Le malheur d aimer
166 pages
Français

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Le malheur d'aimer , livre ebook

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Description

« Sais-tu ce qu'il est long qu'on meure

À s'écouter se consumer

Connais-tu le malheur d'aimer. »

Aragon

Comment, quand on est un jeune homme romantique et exalté, l'on sacrifie à l'incandescence d'une passion amoureuse sa liaison avec un partenaire loyal et bienveillant.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 mai 2015
Nombre de lectures 1
EAN13 9782332895585
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-89556-1

© Edilivre, 2015
Citation


Que sais-tu des plus simples choses
Les jours sont des soleils grimés
De quoi la nuit rêvent les roses
Tous les feux s’en vont en fumée
Que sais-tu du malheur d’aimer.
(Chanson pour Fougère – poème) ARAGON
Le Malheur d’aimer
 
 
Une sensation de gêne physique me réveille. Je découvre l’inconfort de ma position : renversé en travers du lit, mon coude et ma jambe écrasés par le corps qui me chevauche à moitié. Le sommeil nous a surpris dans cette posture, un peu comme deux guerriers cloués net par un sort commun et définitif sur un champ de bataille. Nous avons un peu trop bu, dans ce bar, avant de décider de finir la nuit ensemble. Maintenant, j’ai hâte de libérer mon bras qui me fait souffrir, mais je redoute que ce mouvement ne dérange le sommeil de mon partenaire improvisé. La douleur dans l’épaule, à force, devient insupportable, et cette vie étrangère qui bat d’un rythme égal et tranquille sur mon flanc, je l’envie. Pourquoi a-t-il fallu que cette incommodité me réveille ! Sans elle, je baignerais moi aussi dans une inconscience bienheureuse. Rassuré par sa chaleur, et pourtant loin de lui et de ces murs, je voguerais paisiblement avec cet inconnu sur un océan d’oubli. Brusquement, le mouvement réprimé part en réflexe, totalement involontaire. Le corps de l’autre a tressauté. Dans un même soubresaut massif, il se retourne sur le dos. Le sommier, fatigué, exhale un cri bref et grinçant de souris piégée. Mon cœur s’agite et cogne dans ma poitrine. L’autre gigote tout contre moi, en toussotant. J’aperçois son buste dans la pénombre, juste au-dessus de ma tête. Je le sens hésitant, dans l’embarras peut-être. Feindre de dormir, essayer de me replonger dans le sommeil pour l’inciter à en faire autant. Non ! ce n’est pas possible. Et du reste, si près de moi, il ne peut pas ne pas entendre le vacarme affolé de mon cœur. Alors je me décide à changer de position. Du même coup, la voix de l’autre s’élève, retentit dans tout mon être, semble ébranler les murs étroits et resserrés par l’obscurité de la pièce.
– Hé ! il faut que je m’arrache !
Il est descendu du lit avec la même impatience qu’il a mis dans la voix.
– Pourquoi cette précipitation ? C’est toujours la nuit. Reste encore un peu.
Ces mots étaient sur mes lèvres avant même qu’une certaine pudeur ne les refrène.
– Je ne peux pas, il faut que je rentre ! Qu’est-ce qui m’a pris de m’endormir ? Je n’aurais jamais dû m’abrutir à ce point. Quelle heure peut-il bien être ? Où est la lumière ?
Son ton est âpre, exaspéré, presque agressif.
Au-dessus du chevet, l’interrupteur commande l’éclairage du plafonnier. J’ai un mouvement vers lui, mais je me ravise aussitôt ; sa lumière serait blessante, encore plus déprimante. Alors je manipule, d’une main aveugle, la poire d’une lampe basse. Une maigre lumière luit et rougeoie à travers la monture de résine diaphane du petit abat-jour. L’homme, nu et grelottant sous la faible lumière, met la main sur sa montre, jure et entreprend de se rhabiller à la hâte.
– Tu ne peux vraiment pas rester ?
Le dénuement moral rend vulnérable. À cet instant, mon angoisse prend le pas sur ma fierté. J’ai levé des yeux éperdus vers l’inconnu, avec une sorte d’espoir plutôt niais. Bien que j’ignore tout de celui-ci, excepté quelques menus détails livrés dans l’intimité de notre rencontre – et dans la mesure d’ailleurs où il n’a pas cherché à user de piètres mensonges –, je veux croire, dans ma confiance égarée, que je suis capable de l’atteindre à un point sensible. Dans le regard du prénommé Guillaume, clerc de notaire – quid de ces renseignements donnés entre deux verres ? – transparaît une incompréhension froide et bornée, qui pourrait bien s’apparenter à du mépris. Je dois me livrer à un grand effort de mémoire pour tenter d’évoquer les gestes de tendresse que nous avons pu échanger des minutes auparavant au hasard de nos étreintes, mais je ne parviens à me souvenir que d’une mêlée fougueuse et confuse. Les dernières vapeurs de l’alcool, alors, se diluent, le sentiment de ma faiblesse m’étourdit de tristesse et je chavire dans un profond dégoût, livré à tous mes désabusements. Cet individu est une erreur, le fruit d’un fol espoir, d’un aveuglement. Anxieux de trouver une diversion à mon triste sort, j’ai cédé à une ultime illusion. Impatient d’échapper à mes angoisses, je me suis précipité dans ses bras. J’ai fait l’amour avec la fièvre du désespoir. Ne plus penser. Dissiper l’erreur. S’abstraire de cette navrante réalité. Éviter de se livrer à d’autres considérations tout aussi affligeantes. Et pourtant, comment ne pas se demander à quelles attaches retourne celui-ci, fébrile, perfide et coupable ? Peut-être même est-il marié. Sur quel ton il a jeté : « Je ne peux pas, il faut que je rentre ! » Avec quel impératif ! Et dans ses manières, cette rudesse presque agressive. Cette sorte de haine physique, palpable et humiliante, cuisante comme une gifle. Du reste, ces messieurs-là ont pour la plupart une situation de famille à l’appui de leurs « bonnes » mœurs. Encore que celui-ci ne porte pas d’alliance. Je me rappelle toutefois un bon apôtre qui la cherchait désespérément, à quatre pattes sur le plancher, pour l’avoir maladroitement laissé glisser des poches de son gilet.
– Il fait un froid noir dans ta piaule ! maugrée Guillaume, le soi-disant clerc de notaire.
Son ton vulgaire est nettement désobligeant – non sans intention manifestement. Rester coi. Détourner les yeux pour ne pas souffrir de surprendre des détails tout aussi déplaisants. Je n’attends plus maintenant que de voir cet individu disparaître de ma vue, quitter cette pièce, me délivrer de sa présence toujours plus encombrante.
Et c’est peu après que la porte se referme sans un mot dans son dos.
« Quelle heure ? »
Il faudrait se lever pour mettre la main sur ma montre, la chercher. Je ne me souviens plus où j’ai pu l’abandonner en retirant mes vêtements, étourdi d’alcool et de désir, avec l’autre individu diablement excité collé sur moi. Au demeurant, qu’importe l’heure ! Je sais, en revanche, où trouver le poison. À cette idée, j’ai laissé retomber ma tête dans l’oreiller avec un râle de désespoir. Je m’y enfouis. Je l’étreins, comme pour appeler le sommeil à mon secours. Pourtant, sous mes paupières désespérément closes, je ne vois apparaître que ces images, toujours les mêmes, et dans ma tête, ces pensées douloureuses qui reviennent sans fin me hanter. Soudain, une odeur se dégage de la taie d’oreiller : celle, déplaisante, indiscrète, de l’autre. Je me retourne sur le dos avec dégoût, la nuque calée sur l’oreiller, le nez en l’air, les yeux grands ouverts fixés au plafond. Et, aussitôt, un défilé d’images se détache de mes pensées auxquelles je ne cherche plus à échapper. Elles vont de Michel à Gérard et de Gérard à Michel. Entre eux, une saison, des années, toute une vie résumée.
 
