Je te le devais bien
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Je te le devais bien , livre ebook

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Description

Le présent récit, qui charrie les souvenirs doux-amers de ma mère - des souvenirs plus souvent amers que doux - raconte par petites touches mes parfums d'enfance. Dans mon imaginaire de petite fille, ces parfums avaient les senteurs du jardin d'Eden. Toutefois, la grande Histoire nous a éclaboussés, ma mère, ma famille et moi. Tels des anges déchus, nous nous sommes retrouvés sans transition, non en enfer, mais dans ce monde où les espoirs piétinés hurlent si silencieusement qu'ils en deviennent inaudibles et finissent dans l'abîme de l'oubli...

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2015
Nombre de lectures 50
EAN13 9791090625020
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

FLORE HAZOUME
JE TE LE DEVAIS BIEN...
CIV 502
10 BP 1034Abidjan 10 Email : info@classiquesivoiriens.com
Je te le devais bien
A ma mère A toutes les mères-courage
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Je te le devais bien
Préface
Souvent, la grande Histoire côtoie la petite histoire de nos vies individuelles. A l’intersection des grands bouleversements de ce monde, des cataclysmes naturels, des coups d’Etat, des guerres, des prises de décisions plus ou moins judicieuses de nos politiques, se trouvent nos vies à nous. Des vies simples, communes.
Ces bouleversements dans nos vies ne font pas la une des journaux. Les plus terribles rempliront peut-être la rubrique des faits divers ; les autres, incolores pour le grand public, se contenteront de déchirer silencieusement nos cœurs et de briser sans effusion de sang nos vies et nos âmes.
Le présent récit, qui charrie les souvenirs doux-amers de ma mère – des souvenirs plus souvent amers que doux – raconte par petites touches mes parfums d’enfance. Dans mon imaginaire de petite ïlle, ces parfums avaient les senteurs du jardin d’Eden. Toutefois, la grande Histoire nous a éclaboussés, ma mère, ma famille et moi. Tels des anges déchus, nous nous sommes retrouvés sans transition, non en enfer, mais dans ce monde où les espoirs piétinés hurlent si silencieusement qu’ils en deviennent inaudibles et ïnissent dans l’abîme de l’oubli.
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L’AGE DES HESITATIONS
Je te le devais bien
Temps 1
Laisser derrière soi un pays en feu. Le cœur battant ou étrangement calme. Partir, dit-on, c’est mourir un peu. Mais pour elle, partir rimait avec espoir. Qu’aurait-elle fait sans son époux, sans sa protection ? Et les enfants, qu’en aurait-elle fait ? Elle dont les dix doigts ne savaient qu’aimer et prendre soin de l’homme qu’elle avait choisi de chérir,de respecter ;un homme qu’elle admirait et craignait parfois. Des paroles mille fois entendues lui revenaient à la mémoire : «Il t’a laissé des biens, vends-les ! Cette belle voiture, tu peux la transformer en taxi et te débrouiller avec cela. Rejoindre un homme bloqué en France et qui a perdu sa situation ? Tu ne sais même pas ce qu’il fera de toi. Peut-être qu’arrivés là-bas, il sera incapable de vous nourrir, les enfants et toi. Et il t’enverra dans son pays. Là-bas, dit-on, les gens sont tellement intelligents qu’ils sont ennuyeux à mourir. Leurs femmes sont d’une soumission à en crever. Et puis tes enfants seront élevés à la dure et ils ne connaîtront plus la patrie de leur mère. Ils parleront la langue de leur père, ne connaîtront que la famille de celui-ci. Tu deviendras une véritable étrangère dans un pays étranger, et tes enfants deviendront des étrangers pour toi».
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Je te le devais bien
Que d’avis différents, que de conseils multiples ! A son cœur en lambeaux, à ses longues nuits de veille, ses nuits interminables, terriïantes de solitude, s’ajoutait la responsabilité du choix. Sa vie n’avait été émaillée que de soucis de femmes : trouver un bon mari, faire des enfants, évincer d’éventuelles rivales. Même la mort prématurée de ses parents ne l’avait laissée aussi désarmée, ne l’avait plongée dans un tel effroi, dans un si grand désespoir. Avec sa sœur, à deux, elles avaient pu faire face. La douleur partagée les a tenues serrées l’une contre l’autre et les a protégées des morsures de la solitude. Aujourd’hui, elle devait faire face, seule, à un choix énorme, dramatique, qui pouvait faire basculer des vies.
Jamais elle n’avait pensé avoir à faire face à une telle éventualité, à une telle responsabilité. Son époux, elle avait choisi de l’aimer, de se lier à lui car elle avait espéré qu’auprès de lui, sa vie serait gentiment émaillée de ces petits soucis de femmes, de ces inïmes petites contrariétés qui relèvent de manière aigre-douce le cours d’une existence tranquille et linéaire. Elle avait choisi de l’aimer et lui, il aurait dû être son roc, son donjon infranchissable au pied duquel les plus grandes tempêtes viendraient capituler. Mais le roc avait été surpris par la soudaineté et la violence de la tempête. Brisé, il les avait laissés, ses enfants et elle, sans défense. Que faire à présent ? Fallait-il
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Je te le devais bien
choisir de rester ? Fallait-il se décider à partir vers l’ailleurs, dans cette terre inconnue et lointaine ?
Rester. Oui, rester. La tentation était grande. Ce serait sans doute difïcile sans lui, mais elle était dans son pays, auprès des siens, dans un milieu qu’elle connaissait bien ! Son époux, lui, venait d’ailleurs. Là-bas, en ce lieu où il l’emmènerait, elle serait seule, elle n’aurait que lui, il serait son seul et unique univers, son seul horizon. Ici, dans son pays, elle aurait d’autres recours.
Elle était fort tentée de rester. Rester…Il y avait aussi une alternative : le temps. Laisser le temps choisir pour elle, faire l’autruche. De toute façon, elle ne pouvait quitter le pays. Mise en résidence surveillée, elle n’était pas libre de ses mouvements. L’apparente clémence dont elle était l’objet venait du fait qu’elle était une ïlle du pays. Cela compte, être une ïlle du pays, même si elle était mariée à cet étranger, à ce « pilleur » des biens de l’Etat ! Les enfants qu’ils avaient eus, malgré leur sang-mêlé, étaient tout de même des enfants du pays. Ses enfants et elle ne risquaient rien, ils avaient la vie sauve grâce à cette appartenance. Mais combien de temps cette clémence pouvait-elle durer ? Le peuple est versatile, cela est bien connu. La colère bouillonnait encore dans ses entrailles et pouvait exploser au gré des discours
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Je te le devais bien
haineux des nouveaux dirigeants. Les nouveaux maîtres du pays, face à cette colère, pouvaient livrer en pâture toute personne accusée, soupconnée d’une quelconque atteinte à la sûreté de l’Etat. Ce serait une manière de calmer la furie d’un peuple affamé dont les malheurs, disaient-ils, venaient de ce gouvernement corrompu et déchu.
Que faire ? Tout était si confus, si trouble. Elle avait une amie, le genre d’amie que l’on qualiïe de « plus que sœur », qui semble être née en même temps que vous et qui sait offrir le creux de son épaule lorsque vient le temps des larmes. Une amie dont la présence est familière comme votre propre ombre. Une amie souvent envahissante, mais toujours sincère, qui parle sans détours avec un réalisme froid, avec une cruauté mordante parfois. Une vraie amie qui sait être brutale quand il le faut. Pas pour faire du mal, pas pour ajouter à la douleur de la blessure mais plutôt pour faire avancer, et trouver des solutions. Une amie à qui l’on peut tout dire, que l’on peut rabrouer à souhait, sans honte et sans culpabilité. Cette amie, cette plus que sœur, devant les hésitations de la mère, comprit qu’elle devait la pousser à faire un choix déïnitif. Il lui fallait donc parler haut, parler cru, toucher son cœur, blesser son âme pour faire mourir les doutes que des paroles hypocrites avaient si bien distillées dans son esprit fragilisé. Cette amie trouva les mots
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pour la bousculer, la fâcher, la mettre devant ses responsabilités de femme et de mère. «Penses-tu, lui dit-elle en la Ixant droit dans les yeux, que tous ces bons conseillers qui remplissent ton salon viennent compatir à ta douleur, partager ton angoisse ? Ton époux, si puissant il y a quelques jours, ne peut revenir au pays : sa tête est mise à prix. Devenu un des hommes les plus puissants, le voilà à jamais banni du pays qui l’a adopté et adulé, le pays qui lui a tant donné. Et toi son épouse réduite, si tu ne prends pas la bonne décision, si tu souhaites vivre d’expédients, à être la proie de tous ces hommes jaloux et envieux de ton mari et qui bavaient sur ta beauté. Ils se feront un plaisir de te mettre dans leur lit pour humilier ton mari. Ils te possèderont avec la hargne et la rage de ceux qui assouvissent leur rancune, leur aigreur… Et puis, pense à tes enfants ! Même si tu avais les moyens de les élever, dans quelle école iront-ils ? Quel directeur d’école osera prendre dans ses classes les enfants qui portent le nom d’un des hommes les plus recherchés du pays ? Crois-moi, ma sœur, va là où ton mari te dira d’aller ! Va et ne regarde pas en arrière !»
Ces mots crus, lâchés comme un couperet, transpercèrent l’âme de la mère. Son amie avait raison. Que répondre face à cette vérité froide,glaciale et sans appel ? Elle devait prendre la bonne décision, ne
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plus hésiter. Elle avait été convaincue. Elle se savait convaincue mais…Il y avait toutefois un « mais » insidieux. Un « mais » sorti de nulle part qui vous empêche d’avancer et de prendre la bonne décision. Ce fut une lettre de son époux parvenue à elle après bien des détours, bien des chemins secrets et complexes, qui brisa ses dernières peurs. Son épouxavait écrit ces mots : «Crois-moi, mon cœur, si les enfants et toi ne venez pas me rejoindre, je rentrerai au pays, dans ce pays qui m’a tout à la fois adulé, craint, courtisé et qui, aujourd’hui, est avide de mon sang et je me livrerai aux autorités. Je préfère affronter une mort certaine que de vivre ici, loin de vous, sans vous. Vous êtes, les enfants et toi, ma force et ma raison de me battre».
Elle ne savait pas lire. Peu d’enfants de son époque, en particulier les ïlles, avaient eu la chance d’aller à l’école. Pour les parents, les ïlles naissaient pour être des épouses et des mères ; elles n’avaient donc pas besoin de passer par l’école pour savoir comment tenir une maison et élever les enfants…Tenant la lettre entre les mains, la mère était traversée par une douleur muette : elle se sentait misérable et honteuse. Elle remit à sa ïlle la lettre écrite par son époux et qui révélait, sans fard, sa vulnérabilité. En lisant la lettre, la voix de sa ïlle trembla légèrement. Elle fut tentée d’arrêter mais sa mère, les yeux baissés, lui
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