Six minutes
147 pages
Français

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Description

Ils ne se connaissent pas et tout les oppose. Lui est un enseignant retraité, quintessence de la raison érudite et rangée ; elle, une jeune vendeuse bourrée de ces blessures que laisse une enfance fracassée. Pourtant, dérapage de la vie hormonale, les voilà qui se donnent l’un à l’autre pendant six minutes d’abord sur un canapé de cuir, puis sur le tapis turc qui est en dessous… Six minutes faites de désir et de plaisir bien sûr, mais aussi d’espoir, de possession, d’amour et même de haine… Ces sortes de molécules dont est faite l’union charnelle et, par delà, la personne humaine.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 décembre 2015
Nombre de lectures 2
EAN13 9782312004419
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0012€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Six minutes
Louis Calvel
Six minutes



















LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2015 ISBN : 978-2-312-00441-9
1-Désir
C’est ta boucle d’oreille et cet anneau à ta narine gauche qui, comme ce midi déjà, happent encore mon regard. Comme s’ils te reliaient à une ethnie… Hispanique, l’ethnie ? Autre que la mienne en tout cas. Et quand, après la terrasse du café, je t’ai approchée une seconde fois sur le pas de porte de la boutique, ces deux fils d’acier m’ont à nouveau étincelé dans l’œil.

Comment ne pas voir qu’eux, en effet ; comment ne pas être aimanté par la courbe de leur métal sur la moiteur de ta peau ?

Puis la parole les a effacés. Estompage du corps, des chairs et des odeurs sous les gommes polies de la sociabilité.

Mais à présent qu’à nouveau nous nous taisons, c’est eux qui ressurgissent de leur étui de bienséance. Et, avec eux, cette épaisseur de tes traits, ces lèvres charnues, ce nez presque épaté, ce regard ombré, cette masse brune de cheveux en une fontaine de boucles lourdes sur le coussin du canapé. Tous soulignent la racine latine en toi... M’évoquent quelque chose comme l’Amérique du sud, le Brésil, le Paraguay. Viens-tu du Mato Grosso ?

Ton père pourtant n’avait pas, au visage, ces mêmes rebords larges de chicano. Si ses yeux contenaient quelque chose des tiens, son menton était bien plus osseux, ses arcades plus saillantes, ses joues plus creuses, sa peau rose et parcheminée bien moins mate. De sorte que, ça me frappe maintenant : par quelques rares traits que vous partagez, il reste possible de te comprendre comme fille de lui, certes, et toulousain, picard ou lyonnais, mais sûrement pas sans ajouter au génome le masque inca d’une mère au moins née quelque part sur l’Altiplano…

En effet on ne peut pas mettre au seul compte de ta jeunesse ces paupières aux brides tendues, ni ces joues ambrées que ta position allongée aspire en ce moment vers l’intérieur de toi.

Les yeux clos, tu soupires imperceptiblement.

A moins que d’un pays moins exotique ta mère ne vienne… Plus ordinairement espagnoles, tes aïeules ne proviendraient-elles selon mon imagination d’un Santiago de carnaval qu’en raison du regard enivré que les circonstances me font poser sur toi ? N’aurais-tu plus platement que de lointaines grand-mères castillanes ? Viendrais-tu, sans surprise, d’un efflanqué papi Jaime et d’une pieuse mamie Maria ?

Mais non, malgré l’air de piéta madrilène que prend maintenant ta tête penchée, il est clair que ces anneaux argentés griffent d’un soupçon de samba ce qui s’exprime de douloureuse infante chez toi. Oui, de la honte, du péché se lisent dans cette pose réservée que tu prends, mais à ce remords de façade, les deux créoles d’argent et le piercing à l’aile gauche de ton nez apportent le démenti rebelle d’une Amazonie que rien ne saurait évangéliser. De sorte que le murmure de conspirateur du prêtre à qui, plus tard, un jour dans un confessionnal, tu demanderas peut-être l’absolution pour ce qu’ensemble nous faisons, ne fait que glisser sur ton expression envoûtée, chavirée et déjà envolée vers un autre paradis.

Redressant par deux fois un menton soulevé comme par une vague, tu soupires encore, et, entre tes lèvres entr’ouvertes, j’aperçois fugitivement l’arête ciselée de tes dents. Mais, attirant mon œil, une autre boucle brune échappe à son tour à ces anneaux métalliques de ton ensauvagement. C’est une fine mèche de tes cheveux qui glisse de ta crinière et délicatement vient se loger entre cette clavicule et ce menton que tu rabaisses maintenant contre ta respiration.

