T aimer et résister
58 pages
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T'aimer et résister , livre ebook

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Description

Anne avait quatorze ans lorsque son chemin croisa celui de Bérangère qui en avait seize. Immédiatement, les deux adolescentes devinrent inséparables, mais nous étions en 1939 et la Seconde Guerre mondiale ne tarda pas à frapper la France de plein fouet. Plus de soixante millions de personnes furent tuées à travers le monde. L’histoire d’amour naissant entre les deux jeunes femmes n’échappa malheureusement pas aux conséquences désastreuses de cette sombre période de l’Histoire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 septembre 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9780244207960
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ma très chère grand-mère
 
 
ALEXIA DAMYL

Copyright © 2019
Tous droits réservés.
DÉDICACE
 
 
 
«   Il y a dans le regard des grands-parents une lumière particulière qui ne s’éteindra jamais.   »
Jean Gastaldi   ; Le petit livre des grands-pères et des grands-mères (2003)
 
À mes grands-parents
 
Un grand merci à Caroline
TABLE DES MATIÈRES
 
 
1 UNE RENCONTRE      1
2 OCCUPATION      20
3 LA FIN DE LA GUERRE      32
4 LES TRENTE GLORIEUSES      44
5 VIE DE FAMILLE      53
6 ADIEU      64
RECETTES DE MES GRANDS-MÈRES      69
BIOGRAPHIE      74
Pour nous rejoindre sur notre réseau :      75

 
 
 
 
 
 
1 UNE RENCONTRE
 
 
L’été, mes parents et moi le passions en Dordogne, à la campagne, chez mes grands-parents qui étaient garde-barrières aux chemins de fer. C’est ainsi que l’on disait. Nous pouvions prendre le train gratuitement en ces temps-là. À cette époque, les avantages en nature étaient fréquents dans les contrats de travail. Grâce à mon père qui était employé chez EDF 1 , nous avions l’électricité gratuite et ce n’était pas rien. Nous faisions partie d’une frange de la population plutôt aisée. À Narbonne, nous étions considérés comme vivant à la ville. Dans mes souvenirs, nous vivions plutôt en bord de mer que comme des citadins. Le matin, avec mon père, nous ramassions les coquillages cachés sous le sable, des tellines, parfois des praires que ma mère faisait gratiner. Un délice   ! Quand j’y repense, je peux presque humer le parfum de la bouillabaisse ou sentir dans ma bouche le goût des calamars farcis ou à la sétoise. Le week-end nous partions à la pêche. Les images que je revois sont un peu floues, comme une aquarelle aux tons pastel où se chevauchent dunes et étangs. Ma mère prenait des magazines et lisait à l’ombre d’un parasol   ; je pataugeais dans le sable et mon père, fier comme Artaban, attrapait quelques sardines. Je le badais 2 avec son sourire enjôleur, ce que ma mère appréciait beaucoup moins et lui valait quelques réprimandes une fois rentrés à la maison. Il cherchait toujours l’endroit parfait, le plus poissonneux. Un obsédé du meilleur coin pour poser ses cannes. Une fois, il s’était cru malin et avait traversé des champs, des ruisseaux… et sans s’en apercevoir s’était retrouvé dans le même pré qu’un petit taureau camarguais. Quand le taurillon s’était mis à souffler par ses naseaux et à taper du sabot, mon père avait battu des records de vitesse pour sortir de la manade, cannes à pêche en main, accrochant ses cuissardes aux fils barbelés. Quelle partie de rire quand il était rentré bredouille, vêtements en lambeaux et nous avait conté sa mésaventure   !
J’écoutais ma grand-mère égrener ses bons souvenirs. Je les avais déjà entendus de la bouche de mon arrière-grand-père en personne, lorsque j’étais enfant. Ô combien j’avais plaisir à écouter encore ces histoires, celles de mes ancêtres, de mes racines. Ayant récupéré le livre de cuisine de ma mémé 3 , je n’avais pas de mal à me représenter ces plats méditerranéens aux saveurs incomparables.
En juillet 1939, j’allais avoir quatorze ans, j’avais encore l’insouciance que la guerre allait m’enlever. Pas d’un coup comme on pourrait l’imaginer, non, ce fut beaucoup plus insidieux et long. D’ailleurs, je crois qu’aujourd’hui encore, même la vieillesse n’a pas réussi à tout me prendre de ma désinvolture. Certains disaient de moi que j’étais une femme enfant… j’aime à le penser   !
Au bonheur de retrouver mes oncles, tantes, cousins et cousines, s’ajoutait celui de la liberté que les beaux jours amenaient. Nos journées étaient ponctuées de balades en vélo sur les routes vallonnées, de baignades dans la Dordogne, de chasses au trésor et d’histoires inventées par nos esprits prolixes, dans ce Périgord constellé de châteaux forts. Avoir une bicyclette était un luxe. J’avais beaucoup de chance mais je ne m’en rendais pas compte. On ne s’aperçoit de ses privilèges que par le manque et la perte de ceux-ci.
À la campagne, nous n’avions pas l’eau courante et l’électricité venait juste d’arriver au village, mais nous étions heureux. La maison disposait d’un réservoir d’eau sous les toits, que nous devions remplir quotidiennement. Mes cousins et moi nous relayions chaque jour pour la corvée. En soi, pomper n’était pas si terrible, mais les grosses araignées noires qui couraient sous les tuiles me soulevaient le cœur. Il y avait un livreur de lait qui passait chaque matin. Nous laissions les bouteilles en verre vides sur le perron et au réveil, comme par magie, elles étaient remplies. Pour prendre notre douche, il fallait faire chauffer de l’eau sur le poêle et les toilettes étaient à l’extérieur, une autre vie… Il existait encore des peyarots . Aujourd’hui, on dirait des chiffonniers, qui passaient de village en village, récupérer ce dont les habitants ne se servaient plus. Les jeunes de ton âge se croient bien malins à parler de recyclage, mais ils n’ont rien inventé   ! Dans l’entre-deux-guerres, on ne gaspillait pas. On n’avait pas à se plaindre, cette vie simple et rustique nous emplissait de joie. La société de consommation ne nous avait pas encore pervertis.
Au début du mois de juillet, mes cousines et moi avions pris nos vélos. En quelques coups de pédales, nous avions parcouru les douze kilomètres séparant la Roque-Gageac de Sarlat où mon arrière-grand-mère tenait un bar-restaurant, célèbre dans tout le Quercy pour sa mique au goût unique. Nous étions là, à serpenter dans les ruelles étroites de la ville en quête d’une nouvelle histoire que nos esprits féconds pourraient élaborer. Les venelles 4 pittoresques nous entraînaient dans des jeux de rôle où nous incarnions tantôt des princesses conquérantes entre manoirs et cathédrales, tantôt de grands écrivains en quête d’inspiration, sillonnant du marché couvert à la maison de La Boétie. Après tant d’activités, nous avions décidé d’aller boire un sirop offert par notre aïeule. Il faisait une telle chaleur en ce jour d’été   ! Le temps était capricieux et d’un jour à l’autre les températures pouvaient doubler, ce qui nous rendait sensibles à la canicule. Au comptoir, une jeune fille prenait elle aussi un rafraîchissement. Je n’arrivais pas à détacher mon regard d’elle. Elle semblait à peine plus âgée que nous et poussait un landau. Je me demandais si elle était fille-mère. Elle semblait être une habituée des lieux et répondait aux jeunes garçons du village avec un aplomb sans pareil. Sous les rayons de soleil qui traversaient la baie vitrée, ses cheveux auburn me paraissaient envoyer des éclats tangerine à travers toute la pièce. J’étais hypnotisée par elle. Je la détaillai de la tête aux pieds sans retenue. Sa taille me paraissait si fine que cela remettait quelque peu en question mon hypothèse au sujet du nourrisson à ses côtés. S’apercevant sans nul doute de ma fascination pour elle, Bérangère m’apostropha avec un grand sourire.
— Bérangère, dit-elle avec un petit signe de la main. Et vous   ?
— Je suis Anne, et voici Angèle et Michelle.
— Vous êtes nouvelles par ici ou vous êtes là juste pour les vacances   ?
— C’est le café de notre arrière-grand-mère ici et nous logeons à La Roque-Gageac chez nos grands-parents pour les grandes vacances.
— Vous avez quel âge   ?
— Mes cousines ont quinze ans, et moi, quatorze. Et toi   ?
— Seize ans. Aujourd’hui je garde ma petite sœur. Ma mère est couturière et devait livrer quelques confections jusqu’à Périgueux.
— J’ai cru que c’était ton bébé pendant un instant   !
Sans que je le lui demande, elle venait de répondre à mes interrogations.
— Jamais de la vie, je suis une femme libre, n’est pas encore né celui qui me fera rester à la maison à élever des marmots   !
Quelques garnements ricanèrent de l’entendre parler ainsi. J’avais l’impression qu’elle était très convoitée et que les garçons du village la regardaient avec admiration. Elle avait dû refuser les avances de plus d’un. Le charisme de Bérangère me troublait, j’aurais aimé avoir une telle confiance en moi.
— Demain, à la même heure, tu pourrais nous rejoindre à la rivière   ? osais-je lui demander.
— Volontiers, j’adore nager   ! Et la compagnie d’êtres plus civilisés me fera le plus grand bien, conclut-elle en tirant quelques rires narquois de ses prétendants.
Notre premier rendez-vous était fixé. Sur le chemin du retour, je n’adressai pas la parole aux jumelles, bien trop troublée par cette rencontre inattendue. Notre nouvelle amie avait un tempérament qui ne me laissait pas de marbre. Il me tardait déjà de la retrouver le lendemain. Je n’avais jamais ressenti cette admiration, mis à part pour mon père peut-être   ? En devenant adolescente, cette adoration sans borne avait toutefois trouvé ses limites. Il était très bel homme et ne manquait pas une occasion d’abuser de ses charmes, trompant ma mère sans remords quand l’occasion se présentait. Si je me rendais compte du manège, ma mère n’était pas dupe non plus et les querelles entre eux faisaient partie de mon quotidien. On ne divorçait pas dans les années trente, alors ma mère restait avec cet homme qu’elle aimait de tout son cœur, mais qui lui était infidèle. Je sentais bouillonner en moi un embryon de rébellion. Un bourgeon de féminisme faisait son apparition en même temps qu’une certaine méfiance envers les hommes.
Le soir, après la soupe de légumes, nous avions le droit de rester à la veillée. Jusqu’à ce que le jour tombe, et après, à la lumière de la lampe à pétrole, les anciens racontaient des histoires qui avaient traversé les âges. Chaque année, nous entendions les mêmes récits et chaque année nous nous en...

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