Petits mémoires du XIXe siècle
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Petits mémoires du XIXe siècle , livre ebook

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Description

Extrait : "Dans ce temps-là, le vent était aux albums. Un soir, chez des amis, où j'avais à attendre une heure, on s'était avisé de me faire prendre patience en me mettant entre les mains un de ces étranges recueils, sorte de registre en peau de chagrin, tout bourré de grosses proses et de rimes hébétées." À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Publié par
Nombre de lectures 21
EAN13 9782335076257
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335076257

 
©Ligaran 2015

À Jules Claretie
Un petit bout de causerie en guise d’avant-propos, si la chose ne vous déplaît pas, cher ami.
L’heure où nous sommes est pleine d’incohérence, du moins en fait de produits littéraires. Que veut-on, si l’on a encore l’énergie qu’il faut pour vouloir ? En multipliant le papier imprimé à l’infini, en mettant l’interview à la place de la fantaisie, en ne nourrissant plus les esprits que d’insipides commérages, la presse s’est désarmée de son ancien prestige ; elle a fini par faire sur les générations nouvelles de notre Occident l’effet que fait naître l’abus de l’opium sur les Orientaux : elle les hébète. Je ne sais plus qui s’est mis, l’autre jour, à comparer le public d’aujourd’hui à une sorte de Schahabaham obtus et blasé qui n’aurait pas plus de goût pour les ours blancs que pour les ours noirs.
Entre nous soit dit, il y a bien quelque chose comme ça, et cet état d’âme, comme on dit de nos jours, ne pouvait manquer de se produire. – Ne trouvez-vous pas qu’il soit bien accusé ? Est-ce que l’homme qui passe dans la rue sait distinguer ce qui est bon de ce qu’il faudrait jeter dans la hotte du chiffonnier ? Est-ce que les duchesses spasmodiques des deux faubourgs ont par elles-mêmes, en fait de livres, des prédilections et des sympathies ? Est-ce que les masses ne forment pas leurs consciences uniquement par le jeu de la Réclame comme le pacha de Scribe réglait ses sentiments sur la parole de Lagingeole ?
À la vérité, cette fin de siècle aurait une excuse. Si ce public, qui, dans d’autres temps n’était qu’une élite, est devenu un Schahabaham, c’est qu’on s’est trop appliqué à le traiter en Gargantua. Ils lui ont servi trop de choses ! Ils lui ont donné la quantité au lieu de la qualité. Comment serait-il demeuré homme de goût ? Mais voyez donc ! Ce mot que j’écris ici prête à rire dans les nouveaux Cénacles. Homme de goût ! Eh mais, c’est devenu une insulte ! Ce serait l’équivalent de ce qu’on désignait, il y a soixante ans, par : vieil as de pique .
Mais j’y reviens : comment, à l’heure qu’il est, les uns et les autres pourraient-ils voir clair en littérature ? Et, en effet, cher ami, pour ne parler ici que de l’art d’écrire de quelle forme de ce grand art notre siècle si turbulent n’a-t-il pas abusé ? Quelle spécialité n’a-t-il pas dégradée ? L’Histoire ? Hier encore, c’était le mot de ralliement d’un merveilleux collège de philosophes et de penseurs. La génération qui a précédé la nôtre ne jurait que par ces noms d’hommes presque divins : Chateaubriand, Daunou, les deux Thierry, de Barante, Guizot, Thiers, Mignet, Armand Carrel, Michelet, Henri Martin, Louis Blanc. Vu l’étrange frivolité de nos mœurs, considérant la mobilité de nos instincts et la difficulté qu’il y aurait pour un homme studieux de se changer en bénédictin afin de travailler vingt ans de suite en silence à la même œuvre, loin des bruits du monde, l’Histoire, la Fille d’Hérodote, les faiseurs de catalogues la tiennent avec raison pour morte et pour ensevelie d’où il suit qu’on ne fait plus que des monographies. La Prosodie ? L’Épopée ? L’Ode ? la Musique dans les mots ? Les Vers ? Que chanter, puisque, au sortir des classes, tout potache fait déjà profession de ne croire à rien ? Au surplus, les Poètes sont partis comme les Dieux et les Rois : il ne nous reste plus que des métromanes. Mais le Théâtre ? mais les deux Muses sœurs, Celle qui tient le poignard et Celle qui se couvre le visage d’un masque ? Sont-elles donc encore en vie l’une et l’autre ? Ont-elles toujours un corps, des fibres, des nerfs, un cœur, une tête, une voix ? De tous côtés, nous entendons dire par les critiques et aussi par les habitués d’orchestre une chose amen table : c’est que la lorgnette la plus vigilante ne peut réussir à apercevoir autre chose que leurs doux ombres.
