Les Confessions du curé Colas
296 pages
Français

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Les Confessions du curé Colas , livre ebook

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Description

« Cependant l'abbé Constantin n'avait pas tort, au fur et à mesure que je traçais les pauvres histoires que j'ai vécues, mon cœur se libérait du poids de mes fautes, ces fautes étant de n'avoir pas su prévenir bien des drames, de n'avoir pas su faire aimer le Christ comme je l'aurais voulu, de n'avoir pas su résister à certaines tentations, et surtout d'avoir, tout au long de mon sacerdoce, douté de l'image d'un Dieu telle que nous la présentait l'Église romaine. Je n'ai jamais pu admettre que Dieu fût cette puissance inflexible, toujours prête à punir, attachée à nos pas pour sévir à la moindre incartade. Humble curé, j'ai connu la misère des hommes et leur besoin de soutien et de commisération, et Dieu ne peut que les aimer et leur pardonner leurs faiblesses. S'Il les eût voulus forts, Il les eût créés autrement. » Où se trouvent la raison, la sagesse, le devoir ? Témoin privilégié et impuissant des turpitudes de la nature humaine en cette fin du XVIe siècle, le héros de Daniel Tharaud livre dans ses mémoires une réflexion sur ses contemporains doublée d'un questionnement sur la foi. Regrettant sa négligence dans l'exaltation des vertus chrétiennes, le personnage aura pourtant tout donné de lui-même... S'éloignant cette fois du polar, l'auteur signe la chronique amère mais pétrie de compassion d'une humanité fragile, perdue, en proie au doute.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 février 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342048377
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Confessions du curé Colas
Daniel Tharaud
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Les Confessions du curé Colas
 
 
 
 
1
 
 
 
L’orage menaçait, les premiers grondements du tonnerre envahissaient la campagne, le cocher pressait sa bête autant que le permettaient sa fatigue et l’état de la route. Il restait une demi-lieue à parcourir pour atteindre le monastère. Dans la carriole, le curé Colas, calé sur ses coussins, tentait d’oublier les douleurs que lui causait chaque cahot, en se réfugiant dans ses pensées.
Depuis l’instant où il avait abandonné son clocher, il s’interrogeait sur les sentiments qui l’assaillaient et ne savait pas déterminer qui l’emportait du soulagement ou du chagrin, ni s’il devait se réjouir des années passées dans l’application de son sacerdoce ou s’affliger de la médiocrité de la tâche accomplie. Il s’en voulait de n’avoir pas su se libérer du doute qui, à tous moments, ne lui avait pas permis d’atteindre la sérénité. Et le ciel, qui depuis son départ s’assombrissait de plus en plus, ne lui permettait pas davantage de puiser dans la contemplation de la nature l’apaisement qu’il savait y trouver quand sa splendeur s’épanouissait sous la clarté du soleil.
On était au milieu de juin, les blés mûrissaient, les arbres portaient leurs fruits, les troupeaux emplissaient les prés, cependant, privé de lumière, tout lui paraissait triste. Et même le regard des paysans croisés en chemin, était empreint de cette mélancolie qui naît avec l’approche de la pluie.
À peine le cocher venait-il de lui annoncer qu’il apercevait les murs du monastère, que de grosses gouttes commençaient à tambouriner sur le toit de bois, au-dessus de sa tête. Par une sorte de grâce, le déluge ne s’abattit sur eux qu’à l’instant où ils franchissaient le portail de son dernier refuge.
Un moine avait dû guetter leur arrivée, car l’abbé était sous le porche, prêt à l’accueillir.
— Il était grand temps de nous rejoindre ! s’exclama-t-il en tendant ses deux mains pour lui offrir un appui au sortir de la voiture. L’orage sera violent ! Je m’inquiétais, la route est déjà mauvaise par temps sec, les grosses pluies ne font que la creuser davantage. Vous souffrez ?
— Hélas… Je vous remercie de votre sollicitude, père Constantin. Ces six lieues m’ont rompu les os. Il y a beau temps que je ne me risque plus à pareille épreuve. Enfin, je suis là…
— En êtes-vous satisfait, Colas ?
L’abbé avait gardé la main du prêtre dans les siennes et le sondait d’un regard bienveillant.
— Je ne sais pas ! Pardonnez-moi père abbé, c’est mal récompenser par cet aveu la charité de votre accueil. Toutefois, je ne saurais vous tromper… Peut-être est-ce la fatigue et le ressentiment que j’éprouve contre les douleurs qui me font hésiter.
— C’est bien plus que cela mon ami ! En choisissant l’état séculier, vous vous êtes engagé dans le chemin le plus éprouvant. Je me souviens de cette époque, et bien qu’étant de dix ans votre cadet, j’étais attentif à vos propos ; vous aviez l’honnêteté de dire que vous n’étiez point fait pour l’état monastique et que vous le regrettiez, car vous étiez conscient de la lourde tâche qui vous attendait. Je peux vous avouer à mon tour que cette réflexion a pesé dans mon propre choix. Ne me demandez pas si je regrette ce choix… Je serais tenté de répondre pareillement « je ne sais pas » ou plutôt « je ne veux pas savoir ». Je m’applique à rester sourd à tout regret.
— Vous êtes un sage, père abbé.
— Non, je suis un égoïste, tout bonnement. Ne restons pas à deviser alors que vous avez besoin de repos. Est-ce là tout votre bagage ?
Deux moines avaient déchargé une petite malle d’osier renforcée de bandes de cuir.
— Oui, et c’est bien assez pour un vieux prêtre.
L’abbé se retint de proposer le soutien de son bras pour ne point l’offenser par trop de sollicitude ; il le regarda suivre les deux frères lais et devina sa souffrance à la lenteur de ses pas.
Le cocher, désireux d’aborder l’abbé, tardait à remiser la carriole.
— Père abbé, pourquoi ce bon curé a-t-il attendu de ne plus pouvoir se bouger aisément pour venir se reposer chez nous ? Voilà plus d’un an que sa cellule est prête…
— Ah ! Jeannot, voilà une question bien embarrassante ! Je ne sais quoi te répondre… Lui-même s’interroge.
Jeannot était un garçon d’une vingtaine d’années, fils d’un laboureur du village voisin, qui partageait son temps entre les travaux de l’écurie paternelle et l’office de charretier au service du monastère. Son bonheur était de soigner les chevaux, et il s’acquittait de cette tâche à la satisfaction de tous.
— Vois-tu mon garçon, enchaîna l’abbé, le renoncement ne se fait jamais aisément, quel que soit le sujet. Quand durant de nombreuses années, voire toute une vie, nous nous sommes attachés à un travail, à une mission, à des êtres, à des convictions, et que vient le temps où nous devons nous résigner, face aux cruelles infortunes de l’âge, à nous retirer dans la solitude et l’oubli, chacun peut comprendre que notre cœur et notre esprit éprouvent quelque trouble… Le repos, s’il est bienvenu, peut être néanmoins ressenti comme une calamité… Imagine que tu sois contraint à ne plus t’occuper de tes bêtes !
Jeannot se signa.
— Je comprends, père abbé.
— Dis-moi Jeannot, étaient-ils nombreux à saluer son départ ?
— Nombreux… cela dépend de ce que l’on entend par là… Je ne sais pas compter au-delà de mes doigts, alors… Disons tous vos moines plus autant.
— Ah ! pas plus d’une centaine…
— Le curé les a disputés ! Ils sont venus quand ils ont entendu le bruit de la voiture… par petits groupes… Deux m’ont aidé à charger la malle, que j’aurais pu soulever seul…
— Le curé les a disputés, dis-tu ?
— Oui père abbé. « Nous nous sommes dit adieu hier ! » a-t-il tonné. « Retournez à votre travail ! Le temps se gâte… C’est la terre qui a besoin de vous. Si vous avez un moment de loisir, priez pour moi ! » Plusieurs femmes se sont agenouillées, demandant sa bénédiction. Et je l’ai entendu bougonner « Ah ! que de faiblesses… » Et puis il m’a pressé de fouetter ma bête. L’amusant, père abbé, c’est qu’il agitait sa main par la portière pour leur dire au revoir, mais ne s’y penchait pas pour les regarder une dernière fois…
— Amusant, oui… murmura l’abbé. Va, Jeannot, le cheval aussi a besoin de repos, va le mettre à l’écurie.
Puis l’abbé se rendit à la chapelle et pria pour que le Seigneur permît au curé Colas de trouver la paix dans son cœur et dans son corps. Pour l’esprit, il connaissait assez son vieil ami pour savoir qu’il resterait agité jusqu’à sa dernière heure. « Il n’y a pas de tranquillité pour celui qui s’entête à vouloir comprendre et raisonne de toute chose, seule l’absurde croyance nous apporte la paix de l’âme… » lui avait dit un jour un vieux moine qui se voulait philosophe et s’insurgeait contre les dangers de la dialectique.
 
