La bande des Pieds Nickelés T3 Romans
125 pages
Français

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La bande des Pieds Nickelés T3 Romans , livre ebook

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Description

Réédition des romans des Pieds Nickelés

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 mai 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782375040454
Langue Français
Poids de l'ouvrage 11 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Pieds-Nickelés, réservistes malgré eux, étaient partis pour les manœuvres. Les « poilus » s'appuyaient bravement des potées de kilomètres et pour chasser les cailloux avec plus d'entrain, ils braillaient à plein gosier leurs plus joyeux refrains. Croquignol lui-même, emballé par la belle humeur des intré-
pides biffins, ne laissait pas sa part aux autres et d'une voix adorablement fausse, il faisait sa partie dans le chœur des troupiers ainsi qu'un simple troubade. En queue de la colonne, Ri-bouldingue, aux pieds sensibles, ne partageait point le martial enthousiasme de ses cama-rades. Il suivait péniblement, harassé sous le poids du sac et accablé par la chaleur. A le voir ainsi déambuler, ruisselant de sueur, on l'aurait pris volontiers pour un compte-gouttes baladeur chargé d'arroser la poussière de la route. « Allons, allons, vociférait Filochard, qui suivait à cheval par derrière, qui m'a fichu un traînard pareil ! C'est pas du sang mais d'l'eau d'vaisselle qu'on vous a infusée dans les aba-tis... Si ça n'fait pas pitié de vous voir avancer avec la grâce d'une limace paralysée ! Bon sang de malheur ! Mettez-y un peu plus
d'énergie, que diable ! Allons, du courage, pour allonger les guibolles. « Est-ce que je me plains de la fatigue, moi ?... » Malgré l'iro-nique encouragement que Filochard lui prodi-guait, Ribouldingue, à bout de forces et d’énergie, renonça à aller plus loin et se laissa tomber sur une des bornes kilométriques ja-
lonnant la route, en gémissant : « Zut ! Quel sale fourbi ! J'ai les abatis en caramel mou... Pour peu que ça continue j'aurai les abatis
usés jusqu'aux genoux... » Affalé sur sa borne, Ribouldingue maudissait l'injustice du sort quand au loin, sur la route, il aperçut
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Manounou qui rappliquait en poussant sa voiturette. « Chouette ! s'écria Riboul-dingue subitement réconforté, voilà qui va bien faire mon affaire ! » Lorsque sa femme vint à passer devant lui il l'invitaà stopper un instant, puis, sans plus de façons, il s'installa confortablement dans la poussette et se fit véhiculer jusqu'à l'étape en rigo-lant : « J'en ai assez roulé pour ma part... c'est bien à mon tour d'être roulé ! » Ma-nounou, affligée de ce supplément de ba-gage, était loin de partager sa manière de voir. Lorsque Ribouldingue, ainsi véhiculé, atteignit l'étape, il eut la guigne de tomber juste devant le général de division accompa-gné de plusieurs officiers. A la vue de ce singulier équipage, le général stupéfait s'ex -clama : « Depuis quand les fantassins se permettent-ils des moyens de locomotion réservés seulement aux invalides ? » Riboul-dingue, à cette occasion, se fit flanquer un de ces suifs qui n'était pas piqué des mous-tiques... Heureusement pour lui, le général était de bonne humeur et Ribouldingue, qui craignait d'avoir déchaîné la tempête, en fut quitte pour la peur. Quant à la courageuse Manounou, elle n'avait pas perdu son temps ! Aussitôt arrivée à l'étape, elle s'était empressée d'installer sa marchandise
et n'avait pas eu besoin de crier : « A la glace ! Qui veut boire ? Il est frais, le coco ! » pour voir sa voiturette prise d’as-saut par une foule de troupiers impatients de se désaltérer et d'arroser leur gosier des-séché par la poussière avec cette boisson, qui pour n'être point capiteuse, se réclamait de qualités hygiéniques et rafraîchissantes,