À la bonne heure, mais en guise de poire pour soif, nous avons la ressource du Roman. Eh bien, oui, parlons-en, du Roman ! Voilà encore une des formes de la pensée que les temps que nous traversons auront mis dans un bel état ! Sachez donc qu’il n’est plus possible non plus de compter sur cet ancien régal de l’esprit. Depuis 1830 jusqu’à hier soir, la statistique le dit, il ne s’est pas publié en moyenne moins de trois cents romans par année. Quand on tire une barre sous ces chiffres pour faire le total, on sent malgré soi nos cheveux se dresser sur nos têtes. Juste ciel ! quelle cataracte de Niagara uniquement faite d’encre ! Après tant de milliers de volumes, osez donc dire que vous en ferez dans lesquels il y aura du neuf et de l’imprévu ? Non, non, arrangez-vous comme il vous plaira et vous serez bien forcé de convenir avec moi que les plus beaux récits ne sont autre chose que des redites. En second lieu, il faudra me concéder aussi qu’à la fin des fins, les lecteurs renoncent à vous suivre. Les plus intrépides sont saturés de tant d’adultères, de tant d’assassinats, de tant de rapts, de tant de mystères mondains, qui ne sont plus des mystères puisqu’on les fait passer au grand jour de la publicité du feuilleton à celle de l’in-dix-huit. – « Des romans ! toujours des romans ! s’écrie la foule en s’efforçant de réprimer les bâillements que font naître de concert la satiété et l’ennui. Des romans, voilà une denrée bien rare, en vérité ! Et ils sont toujours les mêmes. Est-ce donc, messieurs les auteurs, que nous sommes condamnés à n’être plus qu’un peuple de ruminants, c’est-à-dire à remâcher sans cesse la même provende ?
Il se fait entendre, d’ailleurs, un grief d’un genre encore plus grave.
En France, le Roman n’a jamais consenti à être bégueule. Il faisait même profession d’être hardi. Il appelait volontiers les choses par leur nom. On s’accordait à lui laisser bon nombre de licences. De nos jours, la mesure est dépassée. Il n’a plus seulement de l’audace ; il s’étudie à être cynique. Il s’est fait une habitude de la crapule. Il court les mauvais lieux. Il ne parle plus la langue nationale ; il a pour truchement journalier l’argot des filles et des voleurs, et c’est parfois pour ça qu’il se vend à cent mille exemplaires ; mais il arrive à la fin qu’on ne veut plus de lui dans toute maison qui se respecte. « – Il corromprait nos femmes ; il salirait nos filles. » Et les bourgeois de Paris ferment leurs portes avec des cris de dégoût.
Ainsi, vous le voyez, cher ami, la France qui aime sincèrement les lettres demande grâce.
Or, en prêtant l’oreille à tant de plaintes, des éditeurs, hommes d’esprit et d’initiative, ont pensé à un expédient qu’ils emprunteraient au passé. Ils se sont mis à ressusciter les Mémoires . En revenant à cette mode de nos pères, ils ne faisaient que mettre en action un des grands vers d’Horace : Multa renascentur quœ jam cecidere . Les Mémoires , jetez un rapide coup d’œil sur le passé ; c’est un genre français par excellence. Qui ne le sait ?
Ces sortes de livres, quand ils sont écrits avec sincérité, ont autant de séduction que le roman et sont aussi nourrissants que l’histoire. Notre littérature nationale en compte par centaines et presque tous sont des chefs-d’œuvre. Toujours est-il que la faveur publique souffle en ce moment de ce côté-là. Des Mémoires , l’histoire familière, les grands hommes en robe de chambre, la vie intime découpée en récits, tout le monde en demande et tout le monde en fait.
Vous le voyez, cher ami, je fais comme tout le monde ; je publie un premier volume de Souvenirs personnels.
Ah ! je sais bien ce qu’on serait en droit de dire. L’auteur est trop peu de chose pour occuper le public de soi et effectivement, ma personne ne compte pas. Mais, Dieu merci, j’ai à invoquer en ma faveur le bénéfice des circonstances atténuantes. Hélas ! j’ai beaucoup vécu. Pendant cinquante ans, sans interruption, j’ai mené l’existence du journaliste, tantôt dans la presse littéraire, tantôt dans la presse sérieuse, le plus souvent dans la presse satirique. Nul ne s’est frotté plus que moi aux personnages d’importance, &

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