Physiologie du Robert-Macaire
58 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Physiologie du Robert-Macaire , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
58 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Extrait : "Robert-Macaire ne pouvait apparaître dans un autre temps que le nôtre. Il est bien l'enfant de ce siècle ; il est l'incarnation de notre époque positive, égoïste, avare, menteuse, vantarde, et , disons le mot, il est ici parfaitement à sa place – essentiellement blagueuse."

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 21
EAN13 9782335035216
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335035216

 
©Ligaran 2015

CHAPITRE PREMIER Du Robert-Macaire en général


Robert-Macaire ne pouvait apparaître dans un autre temps que le nôtre. Il est bien reniant de ce siècle ; il est l’incarnation de notre époque positive, égoïste, avare, menteuse, vantarde, et, disons le mot, il est ici parfaitement à sa place – essentiellement blagueuse .
Quand on évoque le règne de Louis XIII, apparaissent les noms de Richelieu et de Corneille ; sous le règne de Louis XIV, on voit briller Turenne, Racine, Bossuet, Condé, Molière, Fénelon, La Fontaine et tant d’autres ; le règne de Louis XV montre avec orgueil à la postérité Voltaire et Jean-Jacques ; quand, dans cent ans, on demandera le nom des grands hommes qui ont marqué la première moitié du dix-neuvième siècle, on citera Robert-Macaire, rien que Robert-Macaire, toujours Robert-Macaire. En effet, le général Bonaparte, qui éclipse si complètement l’empereur Napoléon, appartient à la fin du siècle dernier. Prenons donc notre parti, et, devançant le jugement des âges futurs, baptisons notre siècle le siècle de Robert-Macaire .
C’est à qui viendra sur la place publique emboucher la trompette, faire battre la grosse caisse par quelque compère et vanter à haute voix sa personne et sa marchandise. Les inventeurs, les industriels, les auteurs, les marchands, les savants eux-mêmes, que font-ils autre chose ? La page d’annonces des journaux n’est-elle pas pour eux la place publique ? Et pour les députés, et pour les hommes d’État, la tribune n’est-elle pas la place publique où retentissent incessamment les mois désintéressement et austérité  ? Et les hommes du pouvoir, n’ont-ils pas leurs journaux à eux, véritable place publique, où ils vantent chaque jour leurs vertus, leurs talents, leur courage ? Tristes Robert-Macaire que tous ces hommes, qui ont tous les ridicules, tous les défauts, tous les vices de leur modèle, sans en avoir l’esprit et l’originalité !
C’est au développement de cette thèse incontestable que ce petit livre est consacré. Laissant de côté les raisonnements, nous prendrons les exemples qui fourmillent sous nos yeux ; nous appréhenderons au corps les hommes de tous les états, de toutes les conditions, de tous les âges ; et sans être obligé de leur arracher le masque dont ils ne prennent pas même la peine de se cacher la face, nous leur inscrirons sur le front, comme un stigmate, cette épithète qui leur convient si bien : Robert-Macaire !