sans parler de la modicité de son prix qui la mettait à portée de toutes les bourses. C'est pourquoi les plus rupins parmi les marche-à-pied pouvaient se permettre d'offrir des tournées sans avoir à redouter que cette prodigalité les fît pourvoir d'un conseil ju-diciaire. Ribouldingue prêtait assistance à son épouse. Il avait retiré sa capote, ceint un ta-blier bleu et agitait frénétiquement une son-nette en clamant à haute et intelligible voix toutes les denrées solides et liquides conte -nues dans la poussette afin d'attirer la clientèle et de décupler le chiffre d'affaires de la commerçante Manounou. Le tapage assourdissant qu'il faisait at-tira l'attention du colonel qui s'approcha de la voiture afin de se rendre compte de ce qui se passait. « Qu'est-c’que vous fichez là ? hurlait-il en s'adressant à Ribouldingue. Vous croyez-vous à la fête de Neuilly ? Sau-rez que vous n'êtes pas aux manœuvres pour faire la parade... Fermez votre boîte illico si vous ne voulez pas que je vous y fourre. » Cette apostrophe navra le mari de Ma-nounou, qui en fut tout marri. « Quelle dé-goûtation de métier ! fulminait-il, si on n'a même plus le droit de vendre un peu de ca -
melote à l'heure où les affaires et le com -merce sont dans le marasme... » Pour comble de malchance ce fut encore lui qui fut désigné pour monter la faction devant la tente du colonel tandis que ses camarades se reposaient de leurs fatigues en fumant, blaguant et rigolant. « Naturellement, grom-melait-il, c'était sur moi que cette sale cor-
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vée devait tomber... Tandis que les autres tirent leur flemme ou culottent leur bouf -farde, il faut que je reste là avec un flingot dans les pattes. » Quelques jours plus tard, au cours des manœuvres, Croquignol, Ribouldingue et Filochard se rencontrèrent sur la route. Croquignol et Ribouldingue constatèrent avec un étonnement panaché de satisfaction que le sous-lieutenant Filochard, abdiquant momentanément tout sentiment de hiérar-chie, s'avançait vers eux, la main tendue en les saluant d'un cordial « Bonjour, les
amis ! » « Eh bien, quoi ? On ne se serre donc pas la pince ! Poursuivait-il en s'amu-sant de leur stupéfaction. Tenez, pour vous prouver que je ne suis pas si rosse que vous pourriez le supposer, je vous exempte de service tous les deux jusqu'à la fin des ma-nœuvres. Montez avec moi dans le four-gon. » Sans se faire prier, Croquignol et Ri-bouldingue s'installèrent dans la voiture d'ambulance et y passèrent tout le temps que durèrent les manœuvres. Lorsque les manœuvres furent termi-nées, le régiment rentra au quartier. Les trois amis, dont la période d'ins-truction touchait à sa fin, étaient arrivés à la veille de leur libération. Le lendemain, ils furent déshabillés et désarmés. « Enfin ! Ça y est ! Vrai, c'n'est pas trop tôt ! » s'écrièrent-ils en chœur. La joie et la déli -vrance avaient passé l'éponge de l'oubli sur l'ardoise de la rancune et ce fut sans la moindre arrière-pensée que le trio s'en alla cimenter gaiement son indéfectible amitié sur le zinc de la cantine. Puis, quand sonna
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l'heure de la libération, Croquignol, Riboul-dingue et Filochard, heureux de se retrou-ver enfin libres, quittèrent le quartier en faisant un raffut fantastique accompagné d'un chahut ultra fantaisiste. Manounou les attendait chez un bistro du patelin. Ils la re-joignirent et trinquèrent une dernière fois avant de reprendre le train qui devait les ra -mener tous ensemble à Paris.
Le quatuor, le cœur en joie, célébra ce beau jour par des libations variées. Les tournées succédaient aux tournées, si bien que le bénéfice réalisé sur la recette du coco vendu par Manounou durant les ma-nœuvres fut liquidé — si j'ose m'exprimer ainsi — avant la nuit. C'est dire que le qua -tuor, quand il quitta le cabaret, avait perdu son centre de gravité. Bras dessus bras des-
sous pour assurer leur équilibre instable, ils prirent la direction de la gare en décri-vant de capricieux zigzags. Les spiritueux absorbés les avaient mis en voix et ils braillaient à pleins poumons un chœur dans lequel chacun poussait un refrain différent, ce qui produisait une cacophonie épouvan-table dont s'amusaient les naturels de Grat-tez-y-les-Arpions. Lorsqu'ils débarquèrent assez tard à la gare du Nord, les Pieds-Ni-ckelés, en raison de leur cuite, eurent beau-coup de mal à retrouver leur perchoir. Aus-sitôt rentrés dans leurs pénates, ils se glis-sèrent dans leurs lits et, terrassés par l'ivresse, ne tardèrent pas à ronfler à poings
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fermés, comme une colonie de marmottes. Reposés par douze heures de sommeil, ils se réveillèrent frais et dispos, avec un soup-çon de pitchpin dans la mâchoire. « Allons rendre visite à nos étudiants, proposa Cro-quignol ; ils seront enchantés d'apprendre le service que nous leur avons rendu. » Deux heures plus tard, ils sonnaient à la porte de leurs ci-devant victimes. Au coup de sonnette, un des étudiants chuchota : « Il n'y a guère qu'un créancier qui soit capable de venir nous voir avant déjeuner... si on lui glissait un papier sous la porte pour l'infor-mer que nous sommes sortis ? » Au troi-sième coup de sonnette il se décida pour-tant à aller ouvrir. En voyant entrer chez eux les trois indi-
vidus qui les avaient précédemment ficelés pour disparaître ensuite d'une façon mysté-rieuse, les jeunes gens ne purent réprimer une exclamation de surprise. « Ben oui, c'est nous, avouait cyniquement Croqui-gnol, hein ? Ça vous la coupe... » Et resti-tuant leurs livrets militaires ainsi que leurs papiers aux étudiants il ajoutait : « Tenez, v'là vos papiers qu'on vous rapporte. » Ceux-ci, qui n'avaient pas eu l'occasion d'en constater la disparition, furent littéra -lement ahuris quand Ribouldingue leur conta la méprise dont eux, les Pieds-Nicke-lés, avaient été les victimes. Ils n'en pou-vaient croire leurs oreilles et se gondolèrent comme des glaces de Venise en s'esclaffant : « Ah ! Quelle drôle d'aventure ! Vous avez eu la gracieuseté de tirer 21 jours à notre place ! On n'est pas plus aimable et nous vous en sommes très obligés... Pour la
peine nous allons vider un litre ensemble. Voici justement un kilo d'aramon qui se fait vieux parce que tout seul ; il n'en sera que meilleur. » La vénérable fiole débouchée, ils trinquèrent joyeusement tous les six. Lorsque le litre fut séché jusqu'à la dernière goutte, Ribouldingue, Croquignol et Filo-chard, n'ayant aucun motif pour prolonger davantage leur visite, prirent courtoisement congé de leurs hôtes, ces accommodants lo-cataires du sixième. « Ben, vous savez, dé-clarait Filochard en descendant les esca-liers, ces gens-là, c'est des bath types. — Tu l'as dit, bouffi, approuvait Croquignol, et maint'nant qu'nous les connaissons j'suis content qu'nous n'ayons rien dégoté chez eux qui vaille la peine d'être barboté... ç'au-
