Pour mourir c est différent
45 pages
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Description

Ce recueil de nouvelles propose à la fois une incursion humoristique dans les coulisses des «tout inclus» et une observation de nos attitudes face à la mort. Si la majorité de ces histoires ont pour cadre la plage et ses palmiers, d’autres se situent ici même, hier et aujourd’hui. Des personnages familiers, des âmes fragiles souvent blessées, quelques figures baroques, sinon complètement déjantées. Un éventail de couleurs où humour, tendresse, sexualité et poésie se conjuguent pour notre bonheur. De l’euphorie au désespoir, de l’extase au désenchantement, tout peut arriver et l’on retiendra que vivre comporte toujours sa part de risque.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782898311710
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À François


Les serviettes de Yoani
Carnaval, la vida es un carnaval… Carnaval… Ce matin, Yoani a entendu cet air accrocheur à la radio. Depuis, elle ne cesse de le fredonner : Carnaval, la vida es un carnaval y las penas se van cantando . Une autre journée de travail qui s’achève et la ritournelle trotte toujours dans sa tête : Carnaval…Carnaval . Encore une chambre, une dernière, puis elle pourra se reposer. Un coup d’œil à sa feuille de route : Bloc C-4656. Cette chambre, elle la connaît bien, rien de compliqué. Allez hop ! D’une épaulée, Yoani donne un coup sur son chariot pour le faire avancer. Carnaval y las penas se van cantando. Et de sa voix fluide, elle reprend la chanson. Abrités sous les frondes des cocotiers, les oiseaux se taisent pour l’écouter. Quand Yoani chante, il arrive que même le temps devienne moins lourd.
Évaluer un nouveau client est chose facile pour une femme de chambre. Dès le premier jour, Yoani savait que l’homme du 4656 ne lui compliquerait pas la vie. Quelqu’un de si propre et de si ordonné qu’elle se demandait parfois s’il y séjournait vraiment. En entrant, elle retrouvait toujours le lit refait, les serviettes bien en place sur leurs barres respectives et le plancher libre de tout ce qui aurait pu la gêner dans son travail. Les seuls témoins de sa présence se résumaient à sa valise dans un coin, quelques vêtements dans le placard et l’odeur de ses cigares. Un homme rangé et distingué aussi, c’était certain. Pour avoir parlé avec lui, elle devinait qu’il avait de la classe. Contrairement à tant d’autres hommes du même âge, jamais de shorts ou de camisoles aux couleurs criardes, mais des vêtements sobres, que ce soit pour la piscine ou la plage. Pour aller manger, des costumes de lin, et toujours des chapeaux de paille fine. Lorsqu’ils se croisaient et que Yoani prenait le temps de s’arrêter pour parler avec lui, elle voyait bien qu’il la trouvait belle et qu’il cherchait à lui plaire… Savoureux mélange d’espagnol, d’anglais et de français, leur conversation était toujours ponctuée d’éclats de rires. Mais s’il lui arrivait de souligner avec trop d’insistance la joliesse de ses yeux ou l’éclat de son sourire, elle lui parlait alors de son ami de cœur, un fiancé qu’elle s’était inventé pour la circonstance. Ce qu’il avait toujours su respecter, et jamais leurs rapports n’avaient été ambigus, toujours simples, clairs et nets. Parce qu’elle le savait amateur de bons cigares, elle lui en avait procuré sur le marché noir, sa marque préférée, de gros Cohiba Robustos. En retour, il lui avait offert une marque réputée de parfum, un luxe qu’elle savait apprécier. Mais voilà que celui qu’elle appelait son gentil Monsieur Cohiba, son aristocrate aux pourboires généreux, avait quitté ce matin à l’aube. Pas un adieu, pas un au revoir. C’était la vie… Un qui partait et deux qui arrivaient, c’était la routine de tous les hôtels.
Quelle fierté pour elle d’avoir été choisie pour travailler dans le plus beau des complexes hôteliers de Puerto Papaya. Une décision qui n’avait étonné personne puisque son dossier d’études était impeccable et, chose non négligeable en ce pays, il faisait preuve d’une conduite patriotique exemplaire. Mais si elle avait été sélectionnée, c’était aussi pour une autre raison, pour une habileté toute particulière. De tout temps, l’une des étapes les plus redoutées pour l’obtention du diplôme de femme de chambre était la démonstration, devant juges, de la mise en valeur des serviettes : « La fantasia de las toallas » comme on disait ici. Et Yoani y excellait. Tous ses professeurs de l’Institut du tourisme se rappelaient que, lors de son examen de fin d’études, non seulement avait-elle