Mère et fils
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Mère et fils , livre ebook

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Description

Romain Rolland (1866-1944)



"La guerre n’était pas pour effrayer Annette. Elle pensait :


– « Tout est guerre... »


La guerre sous le masque...


– « ...Je n’ai point peur de te voir, à visage découvert. »


Tous les siens sont, comme elle, de ceux qui reçoivent l’événement avec le moins de révolte. Elle, par cet acquiescement fataliste qu’elle a cueilli sous la lumière de sa récente épreuve :


– « Je suis prête. Advienne que pourra !... »


Sylvie, sa sœur, par une attente secrète, dont elle réprime à peine le cri d’impatience :


– « Enfin !... »


Enfin ! Le cours monotone des jours s’élargit. Va s’élargir le cercle des amours et des haines...


Son fils, Marc, dans un sombre enthousiasme dont il n’exprime rien ; mais le décèlent la fièvre de ses mains et ses yeux... Il est donc apparu, le tragique idéal, que redoutait sa faiblesse, mais qu’invoquait en lui la voix d’instincts obscurs, que la jeunesse n’avoue pas, l’appel aux forces enchaînées, qui gisent sous l’ennui d’une époque dépouillée de ses raisons de vivre !... Il voit partir ses aînés, dans une ivresse d’action et de sacrifice, dont le flot roulera bien des boues, avant qu’il soit longtemps ; mais en ces premiers jours, la source en reste pure, – autant qu’elle peut l’être chez des adolescents, dont l’âme est polluée de troubles éléments. Penché sur le courant, Marc, du bout de la langue, lape ceux-ci et celle-là : – la pureté brûlante de cette immolation, et le limon, au fond. Il envie et redoute le demain qu’ils vont mordre... Quand il lève les yeux, il rencontre ceux de sa mère. Leurs regards se détournent. Ils se sont compris, assez pour ne pas vouloir se laisser comprendre davantage. Mais ils savent qu’ils marchent tous deux sous la même nuée."



Suite de "L'été".


Troisième opus de la tétralogie 'L'âme enchantée".

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782374637273
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’âme enchantée
III


Mère et fils


Romain Rolland


Juillet 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-727-3
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 727
PREMIÈRE PARTIE

La guerre n’était pas pour effrayer Annette. Elle pensait :
– « Tout est guerre... »
La guerre sous le masque...
– « ...Je n’ai point peur de te voir, à visage découvert. »
Tous les siens sont, comme elle, de ceux qui reçoivent l’événement avec le moins de révolte. Elle, par cet acquiescement fataliste qu’elle a cueilli sous la lumière de sa récente épreuve :
– « Je suis prête. Advienne que pourra !... »
Sylvie, sa sœur, par une attente secrète, dont elle réprime à peine le cri d’impatience :
– « Enfin !... »
Enfin ! Le cours monotone des jours s’élargit. Va s’élargir le cercle des amours et des haines...
Son fils, Marc, dans un sombre enthousiasme dont il n’exprime rien ; mais le décèlent la fièvre de ses mains et ses yeux... Il est donc apparu, le tragique idéal, que redoutait sa faiblesse, mais qu’invoquait en lui la voix d’instincts obscurs, que la jeunesse n’avoue pas, l’appel aux forces enchaînées, qui gisent sous l’ennui d’une époque dépouillée de ses raisons de vivre !... Il voit partir ses aînés, dans une ivresse d’action et de sacrifice, dont le flot roulera bien des boues, avant qu’il soit longtemps ; mais en ces premiers jours, la source en reste pure, – autant qu’elle peut l’être chez des adolescents, dont l’âme est polluée de troubles éléments. Penché sur le courant, Marc, du bout de la langue, lape ceux-ci et celle-là : – la pureté brûlante de cette immolation, et le limon, au fond. Il envie et redoute le demain qu’ils vont mordre... Quand il lève les yeux, il rencontre ceux de sa mère. Leurs regards se détournent. Ils se sont compris, assez pour ne pas vouloir se laisser comprendre davantage. Mais ils savent qu’ils marchent tous deux sous la même nuée.

Le seul qui ne participât point à l’exaltation, était le mari de Sylvie, Léopold : il était le seul du groupe, qui partît. Il avait calculé que sa classe, une des plus anciennes de la territoriale, ne serait pas prise immédiatement, que les appels s’échelonneraient par tranches. Il n’avait point de hâte. Mais un pressentiment lui soufflait que la guerre en aurait plus que lui, et qu’elle ne l’oublierait pas. Elle se souvint de lui plus vite encore qu’il ne pensait. Il était de Cambrai. Il se trouva aux avant-postes. Pour un homme de son âge, c’était là un honneur dont il se fût passé. Il fit bonne figure cependant, au départ. Il le fallait bien ! Sylvie était héroïque ; et il y avait peu de pitié à attendre des yeux de ces autres femmes. Chacune avait son homme, son mari, son amant, son fils, son frère, qui partait. Qu’ils partissent tous ensemble donnait à l’anormal un semblant de régularité. Le trouble eût été pour elles que l’un d’eux discutât. Aucun ne s’y risqua. Léopold n’y songea point. Non moins que l’ordre d’appel, l’acceptation des siens était catégorique. Et ce petit loup, Marc, qui, d’un regard soupçonneux, jalousement épiait sa faiblesse !... Il crâna. Pour le souper d’adieu, le bon gros trinqua avec tout l’atelier. Il avait le cœur lourd, pourtant, de le quitter. Mais, pour ses intérêts, il pouvait être sûr que Sylvie saurait les bien garder. Le reste !... le mieux était peut-être de ne pas y penser... Elle était une Lucrèce, pour l’instant... Sacrée femme !... Il lui mouilla la joue de sa larme, en la quittant. Elle dit :
– Ce sera une promenade. Quel magnifique été ! Prends garde de t’enrhumer !
Annette l’embrassa. (C’était autant de gagné !) Elle avait pitié de lui. Mais elle ne le montra point, pour ne pas l’affaiblir... « N’est-ce pas ? Puisqu’il le faut !... » Et le regard qui quêtait ne trouva dans le regard affectueux de la grande sœur que l’inflexible :
– Il faut.
Un mur. Nulle issue qu’en avant.
Il partit.
La maison, du haut en bas, comme une ruche, dégorgeait son essaim. Pas un de ses rayons, qui n’offrît son tribut. Chaque famille avait ses mâles à sacrifier.
En haut, dans les mansardes, ces deux ouvriers, pères de famille. Au cinquième, le fils de cette veuve, vieux garçon de trente-cinq ans. Sur le palier d’Annette, ce jeune employé de banque, nouvellement marié. Au-dessous, les deux fils de la famille du magistrat. Au-dessous, le fils unique du professeur de droit. Tout en bas, le fils du « bougniat », qui tenait le débit de vin, au rez-de-chaussée. Au total, huit guerriers, qui ne l’étaient point par leur volonté ; mais on ne la leur demandait point : l’État moderne décharge de la peine de vouloir ses libres citoyens. Et ils le trouvent très bien : c’est un souci de moins ! Du haut en bas de la maison, assentiment parfait. À une exception près (mais on ne la remarque point) : la jeune madame Chardonnet ; la voisine d’Annette, cette nouvelle mariée : trop faible pour protester. Des autres, bien peu comprennent pourquoi leur liberté entière, leur droit de vivre, doivent être aliénés aux mains d’un maître occulte, qui va les sacrifier. Mais, à part un ou deux, ils n’essaient pas de comprendre : ils n’en ont pas besoin pour acquiescer ; ils sont tous élevés dans le consentement, d’avance. Mille qui consentent ensemble se passent de raisons. Ils n’ont qu’à se regarder faire, et à faire comme les autres. Tout le mécanisme d’esprit et de corps se déclenche, de soi-même, sans effort... Mon Dieu ! qu’il est facile de mener au marché le troupeau ! Il y suffit d’un berger borné et de quelques chiens. Plus les bêtes sont nombreuses, plus elles sont dociles à diriger, car elles forment masse, et les unités se fondent dans le total. Un peuple est une pâte de sang qui se coagule... Jusqu’aux heures fatales du grand ébranlement, où périodiquement se renouvellent les peuples et les saisons : alors, la rivière gelée, qui brise sa banquise, saccage la contrée, en la recouvrant de sa chair en fusion...
Ces hôtes de la maison ne se ressemblent point. Leur foi, leurs traditions, leur tempérament diffèrent. Chacune de ces cellules d’âmes, chacune de ces familles, a sa formule chimique. Mais chez toutes, l’acceptation est la même.
Tous, ils aiment leurs fils. Ainsi que les neuf dixièmes des familles françaises, ils ont tout bâti sur eux. À peine entrés dans la vie, dès vingt-cinq ou trente ans, ils reportent sur leurs enfants, au prix de sacrifices obscurs et quotidiens, leurs joies qu’ils n’ont pas eues, et leurs ambitions qu’ils ont renoncé à réaliser, de leurs mains. Et, au premier appel, ils les donnent, ces fils, sans récrimination...
 
Mme veuve Cailleux, au cinquième. Elle a près de soixante ans. Elle en avait trente-trois, et le garçon huit à neuf, quand le papa est mort. Depuis, ils ont vécu ensemble, sans se séparer. En une dizaine d’années, ils n’ont point, je crois, passé un jour entier, qui ne fût sous le même toit. On dirait un vieux ménage. Car, quoiqu’il n’ait pas atteint la quarantième année, Cailleux fils, Hector, a déjà l’air d’un fonctionnaire retraité ; et sa vie est finie, avant d’avoir commencé. Il ne se plaint pas de son sort. Il n’en voudrait point d’autre. Le père était employé des postes. Le fils l’est, à son tour. D’une génération à l’autre, on n’a pas avancé, on se retrouve au même point. Mais se maintenir au même point, n’être pas retombé, sait-on quelle somme d’efforts, souvent, cela représente ? Qui ne perd point, il gagne, – quand on est faible et peu fortuné. Pour élever son fils, la mère, sans ressources, a dû servir comme femme de journée. C’est pénible, pour qui a eu son chez-soi de petite bourgeoise. Elle n’a point récriminé. Maintenant, on est remonté à l’humble paradis perdu. Elle se repose en travaillant, mais pour soi et son fils ; elle a son chez-soi chez lui. Une bonne figure bovine du Berry, qu’on verrait mieux avec le bonnet blanc à ruches qu’avec le chapeau de dame que, le dimanche, elle perche sur sa tête grise au chignon clairsemé. Une grande bouche édentée, qui ne parle jamais fort, mai

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