rait été dommage... » Si le trio des Pieds-Nickelés pouvait s'estimer heureux d'avoir reconquis sa liber-té, en revanche cette liberté ne suffisait pas à son bonheur. Ribouldingue en exposa suc-cinctement la raison. « La liberté, ricanait-il, c'est très joli, mais la galette m'est avis qu'c'est pas à mépriser. Et comme à nous tous nous ne possédons en caisse qu'un sou démonétisé, faudrait voir, si nous voulons manger aut' chose que du vent, à dégoter la fine combine. Débrouillez-vous de vot' côté pendant que j'vais fouiner du mien. » Le soir même, Ribouldingue, qui était sorti seul en quête d'une bonne occasion, fit sur le boulevard la rencontre d'un bon villa -geois à la figure naïve qui l'aborda fort civi -lement en disant : « Pardon, excuse, mon bon monsieur, ça s'rait-y un effet d'vot' complaisance de m'indiquer où c'que s'trou-
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vions la rue Vide-Gousset. — Rien d'plus fa-cile, mon brave homme, répondit Riboul-
dingue. La rue Vide-Gousset, comme son nom l'indique, se trouve exactement placée entre la Banque et la Bourse. Comme vous n'avez pas l'air d'être de la paroisse, je me ferai un plaisir de vous y conduire... Votre bobine m'est sympathique... faites-moi un autre plaisir : celui de trinquer ensemble ? Vous êtes bien honnête » répliqua le paysan enchanté de boire un verre à l'œil. Chez le bistro, la conversation s'enga-gea. Au bout de vingt minutes les deux consommateurs étaient les meilleurs amis du monde, et Ribouldingue, qui pratiquait en virtuose le coup du « vol à l'américaine » semait le crédule villageois après l'avoir soulagé de son porte-monnaie qui semblait sérieusement et métalliquement capitonné en espèces sonnantes et trébuchantes. Satis-fait de son opération, Ribouldingue courut après un omnibus, s'engouffra dans l'inté-rieur et, quelques instants plus tard, sans s'inquiéter de sa victime qui l'attendait tou-jours chez le mastroquet, il rejoignait ses copains en jubilant : « Ah ! Les poires ! Les bonnes poires ! Si ça continue comme ça, vous parlez, qu'on va s'appuyer une récolte épastrouillante. » Après ce court préambule il fit part de sa bonne aubaine à Croquignol et Filochard. Les trois compères firent ensemble l’in-ventaire de la bourse : elle était abondam-ment lestée d'or. Les Pieds-Nickelés, après avoir tenu conseil, décidèrent de louer une boutique pour trois mois. Ce laps de temps
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leur était aussi indispensable que la bou-tique pour mettre à exécution la mirobo-lante combinaison, fruit de leur inépuisable imagination. Cette combine avait pour base l'organi-sation d'une loterie. De grandes affiches placardées partout, mais principalement sur la boutique, annoncèrent que devait avoir lieu très prochainement le tirage de la « Grande Loterie » dont les lots aussi nom-breux que merveilleux devaient faire la joie, l'aisance et même la fortune de ceux qui en seraient les heureux gagnants. Il y avait de quoi contenter les plus difficiles car au nombre des gros lots figurait une villa toute meublée avec parc et rivière, d'une valeur de cinquante mille francs. Des autos de luxe, des colliers de perles, des services d'argenterie, des bijoux, des costumes, des mobiliers complets, des voyages en aéro-plane, etc. Les photographies des princi-paux lots étaient exposées aux vitrines de la boutique. Les effets de cette alléchante publicité ne se firent pas attendre. A peine ouverte, la boutique fut assaillie par une telle foule de gogos qui se bousculaient, s'écrasaient pour acheter des billets, que les Pieds-Ni-ckelés, en présence d'une telle affluence, té-léphonèrent au commissariat voisin pour demander qu'on organisât d'urgence un ser -vice d'ordre. Croquignol et Filochard dé-taillaient les billets, cependant que Riboul-dingue recevait la galette. Jamais loterie ou tombola, avec ou sans pochette, n'avait pro-voqué pareil engouement. En moins de quinze jours, les Pieds-Nickelés, qui n'au -raient jamais osé prévoir un si formidable succès, encaissèrent une quantité prodi-gieuse de pièces de cinq francs, de louis et de billets de banque. Enfin, l'instant solen-nel du tirage arriva. « Ah ! Ah ! Ah ! fit le trio en chœur, c'est à présent qu'il faut faire prendre l'air à notre petite combine ! » Le matin du jour où devait s'effectuer le tirage de la grande loterie organisée par les Pieds-Nickelés, une foule de plusieurs mil-liers de personnes stationnait devant la boutique. Seuls, les privilégiés, c'est-à-dire les premiers arrivés, avaient pu s'entasser dans l'étroit local pour assister au tirage. Quant aux autres porteurs de billets, ils at-
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tendaient dehors la sortie de leur numéro et chacun, en son for intérieur, caressait l'es-
poir que son numéro lui ferait gagner le gros lot. A dix heures, exactement, les organisa -teurs annoncèrent qu'ils allaient procéder au tirage de la loterie et réclamèrent le si-lence qui seul permettrait d'entendre l'appel des numéros gagnants. Ce soin incombait à Filochard qui était pourvu d'une voix clai -ronnante ; quant à ses deux associés, ils trô-naient devant une table recouverte d'un ta-pis vert sur laquelle était placée la boîte renfermant les numéros. Au fur et à mesure que Filochard criait un chiffre, une main brandissait joyeusement le numéro sorti, ce-pendant qu'une voix rauque d'émotion gla-pissait : « Par ici ! » A l'encontre de bien des loteries, celle des Pieds-Nickelés comp -
tait un nombre prodigieux de gagnants. A chacun de ces favorisés de la chance, de ces
heureux veinards que la foule contemplait d'un air envieux, Croquignol délivrait un
bon mentionnant le lot attribué au gagnant et l'endroit ou le magasin chez qui il n'au-rait qu'à se présenter pour en prendre pos -session. Le gros lot, représenté par la villa avec parc d'une valeur de cinquante mille francs, fut gagné par M. Valentin Pruneau, retiré des affaires. Rien ne saurait décrire l'expression de bonheur qui rayonna sur sa face quand il apprit que c'était à lui que ve-nait d'échoir le gros lot. Il faillit se trouver mal de joie. Le lendemain même, muni de son bon, il venait s'installer avec son mobi-lier dans la villa qu'il était impatient d'habi-ter. Elle était située à Bécon-les-Bruyères et Croquignol lui avait remis en même temps que le titre de propriété une carte mention-nant l'endroit de la localité où elle se trou -
vait édifiée. Valentin Pruneau n'en revenait pas d'avoir été l'heureux gagnant de la vil-
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la... une villa ! « Ah ! s'exclamait-il, en faisant, tout guilleret, le tour du propriétaire ; on a beau dire, mais quand on a d'la veine, c'est autre-
ment épatant que quand on en a pas... Qui qu'aurait pensé seul'ment hier qu'avec mes cent sous je gagnerais censément un châ-teau ? » Le lendemain de son installation, Pru-neau achevait son petit déjeuner dans la salle à manger lorsqu'un violent coup de sonnette le fit soudain sursauter. « Des vi-sites, et des visites de tapeurs, sans doute, fit-il en esquissant une moue de mauvaise humeur. S'ils viennent pour me féliciter ils tombent mal... C'que j'te vais les visser ! » Et ce disant, il se dirigea vers la porte du vestibule. Au même instant cette porte, s'ouvrant, livrait passage à un robuste gaillard coiffé d'une casquette de voyage et portant une valise à la main. L'inconnu pé-nétra dans le vestibule avec un sans-gêne qui révolta Pruneau. « Après qui demandez-vous ? dit-il en s'adressant au visiteur qui n'avait pas l'air à moitié stupéfait. Si c'est après moi, faites-moi le plaisir de ficher le camp. Je n'aime pas qu'on entre chez moi comme dans un moulin... » A peine ache-vait-il cette aimable réflexion que l'incon-nu, soulevant Pruneau par les épaules, d'un formidable coup de pied dans le derrière l'envoyait rouler dans le jardin en gromme-lant : « Qu'est c'que c'est encore que cet abruti-là ? Je le trouve installé dans ma vil-la et agissant tout comme s'il était chez lui.... En vérité pour du culot, c'est un rude culot ! » En présence de cette révélation, Pruneau, penaud, faisait triste figure et ne
