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Description
Sujets
Informations
Publié par | Québec Amérique |
Date de parution | 18 janvier 2018 |
Nombre de lectures | 0 |
EAN13 | 9782764435656 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice
Conception graphique : Claudia Mc Arthur
Mise en pages : Andréa Joseph [pagexpress@videotron.ca]
Révision linguistique : Isabelle Rolland
En couverture : photomontage à partir d’une photo de Khabarushka/shutterstock.com
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain
Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Lytwynuk, Daniel
Alex Toth (erratum)
(Latitudes)
ISBN 978-2-7644-3563-2 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3564-9 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3565-6 (ePub)
I. Titre. II. Collection : Latitudes (Éditions Québec Amérique)
PS8623.Y78A62 2018 C843’.6 C2017-942207-3
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2018
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2018.
quebec-amerique.com
À ma mère À mon père Jardiniers de mon enfance Terroir de mon âme et conscience
Tous les hommes recherchent d’être heureux. [...] C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre.
Blaise Pascal, Pensées , « 148. »
Cela ne servait à rien. Après quelques grincements de ressorts, déjà fatigué, je me retournai et m’assis sur le bord du lit. Voilà que ça recommençait. J’entendais à travers son soupir toute sa lassitude. Ou son désespoir. Mais j’aurais parié que c’était moi le plus exaspéré. Peut-être pas. Était-ce de la tristesse ? J’aurais voulu lui parler. J’aurais voulu en être capable. Et puis, qu’aurais-je bien pu dire ? Rien. Ne sachant pas quoi faire d’autre, malgré l’heure, j’allai au boudoir à l’autre bout de l’appartement.
Je refermai la porte insonorisée, et sans allumer les lumières, j’allai aux fenêtres. C’était normal qu’il y ait autant de jeunes gens sortis par une nuit si douce de mi-septembre dans le Vieux-Montréal. Ici, on devait extraire la substantifique moelle de nos étés.
J’allai au piano. Je pris la courtepointe sur le meuble et l’étalai sur les cordes pour étouffer les sons. Je vérifiai doucement les touches, quelques basses, quelques moyennes, quelques aiguës. J’ouvris la lampe et je feuilletai le cahier Schumann. Je regardai les notes. Le concert approchait.
Je n’avais pas envie de jouer.
◊ ◊ ◊
J’en étais au Traümerei quand j’entendis Victor, d’entre les notes, arriver du fond de la salle de concert vide et s’asseoir dans la première rangée. Quand je finis la pièce, il se mit debout, cigarillo à la bouche, et applaudit :
— Bravo ! Impeccable ! Je te l’ai déjà dit : personne joue Liszt comme toi !
— Salut, Victor. C’était Schumann. Tu as oublié d’éteindre ton cigare en entrant.
— Ha ! Imagine ton Liszt !
— Je commence dans deux jours et il y a toujours quelque chose qui cloche ici…
Je repris le passage qui ne coulait pas tout à fait à mon goût pendant que Victor montait l’escalier de côté. Il vint s’appuyer sur le piano, comme toujours. Bientôt dans sa soixantaine, Victor était costaud, surtout du ventre, et avait une chevelure argentée un peu trop soignée. Il était vêtu invariablement en complet et en col roulé, traînant son cigarillo dans les endroits où c’était interdit, jusqu’au moment où on lui demandait de l’éteindre. Il avait souvent un journal sous le bras, que je ne le voyais jamais lire. Je l’aimais bien, mais j’aurais préféré qu’il ne soit pas là cet après-midi. J’avais besoin de trouver le phrasé juste et je me sentais devenir impatient et légèrement irrité. Et c’était impossible de rendre Traümerei dans un tel état. C’était une pièce simple, mais difficile à faire correctement respirer.
— Laisse-moi te donner un truc du métier, mon garçon, dit-il, balayant la salle de la main. Imagine… Imagine que tu joues… pour… l’empereur du Japon .
— Ça fait quatorze ans que tu es mon agent et c’est seulement aujourd’hui que tu me confies ton secret ?
J’exécutai de nouveau la ligne, tentant de saisir le sens que Schumann y avait caché, cherchant l’essentiel. Victor se pencha vers moi et ferma le couvercle sur les touches pour augmenter l’effet dramatique de sa confidence.
— T’as vu où j’étais assis ? demanda-t-il en pointant. Devine qui sera dans ce fauteuil-là à ton deuxième concert ?
— Tu sais à quel point ça m’agace quand tu fais ça.
J’ouvris le couvercle et repris du début.
— Terauchi !
— Qui c’est ?
Il prit le journal de sous son bras et le déposa sur mes mains en pointant la photo.
— L’empereur du Japon ! Il est en visite au pays et s’arrête à Montréal la semaine prochaine. Son attaché a fait réserver huit billets pour ton récital. J’ai demandé à Monica de leur donner les places réservées dans la première rangée. Il sera là… là, là, à ton deuxième récital. Tu me vois venir, j’imagine ?
— Hmm…
— J’ai joint Fred du Montréal Express . Je lui ai demandé d’écrire un petit quelque chose à propos de l’empereur qui vient à ton récital. Tu vois toujours pas ? On va pouvoir utiliser l’article comme tremplin publicitaire pour promouvoir ta tournée asiatique. Je vais joindre Sakura Communications à Tokyo et…
— Victor…
— C’est de l’ or , Alex ! C’est une opportunité en terres rares !
— Tu sais parfaitement…
— Regarde… tu dis rien… dis rien… D’accord ? Fais juste… fais juste y penser. Réfléchis… Tu sais que ça fait quatre ans…
— Pas maintenant.
Victor s’énerva et commença à gesticuler.
— Tu peux pas continuer à ce rythme-là, Alex… avec tes cinq minirécitals… ça fera vingt à la fin de l’année. Tu sais combien Angelini en a donné l’an passé ?
— Cent vingt-deux.
— Exactement !
Dans son énervement, les cendres de son cigarillo tombèrent sur le fini éclatant du piano, qu’il balaya avec le journal replié.
— Tes ventes sont en baisse. T’as besoin d’une tournée.
— Tu as raison, lui dis-je, à demi résigné.
Il ne voulait que mon bien, mais je n’avais plus aucun espoir de comprendre Traümerei.
— Je veux que tu y penses, me dit-il.
Il déchira soigneusement la photo de Masatake Terauchi de son journal.
— Tu sais à quel point les Japonais aiment Mozart. Joue un peu de Mozart pour ton vieux Victor.
Je repris la pièce de Schumann du début.
— Il avait quel âge quand il a composé ça ? demanda-t-il.
— Deux ans.
— Quel génie quand même…
— Il avait les doigts surdimensionnés.
— Quand même… deux ans.
Je blaguais, mais puisqu’il mordait, je m’en voulus aussitôt.
— Zena viendrait-elle avec nous ? demandai-je.
— Tu veux rire ? Elle en rêve !
— Ah bon ?
J’étais de nouveau au passage qui m’échappait. Je le jouai un peu mieux. Peut-être.
Victor plia la photo de Terauchi en deux et la posa debout sur le piano au niveau de mes yeux. Il pointa :
— Joue-le pour l’empereur, dit-il.
— C’est écrit Premier ministre là, en dessous de la photo.
— Je pourrais peut-être demander à Fred d’investiguer, tu sais, pour savoir qui est son co