Les premiers jours de sa nouvelle vie furent vécus comme un rêve par le curé Colas. Les moines, selon la recommandation que leur avait faite l’abbé, ne lui parlaient pas de son passé ; ils se contentaient de lui enseigner la règle qu’ils suivaient et lui faisaient connaître tous les recoins du monastère et les activités auxquelles ils se livraient, par plaisir ou par nécessité.
La règle n’était pas trop sévère et le monastère était ouvert sur l’extérieur. Depuis sa fondation, deux siècles plus tôt, on s’y consacrait principalement à l’étude des textes anciens, à leur traduction en langue française et à leur copie. Ces copies, étant de belle qualité, étaient très demandées et constituaient la principale ressource du monastère. La moitié des moines étaient très érudits. Le frère Constantin était abbé depuis cinq ans. Il avait été élu pour son savoir, mais aussi pour sa bienveillance et son habileté à résoudre toutes sortes de problèmes, qu’ils fussent d’ordre domestique ou humain. Sa tolérance savait ne pas être faiblesse et son humilité incitait les plus ambitieux à modérer leurs exigences. On vivait donc là dans la concorde et la fraternité.
En plus de ses savants travaux, l’abbaye avait vocation d’instruire quelques jeunes garçons. On les accueillait sans se soucier qu’ils soient issus de la petite noblesse ou de la gent paysanne ; il suffisait qu’ils aient le désir et le courage d’étudier, qu’ils se plient à la règle sans faiblir, qu’ils soient en bonne santé et bons catholiques. Enfin qu’ils aient atteint leur dixième année. C’est là que, dès qu’il eut cet âge, le père de Colas, sur les conseils de son curé, vint demander qu’on acceptât son fils. C’est là que dix ans plus tard, Constantin fut reçu à son tour. Et tous deux restèrent profondément marqués par cette époque.
 
Dès son arrivée, le curé Colas était redevenu « frère Colas » comme au temps de sa jeunesse ; cela le fit d’abord sourire, puis le réconforta. Depuis près de trente ans qu’il exerçait son ministère, il avait oublié la vie monastique et la sécurité qu’elle apportait. La contrainte de la règle lui parut moins dure que la servitude morale et physique qu’on attendait d’un curé de campagne. Enfin l’ambiance fraternelle des actions menées en commun, le soulageait peu à peu du sentiment d’isolement qu’il ressentait, alors même qu’il se trouvait au milieu de ses paroissiens. Il lui semblait néanmoins qu’il restait viscéralement attaché à cette vie de prêtre qui lui avait coûté tant d’efforts sans lui donner beaucoup de joie.
Bien qu’il voulût suivre la règle et participer aux travaux des moines aussi l

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