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savait plus quoi répondre. Quant au véri-table propriétaire de la maison, furieux de la réception qu'on venait de lui faire, il s'y prit sans façons avec celui qu'il considérait comme un intrus et, prenant à la brassée tout ce qui lui tombait sous la main en fait de mobilier ou d'articles de ménage qu'il ne reconnaissait pas comme lui ap-partenant, il le balança sans hési-tque l'in-er par la fenêtre... Ce fortuné Pruneau en faisait une sale tête ! Il s'apercevait un peu trop tard qu'il avait été victime des Pieds-Nickelés et que ces der-niers avaient eu l'aplomb de lui octroyer comme gros lot une villa d'où le propriétaire se trouvait ab-sent au moment du tirage. Hélas ! Son bon-heur avait été de courte durée et du jour au lendemain sa fortune se changeait en dé-sastre. Mais Pruneau n'était pas la seule victime de cette colossale escroquerie. Tous les gagnants étaient logés à la même enseigne. Celui à qui avait été attri-buée l'automobile de luxe, rendant grâce à la fortune qui daignait lui sourire, se pré-
senta l'air joyeux et son bon à la main chez le constructeur qui devait la lui livrer. Ce-lui-ci examina successivement le bon ainsi que celui qui en était le porteur. Puis, esti -mant qu'il avait plutôt l'air d'un mystifié que celui d'un mystificateur, il lui répondit ironiquement : « Cher monsieur, il y a cer-tainement erreur et je ne sais pas ce que vous voulez dire... En tout cas, l'auto que vous venez me réclamer a beaucoup plus de ressemblance avec un bateau... Vous êtes à coup sûr la victime d'un aimable fumiste... »
12LA BANDE DES PIEDS-NICKELÉS
L'heureux gagnant s'aperçut alors avec désolation qu'il n'aurait jamais son auto
qu'en rêve et que d'audacieux escrocs avaient indignement abusé de sa crédulité.
Cette détestable filouterie lui coûtait un louis, sans compter d'autres frais beaucoup
plus onéreux faits en prévision du gros lot qu'il croyait si bien toucher.
Furieux et désappointé, il prit congé du constructeur en annonçant qu'il allait de ce pas porter plainte. Quant à la foule, ô com-bien nombreuse ! De tous ceux qui avaient gagné des lots à choisir dans divers maga-sins, leur dépit ne fut pas moindre en constatant qu'ils avaient été refaits par de madrés filous et qu'ils en étaient pour leur billet et leur déplacement. Un jeune sportsman, entre autres, fut particulièrement affecté par cette cynique escroquerie. L'ambition de toute sa vie avait été de posséder un cheval que les cent francs d'appointements mensuels qu'il tou-chait ne lui permettaient point d'acquérir. Vous voyez d'ici sa joie en apprenant que son billet lui avait gagné le coursier de ses rêves ! Guêtré et culotté de neuf... il se ren -dit à l'adresse indiquée pour prendre livrai-son de son pur sang. Oh ! Ironie... Putréfac-tion ! Désillusion amère ! L'adresse donnée par les organisateurs de la loterie, ces lous -tics de Pieds-Nickelés, était celle d'un fabri -cant de chevaux de bois ! Ah ! L'infortuné cavalier ! Ce que son nez passé au laminoir du désappointement s'allongea... C'est rien de le dire... Avouez qu'il fal -lait vraiment être dénué de tout scrupule pour se payer non seulement la galette mais encore la bobine de ses victimes ! Celles-ci, quelques jours plus tard, assiégèrent en foule la boutique dont les Pieds-Nickelés avaient fait le siège social de leur loterie. La manifestation tournait à l'émeute. Tous les
dupés, la rage au cœur, ne parlaient rien moins que de mettre le feu à la boutique, ce
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