su respecter la thématique imposée cette année-là, « L’industrie et les arts », mais elle était parvenue à la transcender, à atteindre la quintessence de cet art comme l’avait noté dans son rapport la juge en chef. Grâce à des techniques de pliage inspirées de méthodes ancestrales, elle avait réussi à illustrer le mariage possible entre ballet classique et sidérurgie, et ce, à l’aide de seulement quelques serviettes de coton ! L’œuvre s’était matérialisée sous forme d’élégants chaussons de ballerines coincés entre deux roues d’engrenage. Une prouesse dont le Commandant en chef du pays lui-même avait été informé et qui avait valu à Yoani une mention honorifique signée de sa main. Un diplôme prestigieux lui ouvrant tout grand les portes de l’hôtel Tropicoco, fleuron du ministère du Tourisme.
Non seulement Yoani travaille-t-elle dans le secteur le plus prisé de l’économie du pays, mais elle peut enfin témoigner de son art et de son talent face à une clientèle internationale de plus en plus exigeante. Consciente de ses nouvelles responsabilités, elle avait été la première à questionner la figure emblématique que l’on retrouvait sur les couvre-lits de tous les hôtels, à savoir le cygne façonné d’une seule serviette. Elle avait donc décidé d’en ajouter un autre, pour lui faire face et former un cœur. C’était elle aussi qui avait osé apporter des variantes à tout ce qu’elle avait appris à l’école. Le panier s’était chargé de fruits, le serpent s’était mis à siffler de sa langue pointue, une étoile était née aux confins d’une multitude de plis astucieux. Rien ne lui résistait, pas même le défi de faire tenir un éléphant sur ses pattes arrière et de faire cracher des fleurs de bougainvilliers rouges à un volcan occupant tout l’espace d’un lit king. Quelle que soit la durée de leur séjour, ses clients avaient droit à une surprise chaque jour. Un brin de folie n’avait jamais nui, et ça, Yoani essayait de ne jamais l’oublier.
Toutes les femmes de chambre de ce pays connaissaient l’importance de la présentation des serviettes. Car nul n’ignorait que cet « Origami des Tropiques », comme l’avait un jour qualifié un journaliste russe en reportage ici pour La Pravda, pouvait rapporter gros en bénéfices marginaux. Un lit impeccable et un miroir qui rutile étaient toujours appréciés des clients, mais pouvaient aussi passer inaperçus, alors qu’une volute de serviettes savamment roulées pouvait faire une différence au moment du pourboire. Et ça, Yoani le savait aussi. Si une véritable connexion opérait entre elle et ses clients — ce qui se manifestait habituellement par l’apparition d’un peso supplémentaire au creux de l’oreiller —, elle redoublait alors d’imagination en improvisant avec tout ce qui se trouvait à sa portée : chapeaux, chaussures, paréo, brosse à cheveux, masque de plongée. De ces objets hétéroclites naissaient des personnages ou des animaux, toujours reconnaissables à leur signature… Pour ses clients, c’était un suspense quotidien : « Qu’est-ce que Yoani nous aura encore inventé aujourd’hui ? ». Un jour, l’expérience avait cependant failli mal tourner. Au retour d’une excursion, une vieille dame était entrée dans sa chambre et avait cru trouver son mari mort sur une chaise alors qu’il s’agissait d’un simple pantin créé par la femme de chambre. Mais lorsque Yoani l’avait appris le lendemain, elle s’était montrée si désolée que le couple avait décidé de ne pas porter plainte. On finissait toujours par tout pardonner à Yoani .
* * *
Pour lutter contre la pente ascendante du trottoir, Yoani doit pousser à bout de bras son chariot dans l’entrée du bloc C. Elle le positionne de biais, comme on le lui a appris, puis elle bloque les roues pour l’empêcher de dévaler. Elle se sent fatiguée, et que cette chambre soit la dernière n’a rien pour la contrarier. En rassemblant son attirail, elle tombe sur un emballage de deux stylos qu’une Québécoise lui a laissé ce matin. La liste des cadeaux qu’elle et ses compagnes reçoivent se résume souvent à ces objets de peu de valeur, mais on ne refuse rien, tout manque en ce pays. En montant à l’étage, elle se demande si son gentil Monsieur Cohiba lui aura aussi laissé un cadeau d’adieu. En ouvrant la porte du 4656, une surprise l’attend. La chambre semble avoir été l’épicentre d’un cataclysme terrible. Les ouragans qui balaient parfois cette île n’auraient pas fait plus de dégâts : rien de brisé, mais la literie est dispersée en tous sens, les chaises ont été renversées, la porte-fenêtr

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