– Quand je t’ai vu prendre une cigarette et l’allumer, tout en continuant de marcher nonchalam­ment devant moi, j’ai pensé que tu avais décidé de poursuivre seul ton chemin, que je ne t’intéressais pas finalement.
J’ignorais qu’allumer une cigarette dans ces circonstances pût être interprété comme un geste de repli solitaire. J’avais appris, par ailleurs, que demander du feu à un inconnu, dans une situation particulière, était un truchement utile parmi d’autres, une invite discrète à un rapprochement intime.
– En fait, dis-je, j’ai pris le temps de me retourner un instant pour mieux t’observer. Et sais-tu ce que j’ai pensé alors ?
Michel m’avait regardé avec un petit air intrigué.
– J’ai pensé que ce serait bien dommage si je te décourageais. Si je te manquais à cause de mes hésitations.
– Ça t’est déjà arrivé ?
– Quoi ?
– Ce type de rencontre.
– Dans la rue ? Pratiquement jamais. Mais j’imagine combien j’aurais trouvé regrettable de laisser perdre cette occasion. L’occasion de faire connaissance, je veux dire
Est-ce que je ne jugeais pas, depuis, que c’est le contraire qui était à déplorer ? Je l’avais suivi, je l’avais laissé m’aborder, je n’avais pas su résister à son charme, je l’avais laissé prendre possession de moi, et mon existence s’en était trouvée bouleversée. Quoique ces choses n’eussent rien d’imprévisible et encore moins d’évitable. Longtemps en quête de ce que j’ai éprouvé dans ses bras, je supportais assez mal l’idée de devoir m’accommoder d’une vie dépourvue de passion amoureuse. Notamment ce soir-là où, submergé de mélancolie, je m’acheminais sans hâte chez nous, chez Gérard, rue du Havre.
Au sortir d’une séance de cinéma, j’avais promené mon vague à l’âme au hasard des rues de la ville. Le jour déclinait doucement et je songeais à ces amants que je venais de voir sur l’écran, à leur brûlante nuit d’amour. Le film faisait scandale. Jeanne Moreau était lumineuse, incandescente, et son séduisant partenaire me faisait encore rêver. L’ouvreur m’avait demandé de lui présenter ma carte d’identité et je ne m’en étais pas étonné. À vingt et un ans, je n’en finissais pas de dérouter tout le monde à cause de ma mine d’adolescent. Ce qui, à force, m’inclinait à penser que je ne ressemblerais jamais tout à fait à un homme.
En me croisant, Michel m’avait jeté un regard particulièrement expressif qui avait eu pour effet de ralentir un peu plus ma marche nonchalante. Nous nous étions retournés simultanément l’un sur l’autre, à deux reprises. Après m’avoir adressé un ultime coup d’œil, il avait obliqué sur sa gauche et je l’avais suivi en empruntant prudemment le trottoir opposé de la rue transversale où il s’était engagé. Puis il s’était laissé distancer

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