Etoile de pacotille
173 pages
Français

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Description

Sur les conseils de sa psy, Stéphane Gabelou, professeur de Lettres Classiques, sensible et idéaliste, entreprend le récit des évènements qui l'ont conduit à faire une grave dépression. Il raconte ainsi son arrivée au collège Youri Gagarine, où, muté sur sa demande pour se rapprocher de sa fille, il surinvestit dans son travail, crée un club de théâtre et s'attache à une élève socialement défavorisée : Estelle Pacot. Ce tourbillon d'activités est un antidote à sa souffrance : il supporte très mal que son ex ait refait sa vie et attende un enfant. Peu à peu, il se sent investi d'une mission pédagogique : oeuvrer à la réussite scolaire d'Estelle pour l'arracher à son milieu. Mais en s'immisçant, avec des intentions généreuses, dans ce monde si éloigné du sien, n'est-il pas en partie responsable de la tragédie qui met fin à la brève ascension de cette "Étoile de pacotille" ?

Informations

Publié par
Date de parution 05 novembre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312017044
Langue Français

Extrait

Étoile de pacotille
Mireille Guillemot-Valadou
Étoile de pacotille









LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-01704-4
Prologue
Il faut que j’écrive. C’est très indiqué dans mon cas. Une sorte de thérapie. Claudine Katz, la psy qui me suit, m’y a vivement encouragé.
– Un prof de lettres ! Vous vouliez être écrivain quand vous étiez petit, non ? Alors !
C’est vrai. Un vieux rêve. A cause de l’imprimerie de Papa, sans doute. L’odeur des livres neufs, prêts à être mis sous film plastique, empilés sur les palettes pour être livrés dans les librairies, le rayon livres des hypermarchés. Un jour, le mien peut-être, avec une bande de couleur vive rappelant le prix qu’on vient de lui décerner. Oui, mais un roman. Une fiction. Pas cette histoire qui est la mienne, qui me fera sans cesse revenir à moi, bourreau de moi-même, ce moi dont je ne parviendrai jamais à me libérer.
– Si, justement, a dit Claudine, c’est comme ça que vous vous en libérerez.
Alors j’ai allumé l’ordinateur. Il a chanté son indicatif. Il me semble que cela fait une éternité que je n’avais pas entendu sa voix. Puis il m’a flanqué au visage sa page blanche, ce vide lumineux, pulvérulent, vertigineux, aveuglant comme une paroi de neige. C’est classique, le syndrome de la page blanche. Mes doigts tremblants ont retrouvé le clavier, se sont rangés en attente sur les lettres de départ, pour atteindre les touches que je leur ai méthodiquement appris à frapper. Chaque doigt son répertoire. Mes yeux suivent sur l’écran la partition de leur valse, décomposant en caractères les mots qui se pressent dans mon esprit. Enfin, c’était comme ça, avant. Maintenant la main droite devra danser toute seule. Un one mane show, en quelque sorte. La gauche est foutue. Est-ce le fait d’être manchot qui me paralyse ? Je transpire de faiblesse. Aucun mot ne me vient à l’esprit. Le vide. Ma mémoire est vide. Un espace de neige. De neige ! Cette douleur fulgurante à mes cicatrices ! Celles de mon corps, car je crois que je n’en aurai jamais à ce qu’on pourrait appeler mon âme. Il a suffi de ce mot, la neige, pour que je comprenne que tout est bien là, que je n’ai rien oublié. Mais ça fait si mal. Vous pouvez maintenant éteindre votre ordinateur en toute sécurité . Voilà. Je suis en sécurité.
– Non, m’a dit la psy, c’est une fausse sécurité. Il faut écrire. Je suis sûre que vous avez déjà écrit des romans.
– J’en ai commencé plus d’un, oui. Sans avoir le courage de les achever. Manque de confiance en moi.
– Faites comme si c’était un roman, comme si vous décidiez de tout : du temps, du lieu, des actants, du schéma narratif. Ce sont bien les termes que les professeurs de français emploient ? Dites-vous que vous êtes le grand démiurge. Vous prendrez ainsi cette distance salutaire qui vous libérera. Maintenant c’est moi le professeur et je vous donne un devoir d’expression écrite, dit-elle en me vrillant de ses petits yeux malicieux d’un bleu incisif.

