Incisions
92 pages
Français

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Description

Hanté par une erreur médicale fatale, le docteur Thomas Schwartz a d'autres problèmes à résoudre: une paralysie nerveuse foudroyante le prive de l'usage de ses moins et un robot semble avoir l'ascendant sur ses doigts moins précis, il s'oppose à des avancées techniques qui déshumanisent sa profession, un collègue de l'hôpital McGill lorgne son poste, tandis que sa femme ne l'aime plus. La volonté hors du commun de Thomas Schwartz sera-t-elle suffisante pour résister aux vacillements de sa vie et de l'institution hospitalière tout entière?
Avec l'erreur de diagnostic et le développement de la robotique en chirurgie comme toiles de fond, ce récit romanesque s'appuie sur des faits réels et sur un contexte existant. L'auteur a lui-même travaillé pendant plusieurs années clans le milieu chirurgical. II a longtemps dirigé une fondation de recherche médicale spécialisée clans la chirurgie, et notamment dons la robotique chirurgicale. II a aussi enseigné le fronçais en Amérique du Sud. II a enregistré plusieurs entretiens avec de nombreux chirurgiens afin de constituer une documentation utile à l'écriture de ce livre. II a décidé de présenter, ou moyen d'une fiction romanesque, une vision et une description des systèmes de pouvoir, des problèmes de conscience et des contraintes techniques auxquels sont exposés les praticiens, et qui sont rarement rendus publics.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 14 juin 2016
Nombre de lectures 1
EAN13 9782896993918
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Table des matières



Dédicace

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada


Belleval, Éric de, 1950-, auteur
Incisions / Éric de Belleval.


(Vertiges)
Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).
ISBN 978-2-89699-389-5.--ISBN 978-2-89699-390-1 (pdf).--
ISBN 978-2-89699-391-8 (epub)


I. Titre. II. Collection: Collection Vertiges


PS8603.E4539I53 2013 C843’.6 C2013-905332-8
C2013-905333-6




Les Éditions L’Interligne
261, chemin de Montréal, bureau 310
Ottawa (Ontario) K1L 8C7
Tél. : 613 748-0850 / Téléc. : 613 748-0852
Adresse courriel : commercialisation@interligne.ca
www.interligne.ca

Distribution : Diffusion Prologue inc.

ISBN : 978-2-89699-391-8
© Eric de Belleval et Les Éditions L’Interligne
Dépôt légal : quatrième trimestre 2013
Bibliothèque nationale du Canada
Tous droits réservés pour tous pays










À Jean-Marie Brisset


1




« How you should break bad news to patient » , titrait le McGill Journal of Medicine sur sa page de couverture. La manchette s’étalait sous la photo d’un type à l’air désolé qui triturait fiévreusement le tissu de sa blouse blanche, un stéthoscope à demi enfoncé dans sa poche poitrine. Une publicité tapageuse suivait, cherchant à vendre une demi-journée de stage permettant d’effacer tout risque d’embarras au moment d’annoncer la vérité aux patients. Tumeur inopérable ? Deux mois au plus ? Pas envie de les voir pleurer. Vieille histoire.
Est-ce qu’il fallait vraiment s’inscrire à un séminaire pour affronter ce genre de situation ? Thomas médita un instant sur la question en regardant la crème de son café céder bulle après bulle sous la pression du liquide fumant. Il attendit que le petit lac brun soit parfaitement calme avant de l’engloutir d’un trait. Le café au lait trop sucré lui arracha une grimace.
Le stade de la gêne avec le patient, le cap difficile de la mauvaise nouvelle à annoncer ressemblaient à ces petits détails dont on s’encombre l’esprit au moment de partir en voyage : l’alarme de la maison correctement enclenchée ou les voisins bien prévenus. Une fois sur l’autoroute on se persuadait que rien n’avait été oublié, qu’il s’agissait d’une banale crainte de manquer le départ.
Pour Thomas, il était question d’un tout autre bilan. Il y avait peu d’incertitudes à additionner, aucune hésitation à retrancher. Il avait tué madame Dumont. Sans aucun doute possible, en toute impunité. Par orgueil et par présomption, ses deux assistants infatigables en salle d’opération.
Pourtant, il n’existait pas dans toute la province du Québec, sur tout le territoire canadien, dans toute l’Amérique du Nord, un seul chirurgien plus apte que lui à venir à bout d’une tumeur difficile d’accès. Il n’avait besoin d’aucun avis confraternel pour être sûr de son diagnostic, pour proposer le meilleur traitement possible à ses patients. Il leur tendait la main la plus habile de la profession, il mettait à la disposition de pauvres malades désemparés le cerveau le mieux formé, l’esprit le plus clair, le diagnostic le plus sûr. Aucune assemblée de pairs ne viendrait établir une faute ou démontrer une négligence.
Cependant il l’avait bel et bien tuée. Il n’avait pas fait mieux qu’un barbier du Moyen Âge, malgré l’asepsie, l’électronique, les techniques de pointe et les certitudes.
— Tu ne finis pas ton café ? s’inquiéta Cécile en interrogeant son mari du regard.
— Je suis en retard, grogna Thomas en repliant le journal.
— Pourquoi ne lis-tu pas ce genre d’horreur à l’hôpital ?
Une photo d’œdème veineux étalait ses pigments colorés à proximité des pots de confiture. Cécile la désigna d’une pupille contrariée.
— Parce que je suis en retard aussi à l’hôpital. Je passe mon temps à être en retard.
— Tu rentres à quelle heure ?
— Je rentre, c’est tout ce que je peux te dire.
Il tendit les deux mains à plat au-dessus des bols.
— Tant que ces deux beaux outils ne tremblent pas, je travaille.
Elle fixa le dos de ses mains, aussi immobiles qu’un arrêt sur image.
Les doigts longs et réguliers semblaient chercher un piano. Les veines sourdaient à peine sous un cuir avare de poils et légèrement luisant à force d’être savonné cinquante fois par jour.
Thomas ferma un poing et fit mine de cogner sur le menton de sa fille qui parcourait la page du journal restée ouverte.
— Est-ce qu’on peut laver les cheveux d’un mort ? demanda Camille en fixant sa mère.
Elle jouait avec sa cuillère en la faisant osciller comme un petit balancier chargé de départager ses parents. Son père lui répondit joyeusement :
— Mais oui ! On l’emmène au salon de coiffure sur un brancard, et on lui demande s’il veut un traitement contre les pellicules, fit Thomas d’une petite voix moqueuse.
Sa mère, elle, n’appréciait pas particulièrement l’humour de carabin pour commencer la journée. Elle posa ses coudes sur la table, enfonça ses yeux au creux de ses paumes et marqua sa réprobation après un b âillement chargé d’ irritation :
— Je voudrais bien qu’on se contente de savoir si on a bien dormi en prenant le déjeuner.
Camille en demanda un peu plus :
— C’est à cause de papa, quand il fait des trous dans la tête des gens. S’ils meurent, les cheveux sont pleins de sang et de cervelle. On ne peut pas les montrer comme ça, non ?
— Chérie, papa soigne les gens, il ne les tue pas, rectifia Cécile.
— On peut mourir sans être tué, insista Camille.
— Et voilà ! C’est exactement ce que je dis aux familles, conclut Thomas en se levant. J’ai juste besoin de prendre des cours pour donner l’impression que ça me bouleverse et de rester indifférent au fond de moi pour ne pas devenir fou.
Cécile empila les bols en les cognant entre eux. Elle les posa bruyamment dans l’évier et chercha les yeux de son mari :
— Camille n’a pas besoin d’entendre ça !
Thomas était toujours aussi rieur. Il continuait d’exciter sa fille, menant son petit dialogue comme s’il la poussait sur une balançoire, u n peu plus haut à chaque nouvel élan :
— Camille se marre !
Camille pouffa, provoquant sa mère du regard.
Sans succès. Cécile renonça à la polémique et abandonna, lâchant un soupir désapprobateur.
Thomas énonça joyeusement quelques recommandations à propos de la journée d’école et il sortit de la cuisine sans attendre de réponse. Camille était déjà dans la rue, cartable en main, au moment où l’autobus scolaire lui ouvrit la porte.
I l s’arrêta un instant dans le garage devant la portière de sa voiture. La vitre lui renvoya l’alignement impeccable de sa veste grise aux revers croisés. Il éjecta vers le sol quelques miettes accrochées au tissu. La main tombait avec rectitude, sans rencontrer d’embonpoint. Son œil clair semblait tout contrôler d’avance et ignorer l’hésitation. L’arête tranchante d’un nez aux orifices étroits, et des maxillaires légèrement saillants sous une mâchoire presque imberbe sur lesquels reposaient des joues creuses annonçaient la vivacité de son esprit. Le cheveu court et encore abondant achevait de mettre en valeur sa quarantaine finissante.
Pourquoi sa main au moment d’enserrer la poignée de la portière lui parut-elle si lourde, menaçant de se détacher de son poignet, soudain dégagée de ses obligations, résolue à lui refuser tout concours ? Thomas ramena lentement la paume à la hauteur de son visage, intrigué et inquiet, à peine rassuré de pouvoir compter ses doigts, presque certain d’entendre la voix de madame Dumont dans son dos.
Cette main qui était entrée dans la tête de madame Dumont, qui avait fait mine de la sauver avant la catastrophe, ne savait ni caresser, ni chérir, ni trembler d’émotion. Elle reposait chaque nuit quelques heures dans son lit sans vouloir accompagner les petites agitations du corps de Cécile, incapable de se laisser attirer par sa chaleur parfumée, ignorant les retrouvailles que d’autres savaient dissimuler au creux des étroits chemins du désir.
Elle ne savait pas non plus s’attarder sur les épaules de Camille ou répondre aux agitations de son visage.
Thomas en fit un poing serré, lâcha ses doigts en corolle et en replia les phalanges pour griffer l’air autour de lui. <

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