Enfin, saisi par une furtive et minuscule moue de tes lèvres, puis remontant jusqu’aux deux grains de beauté sous ta pommette, mon regard, qui ne sait plus où se poser, finit sur tes paupières toujours abaissées : « Pourquoi ne me regardes-tu pas ? » ai-je envie de te murmurer.

Mais je me tais. Ne pas troubler cette frémissante piété en toi !

Redressé à nouveau dans ma direction, ton visage aux yeux clos rayonne en effet, il est comme illuminé du dedans. Et ne serait-ce mon propre souffle qui fait vibrionner quelques mèches sur ton front, on pourrait penser qu’il va ainsi luire d’un éclat intérieur pour l’éternité.

En pareille position, ma femme, elle, ouvre généralement grand les siens. Les dilate. Et souvent, à quelques centimètres d’eux, j’ai pu voir nettement, au travers de leurs iris, son âme au-dedans. Car si elle écarte, à ces moments-là, gigantesquement, ses paupières ce n’est pas pour mieux me regarder ; c’est au contraire, avec ce regard fixe qu’elle a, perdu vers le plafond au-delà de moi, pour me laisser apercevoir deux puits immenses au fond desquels miroite le lac, le torrent au soleil, le flot de son plaisir qui vient, qui enfle, qui la fait défaillir, et dont la marée finit par entraîner le mien.

Or toi, non. Tu résistes, tu gardes, tu n’offres que tes paupières. Sous leur membrane d’amande veinulée, je vois bien que tes prunelles sont fixes, comme dans ma direction immobilisées, mais pourtant elles ne m’atteignent pas, interdites qu’elles sont par le voile de chair. Serait-ce que tu préfères imaginer un autre que moi ? Mon visage penché sur toi te ferait-il oublier, si tu le regardais, celui d’un autre partenaire que tu aurais préféré ?

Pourtant tu soupires encore de volupté, et tournes ton visage de côté ; la masse de tes cheveux se déroule sur le cuir du canapé, puis tout aussi lascive, tu me fais face à nouveau. Ta bouche s’entrouvre, quatre éclats d’ivoire se dessinent entre tes lèvres écartées, tu cambres vers moi ton visage, et sous leur délicate peau les globes de tes yeux roulent ainsi vers le bas, portés là par ce nouveau souffle profond qui les conduit à se rapprocher de tes cils épais. Mais la fragile barrière de poils résiste : gardes ténus au feu du regard qui du dedans voudrait les forcer, ils offrent un refus en rang serré.

Je me dis alors que l’autre partenaire, s’il est celui que tu imagines, ne ferait, pour le moment au moins, guère mieux que moi ; et puisque tout en toi semble m’y inviter, j’abandonne à mon tour mes paupières, ferme à mon tour mes yeux.

C’est par des regards pourtant que tout a commencé.

Et à propos du mien, si quelqu’un autour de nous s’y était intéressé, on aurait pourtant pu dire qu’il n’y avait rien d’autre en lui que de l’ennui, de la blaserie, de l’ultime emmerdement… Avec les excuses qu’il convient vite d’ajouter pour l’usage de mots soudain si déplacés au regard de l’immense suavité qui est au contraire en train de sourdre des pores de ta peau vers ceux de la mienne.

Ce n’était pas à cause du temps : il faisait beau malgré la saison, et la terrasse de la brasserie était presque pleine. Pause-déjeuner aux abords d’un quartier de banques et de boutiques. Soleil d’hiver, mais soleil quand même. De ceux qu’on apprécie car ils sont rares. Et les buveurs de café, cols de chemises ouverts, épaules presque nues pour certaines de leurs compagnes, lesquelles avaient repoussé loin vers l’arrière le col de leur cardigan, profitaient de l’aubaine, lunettes noires vers le ciel, avant de retourner au bureau, à l’écran de l’I-Mac.

Il y avait là des couples, des bandes de collègues, sur lesquels mon œil terne glissait sans les voir. Il y avait le garçon en noir et blanc qui allait et venait à pas glissants, virait de bord, et se penchait sans que jamais son plateau ne l’imite…

Et brusquement il y eut toi qui, comme une flèche, traversas mon champ de vision, me sortant de mon assoupissement. D’où jaillissais-tu ? Pourquoi soudain cette précipitation ?

Je ne le savais pas encore ; mais c’est elle, cette urgence dans ta foulée, qui me fit prendre la mesure de l’ennui cotonneux dans lequel les bavardages de ma femme et de sa mère m’avaient plongé depuis quelques minutes. Elles étaient assises face à moi, leurs doigts pincés chacune sur l’anse de sa tasse de café, et piaillaient, piaillaient, piaillaient. Comme d’habitude, c’est d’immobilier, de patrimoine et de rentabilité qu’elles jacassaient. Les babines tombantes, elles fus

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