ROBERT-MACAIRE !
CHAPITRE II Le Robert-Macaire avocat


À tout seigneur tout honneur ! Dans un temps où l’on mène des hommes avec des mots creux et sonores, l’avocat doit avoir le premier rang. Le premier rang lui appartient aussi de plein droit parmi les Robert-Macaire, qui ne sont pas le plus bel ornement de notre société.
Par une habitude qui tient à notre caractère léger, et qui consiste à répéter comme des perroquets une foule de choses sans nous rendre compte de leur signification, nous accolons sans cesse au métier d’avocat l’épithète d ’honorable . De bonne foi, cette épithète n’est-elle pas un peu risquée ?
Dans toutes les affaires soumises aux tribunaux, il y a toujours le bon droit et le mauvais droit. Or, si l’avocat qui plaide pour le bon droit est honorable, celui qui plaide pour le mauvais ne l’est donc pas. Mais demain les rôles seront changés, et l’avocat du bon droit d’aujourd’hui deviendra l’avocat du mauvais. C’est clair, et je délie les avocats eux-mêmes de me répondre, eux cependant qui savent trouver des raisonnements pour tous les cas.
Mais il y a chez les avocats, comme dans toutes les autres professions, une honorabilité relative dont il faut savoir nous contenter. Laissons donc cette question brûlante, et ne nous occupons que de l’avocat Robert Macaire.
Il est dans son cabinet, occupé à étudier les pièces d’un procès qui doit se juger prochainement. Un inconnu se présente. – « Monsieur, dit-il au Macaire, je viens vous prier de vouloir bien me prêter l’appui de votre talent dans un procès d’où dépend ma fortune. – Très volontiers, Monsieur, si vos prétentions sont justes… car plus ma parole est puissante, plus elle a d’influence sur l’esprit du juge, plus je dois tenir à ne la prêter (prêter est ici pour vendre) qu’au bon droit et au malheur… Je suis le défenseur né de la veuve et de l’orphelin… de l’orphelin et de la veuve… La veuve, Monsieur ! l’orphelin, Monsieur !… je suis leur tuteur né, Monsieur… »
Pendant cette tirade d’audience, le client a déposé ses pièces sur le bureau du Macaire, en y joignant deux billets de mille francs, puis il a pris congé après avoir promis de revenir le lendemain pour connaître la décision du légiste.
Dès qu’il est parti, le Macaire jette les yeux sur ses papiers, et il se trouve que le plaideur est précisément l’adversaire de celui dont il examinait les pièces tout à l’heure, et pour lequel il avait promis de parler. Oui, mais le premier ne lui a donné que 1 500 IV. ; l’autre vient d’en laisser 2 000 ; plus de doute, la raison, le bon droit, la probité, la justice sont du côté du dernier… Aussitôt, il retourne tous les arguments qu’il avait trouvés pour le plaideur à 1 500 fr., et les ajuste aux prétentions du plaideur à 2 000. Puis le jour de l’audience arrivé, il entasse phrases sur phrases, moyens sur moyens, et il perd son procès, au grand étonnement du client, mais non pas au sien, car il savait sa cause pitoyable : ce qui ne l’avait pas empêché, dans tout le cours de sa plaidoirie, d’accabler son adversaire, son premier client, des épithètes d’homme de mauvaise foi, d’homme sans conscience et sans probité.


Ô honorable profession d’avocat !…
Dans une autre affaire fort importante, et où il avait reçu 10 000 fr. d’honoraires, toujours payés d’avance, – l’avocat Robert-Macaire ne fait pas crédit, – il s’avise de penser qu’il n’a pas été assez rétribué, c’est-à-dire qu’il eût pu l’être davantage. Que fait-il ? Trois jours avant l’audience, et quand il sait qu’il sera impossible à son client de trouver un autre avocat qui puisse être prêt pour la bataille, il écrit au pauvre plaideur que son affaire lui donne beaucoup plus de mal qu’il ne l’avait cru, et qu’il ne s’en chargera pas si on ne lui donne un supplément d’honoraires de 5 000 fr. Que vouliez-vous que fît le client ? qu’il payât !…
Ô honorable profession d’avocat !
Il y a quelque vingt ans, deux jeunes Anglais, cousins-germains, se disputaient un héritage formidable : il s’agissait d’à peu près 10 millions. Chacun d’eux avait choisi parmi les célébrités du barreau celle qu’il pensait devoir le mieux défendre ses intérêts. Le procès jugé, le perdant interjette appel. Dans l’intervalle, son avocat va trouver l’avocat du gagnant. – « Vous avez triomphé en première instance, lui dit-il ; mais les destins et les arrêts sont changeants… Nous irons devant la Cour, et là, votre victoire pourrait bien se tourner en défaite… Tenez, consentez à donner à mon client 500 000 fr., et il se désiste de son appel… » L’avocat adverse qui savait par expérience qu’un procès n’est jamais gagné tant que toutes les juridictions ne sont pas épuisées, trouve la proposition très convenable, et promet d’en parler à son client, qui consent de grand cœur à cet arrangement. Sûr de son affaire de ce côté, le Robert-Macaire va trouver son plaideur : – « J’ai réfléchi à votre appel, lui dit-il, il est fort douteux… ou plutôt il ne l’est pas… J’ai dîné hier avec le rapporteur…, j’ai passé la soirée avec plusieurs conseillers, et d’après ce qu’ils m’ont laissé entrevoir…, je crois, dans votre intérêt, devoir vous conseiller de vous désister, et par mon crédit sur l’esprit de mon confrère, je me fais fort d’obtenir de votre cousin une somme de… 300 000 fr… Vaut mieux tenir 100 000 cens que courir les chances d’un procès que vous perdrez… je le sais. » Le client accepte ; le Macaire reçoit de la main droite 500 000 fr., en donne de la main gauche 300

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents