Monsieur Pierre
400 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Monsieur Pierre , livre ebook

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
400 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

« Une phrase martelait le cerveau de Claudie, au rythme de son pédalier. Une phrase qui ne se posait plus comme une interrogation, mais comme une cruelle certitude. Il lui semblait soudain porter sur ses épaules le passé lourd de Pierre Lemeur. Lourd de conséquences, auxquelles elle n'avait jamais songé, et qui prenaient, à travers le prisme de son rigorisme, les proportions gigantesques d'un crime. » Héritier d'une fromagerie prospère, Pierre Lemeur accumule les conquêtes sans lendemain et ignore tout du véritable amour jusqu'au jour où il rencontre Claudie. La pieuse jeune fille, employée comme bonne au service d'une famille cossue, résiste à ses avances, choquée par ses mœurs dissolues. L'indifférence apparente de Pierre cache une fêlure intérieure qui remonte à l'adolescence. La chaste et pure présence féminine parviendra-t-elle à guérir ce cœur blessé ? L'épopée romanesque de cet amour impossible dans l'immédiat après-guerre trouvera son aboutissement grâce à une foi rédemptrice.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 avril 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342160574
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Monsieur Pierre
Geneviève Stiker
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Monsieur Pierre

Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
Chapitre 1
Dans les profondeurs du fauteuil de cuir où elle disparaissait, Claudie Melbourne se pinça plusieurs fois pour bien s’assurer qu’elle ne rêvait pas ! Tout avait été si rapide, sa décision, son départ, ce voyage ! Dès l’instant où elle avait mis les pieds dans cette voiture 1900 qui les attendait devant la gare, les choses avaient peu à peu perdu l’aspect de la réalité. Cette sorte de réception qu’on lui avait réservée ici, et qui n’était pas prévue au programme, contribuait à l’entretenir dans cet état d’hypnose. Paulette, seule réalité au décor, avait déjà repris ses fonctions, elle l’entendait s’agiter dans la pièce voisine qu’elle devinait être la cuisine, par les bruits de casserole qu’elle percevait par moments.
— Vous savez, Claudie, à votre place je n’irais pas chez les Corot.
Cette remarque de Madame Lemeur, qui buvait son café brûlant à petites gorgées, eut pour effet de replacer la jeune fille face à son problème.
— Vous aurez trop à faire, poursuivait la doctoresse, imaginez cinq garçons, l’aîné, à peine quatorze ans !
— Le travail ne me fait pas peur, Madame.
— Je n’en doute pas, mais il faut penser à votre santé.
Elle évaluait d’un coup d’œil connaisseur la mince silhouette affaissée dans le fauteuil. Cette inspection, bien que rapide et discrète, n’échappa pas à Claudie et lui déplut, elle se redressa et rétorqua un peu sèchement :
— Malgré ma faible constitution, je suis très robuste, vous savez, je n’ai jamais eu besoin de consulter de médecin.
Sa phrase à peine lâchée, elle la regretta, elle n’avait pas eu l’intention de froisser cette jeune femme qui lui témoignait depuis son arrivée une cordiale sympathie, elle mesura l’étendue de sa gaffe et rougit. Paulette, qui entrait un plateau dans les mains, la tira d’embarras :
— Prélasse-toi encore un peu, ma choute, avant d’endosser le harnais…
Il était clair que son amie évoluait dans cette maison avec la fantaisie propre à une amie et non à une domestique, aucun protocole. Paulette mangeait à leur table. Comme elle avait pu le constater, le repas s’était déroulé dans une ambiance qui n’engendrait pas la mélancolie. Claudie ne s’étonnait plus du fait que Paulette ait tant insisté auprès de ses parents afin de revenir dans cette famille, qu’elle avait connue au moment de l’évacuation en 1944. Le caractère gai, insouciant de Paulette, s’épanouissait ici librement et s’harmonisait avec ce cadre insolite qui révélait chez ce couple jeune des goûts plutôt bohèmes, un mépris des choses cossues et précieuses (à moins que ce ne soit un manque de finance). Bien que de style disparate, le mobilier dégageait malgré tout une chaude intimité.
Étrange, très étrange, l’histoire de ce couple. Claudie, pétrie de principes, ne pouvait pas comprendre comment cette belle jeune femme, qui venait de passer brillamment sa thèse de docteur en médecine, se soit amourachée de ce fromager… qui n’avait pour bagage que son certificat d’études primaires, et accordons-lui un certain charme. Comment avait-elle pu le suivre dans ce petit trou de campagne et se résigner à une clientèle de paysans sales et ignorants ? C’est à croire, pense Claudie, que l’amour avec un grand A résout tous les problèmes. Elle avait été, paraît-il, la maîtresse d’un comte assez âgé, le temps d’adoucir sa vie d’étudiante pauvre, puis elle s’était mariée selon son cœur. Ce n’était pas la mauvaise solution, avait conclu Paulette, en lui racontant brièvement l’histoire de Jacqueline Lemeur. Cette machination avait fait horreur à Claudie : plutôt rester pauvre et ignorante toute sa vie que d’en arriver à cet expédient. Cette brusque réminiscence eut pour effet de ternir un moment l’image de cette belle jeune femme brune, qui lui faisait face et enchaînait :
