulagé ; dans la ville, tout le monde a mieux respiré, car ce fusil, c’était comme une menace, en permanence, sur tout le monde. Maman Cox n’a pas pleuré, elle devait être plutôt contente quand les flics sont venus lui dire qu’il était crevé, à cinq cents mètres de là, dans le fossé, dans la boue et l’eau de pluie. Mais elle n’a pas pipé ; rien sur son visage, elle est tellement habituée à ne rien montrer, à ne plus avoir aucun sentiment. Il fallait reconnaître le corps, ils ont dit. Elle y est allée, en tablier, voir ; elle est revenue et a dit « c’est bien lui », et la vie a continué, avec le fai-tout sur le feu et les canettes de bière. Y’a pas eu d’enterrement, elle a juste demandé qu’on le mette à la fosse, pour le moins cher possible ; elle a même eu droit
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au régime des indigents. Peut-être que c’est elle qui l’a tué. Comme ça, dans l’orage et les roulements de tonnerre. Elle en avait tellement marre. Peut-être qu’elle attendait ça, le courage de le faire, depuis des années, entre les coups et le dîner à préparer. On ne saura jamais.
Il n’y a pas eu d’enquête. Parce que c’était une bénédic-tion qu’il disparaisse, ce malfaisant. Elle pense à ça, en marchant dans la rue ; et au beurre en train de s’amollir dans le filet. Il faut rentrer, préparer les sacs de piscine et les sandwiches. Les filles sont contentes. Tous les ans, il y a des journées comme ça, avec l’école ; c’est gratuit et ça dure tard dans l’après-midi jusqu’à la fermeture des bains. Pour la petite, c’est une vraie aventure ; il faudra que Lou veille bien sur elle.
La rue est encore fraîche, sans poussière ; l’arroseuse a tracé sur l’asphalte des chemins en eau, et des dessins d’éclaboussures. Il n’est pas sûr que Maman Cox soit sa mère ; elle n’a jamais su, au juste. Maman Cox avait une sœur, Sony, morte dans un accident de voiture, il y a long-temps. Elle n’en parle jamais ; peut-être que Maman Cox n’est que sa tante… Parfois, on sent qu’elle voudrait dire des choses sur le passé ; elle s’assoit et commence à bou-gonner. Sa sœur était à la colle avec un soldat, un gradé, il paraît, parti au Japon puis en Corée. Pas mariée, cela au-rait été trop beau, trop simple ; elle n’était pas assez bien, belle seulement. Enfin, à la colle. C’est une histoire com-pliquée, c’est « une histoire moche », dit Maman Cox ; le sous-off s’est fait tuer, l’armée a rendu son corps, enterré dans un carré militaire avec des centaines d’autres : allée 16, bloc 27, comme une adresse. Peu après, Sony s’est tuée sur une route : elle s’est payé le cul d’un camion. Et quand elle est très saoule, Maman Cox dit qu’elle s’est suicidée ; mais la pension est restée, et ces gamines sorties d’on ne sait où. Peut-être à l’une, peut-être à l’autre… Comment savoir et qu’est-ce que ça peut faire ?
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Il faut avancer, écrire sa propre histoire… Avancer dans la rue, rentrer à la maison et préparer le déjeuner ; et avan-cer la journée, sa vie, et ce soir, faire ce qu’elle a prévu. Depuis des années, elle aussi. Elle est presque sûre que Maman Cox a tué le vieux : c’était tellement facile. Pour elle aussi, ça a l’air facile, comme ça ; suffit de décider. Elle tâte l’argent, sur son ventre, dans sa culotte, bien en-fermé dans un sachet plastic, un sachet à bonbons. Elle le porte toujours sur elle depuis qu’un jour elle ne se souve-nait plus où il était, et s’est affolée ; aucune cachette n’est sûre, avec Maman Cox et les gamines, et elle ne peut pas l’enterrer et le déterrer sans arrêt. Quand son mari n’est pas là, elle le porte sur elle, épinglé à sa culotte ; ça la ras-sure de sentir ce petit paquet tiède, humide de transpiration. Quand Rusky réapparaît avec son 40 tonnes, elle enferme le sac dans un bocal bien vissé et l’enterre sous la haie. Mais elle n’est pas tranquille ; elle a peur de la pluie, des rats, et surtout qu’on la voie faire son trafic, qu’un gamin ou un voisin ait l’idée de venir fouiner la terre remuée. C’est à cause de ça qu’elle s’est mise au jar-dinage, à entretenir des buissons de fleurs et des plates-bandes. Elle y a pris goût d’ailleurs, elle aime ça, planter des trucs et les regarder pousser. Les premières nuits, quand Rusky ronfle, elle se relève pour regarder le coin de haie, pour voir s’il n’y a personne en train de creuser… C’est comme une obsession. Et puis vite, Rusky repart, et elle respire enfin. Lui aussi, c’est une sacrée fête…
Leur bungalow est impeccable. Fraîchement repeint, nickel. Malgré ses allures effrontées et sa dégaine un peu voyante, ou à cause d’elles, elle s’est bâti une réputation de bonne ménagère, de mère exemplaire. Elle fait bien la cuisine, entretient le jardin au gazon quasi anglais malgré le manque d’eau. Elle plante des hortensias qu’elle bleuit avec du sulfate. C’est comme un jeu, ça l’amuse, elle dit : « Je déguise mes hortensias, je les vois disparaître et renaî-tre autrement, ça me plaît. » C’est un pasteur qui lui a
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