Je suis encore si fatigué. Étrange comme la dépression nerveuse est d’abord un épuisement physique. Comme si je sortais d’une longue maladie, un cancer par exemple. Un rien me fatigue à l’extrême, ponctionne un peu de ma substance vitale. La courte promenade dans le parc de la Ville au Douet me demande un effort considérable. J’en reviens tout tremblant avec des jambes de laine, des sueurs froides, des voiles rougeâtres qui planent devant mes yeux. Je fuis les miroirs, la moindre surface réfléchissante, les vitres des voitures, l’eau lisse de l’étang. Ai-je le masque blême et tragique de cette collègue que je croise souvent sur le pont japonais du parc, tel un fantôme surgissant de la sombre allée des ifs ? Un masque figé de théâtre antique, voué à une expression unique. Bouche aux coins affaissés, yeux éteints et retombants, face ravinée par le cheminement des larmes, livide sous la couche de trompe-couillon et la teinture trop noire des cheveux. D’où tirerai-je l’énergie démiurgique nécessaire ? Et pourtant il ne s’agit pas de créer un monde, seulement de le faire revivre. Mais où trouver la vie à lui insuffler ? Il m’en reste à peine pour moi-même.
– Faites comme si vous décidiez de tout. Vous aimez le théâtre ? Soyez le metteur en scène de votre drame.
J’ai rallumé l’ordinateur. Le désert de neige s’est déployé. Vite ! Exorciser ce néant. Le coloniser. Installer une base. Planter un drapeau. Un titre ?
– Oui, mettez un titre, comme pour un vrai roman.
Là, je ne sais pas. Ce n’est pas immédiatement que Zola a trouvé Germinal. Il en a aligné des titres possibles, jusqu’à celui-là qui s’est imposé, magistral. J’entends Michel Fugain me fredonner comme par dérision :
C’est un beau roman, c’est une belle histoire
C’est une romance d’aujourd’hui
Va pour Une romance d’aujourd’hui mais c’est provisoire. Pour mettre un nom à ce fichier. Normal, a dit Katz. C’est toujours après qu’on trouve le titre. Quand on a compris le sens de l’histoire.
Chapitre I
P OURRI M ARGARINE

Le lieu : dans la banlieue de Namnète. Un lieu déstructuré, comme un visage défiguré par un accident. Un visage qui fut beau, d’une beauté discrète, modeste. Un visage entaillé par la balafre du périphérique. Un de ces lieux en devenir comme on en trouve maintenant aux portes des grandes villes. Qui fut rural et n’est pas encore urbain. Pour aller droit au cœur de la ville, l’artère du périph a sectionné toutes les fines artérioles des chemins de terre où grinçaient plaintivement les charrettes d’antan. Ces voies sclérosées où la vie ne passe plus, vont désormais buter sur les levées de terre qui bordent le périph et qui amortissent à peine le rugissement du fleuve automobile. Il traverse des terres basses où les pluies d’automne forment des lacs éphémères qui scintillent parfois sous les brumes, mirages passagers de l’île d’Avallon. Aussi la ville ne s’y épand-elle qu’avec prudence, laissant la place aux grandes surfaces commerciales, hypermarchés, jardineries, dont les vastes parkings bitumés viennent stériliser la terre et la disputer aux maraîchers. C’est là qu’on trouve ceux qu’on appelle les manouches et qu’on accuse de tous les forfaits. On devine des lambeaux de grandes propriétés, des murs de pierre qui s’écroulent, des allées majestueuses qui s’interrompent brusquement parce que le périph sépare désormais la maison bourgeoise de ce qui fut son parc.
Comme lieu, ça n’est pas terrible. C’est même un lieu qui agresse ma sensibilité petite-bourgeoise. J’y vois l’inexorable avancée de l’urbanisation, déchirant sans pitié le tissu rural auquel je trouve tant de charme. Parce que j’ai peur de l’avenir, diront certains. Possible. Quelle qu’en soit la raison, un paysage massacré me fait toujours très mal. Si j’avais été le libre démiurge j’aurais choisi un lieu plus beau, qui m’aurait fourni matière à des descriptions poétiques mais là je n’ai pas le choix. Le collège où j’ai atterri est en accord avec ce paysage. Ah, certes ce n’est pas l’abbaye de Thélème ! Quelques parallélépipèdes de béton autour d’une cour bitumée où le végétal n’a pas droit de cité. Pour faire face aux effectifs en constante augmentation, on a rajouté des classes préfabriquées, les préfa, qui rognent encore l’espace de la cour, glacées l’hiver, suffocantes l’été, sonores comme des tambours, souvent réservées aux disciplines ne requérant pas de matériel spécialisé, comme celles que j’enseigne. Nul besoin de matos sophistiqué pour ânonner des déclinaisons latines, pas vrai ? J’y passais donc le plus clair de mon emploi du temps sauf quand j’arrivais à bloquer des heures au CDI ou dans la salle multimédia aux quinze ordinateurs constamment pris d’assaut. Incapable de planifier mes cours et de m’inscrire sur le tableau de réservation, il me fallait ruser pour obtenir une salle en dur où passer mes péplums : impossible de véhiculer jusqu’aux préfa les chariots sur lesquels étaient arrimés télés et magnétoscopes. Organisation et prévision ne sont pas mon fort : je fonctionne à l’

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