— N’est-ce pas votre avis, Paulette ? Il y a un travail considérable chez Corot, rien n’oblige votre amie à s’y présenter, nous lui trouverons une place plus tranquille. Tenez, je pense aux Pinault, des retraités – un petit train de vie…
— Oui, mais la vieille est dure à la détente, coupa Maurice Lemeur qui était resté silencieux jusque-là. Il émit un perceptible grognement, auquel fit écho le rire cascadant de Paulette.
— Je t’accorde qu’elle est très avare, admit Jacqueline en reposant sa tasse sur le plateau que Paulette avait posé sur un guéridon. La jeune femme alluma une cigarette, se cala dans son fauteuil. Claudie eut un moment l’attention attirée par les jambes fines et galbées qui se croisaient nonchalamment. Par une association d’idées, elle imagina la jeune étudiante dans la gentilhommière du comte, puis se reprocha vivement cette pensée.
— La femme du postier désire depuis longtemps une jeune bonne à tout faire, reprenait la doctoresse, manifestant un réel intérêt pour le problème de Claudie. Là, je suis certaine qu’ils ne lésineront pas sur les gages.
Maurice Lemeur, qui tisonnait le foyer où crépitait un feu de bois, se retourna. Il regardait sa femme, les sourcils en accents circonflexes :
— Et la vieille Julie ?
— Mais, chéri, Madame Laporte n’attend qu’une remplaçante pour la remercier. Julie est pleine d’arthrose.
— Son arthrose ne date pas d’hier, commenta Maurice avec un haussement d’épaules, et n’a jamais empêché Julie de faire son travail. Il accrocha le tisonnier à son support, on le sentait contrarié.
Je n’irai pas chez les Laporte, pense Claudie, en suivant l’évolution d’une mouche sur le bout de sa chaussure. Je ne veux pas retirer le travail de cette femme. Déjà elle touchait du doigt un de ces douloureux problèmes qui avaient souvent fait l’objet de discussions aux réunions de JOC, où elle accompagnait Sylvie, son amie qui travaillait à l’usine. Ces réunions étaient un peu à l’origine de sa décision, elle était lasse de s’entendre dire qu’elle n’avait pas voix au chapitre parce qu’elle ne travaillait pas.
« Toi, quand tu auras bouffé un peu de vache enragée, on t’écoutera, lui lançait la grande Alice, avec cette grossièreté qui caractérise la plupart des filles d’usine trop tôt mûries par la vie. Oui, rétorquait Marcelle (bonne à tout faire), tu ne sais pas ce que c’est de gagner sa croûte, tu te la coules douce entre papa et maman. Tu ne peux pas comprendre nos problèmes. »
S’arracher à la vie de famille, à la douceur de se laisser vivre sans souci, c’était là l’expérience qu’elle avait décidé de tenter. Le rire de Paulette interrompit sa méditation, elle releva la tête, devina que la doctoresse lui avait posé une question et attendait une réponse. Elle bredouilla de vagues excuses.
— T’es dans la lune, ma choute, on t’a demandé quels gages tu exiges. Exiger, c’est beaucoup dire, rectifia Paulette avec un hochement de tête significatif.
Les gages ? Évidemment, il y a la question des gages, elle n’a aucune idée, elle s’étonne de voir combien cette question semble préoccuper ses hôtes, beaucoup plus qu’elle, en vérité. Cette question d’argent a si peu pesé dans la balance de sa décision. Sa première réaction avait été d’esquisser un geste d’insouciance, mais elle se reprit à temps. Il fallait vraiment qu’elle se mette dans la position d’une jeune fille qui doit gagner sa vie. Elle connut la première morsure de l’humiliation tandis qu’elle suggérait timidement :
— Je pense que mille francs…
— Vous pourrez demander plus si vous faites les lessives.
Le clocher de l’église égrena soudain trois heures, Claudie jugea qu’il était temps qu’elle prît congé de ce couple sympathique. Dans deux heures la nuit tomberait et elle devait s’assurer d’un gîte. De plus, dans ce fauteuil confortable, elle sentait s’amollir sa résolution. Il fallait réagir vite, elle était ici pour chercher du travail, à partir d’aujourd’hui elle était une petite bonne à tout faire en veine de place, et non pas une jeune fille aisée en visite chez des amis.
— Je ne veux pas abuser davantage de votre hospitalité, je suis confuse de vous avoir déjà trop causé de dérangements.
Malgré sa volonté de s’identifier à son nouveau personnage elle ne pouvait se défendre d’une espèce d’angoisse qui lui nouait la gorge. Elle fut heureuse d’entendre Jacqueline Lemeur, avec une sollicitude toute maternelle qui s’accordait étrangement avec son allure jeune, lui proposer de revenir le soir.
— Quelle que soit la place que vous choisirez, disait la jeune femme, ne vous engagez que pour demain. Cette première nuit à Valguse, vous la passerez avec Paulette, vous serez moins dépaysée.
* * *
Les deux jeunes filles contournèrent la fromagerie Lemeur et prirent un petit chemin de terre. Le temps était exceptionnellement doux pour le mois de février. N’eussent été ces arbres rabougris et cette campagne dénudée, on se serait cru au printemps. Le soleil déjà chaud enveloppait le paysage d’une auréole de lumière et semblait vouloir effacer tout ce que la nature y apportait de tristesse et de grisaille. Elles franchirent un petit pont de pierre qui enjambe un canal étroit ou se déversent les eaux souillées des habitations sises sur ses bords. Des canards s’ébrouaient avec volupté, elles les regardèrent un instant, ils lampaient avec avidité les déchets qui surnageaient à portée de leur bec, et se disputaient la pitance.
— Pouah !

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents