La bande des Pieds Nickelés T4 Romans
124 pages
Français

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La bande des Pieds Nickelés T4 Romans , livre ebook

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Description

Réédition des romans des Pieds Nickelés

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 mai 2021
Nombre de lectures 2
EAN13 9782375040904
Langue Français
Poids de l'ouvrage 9 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Filochard lisant le journal s’écria : « Eh ! Les copains, v’là encore une nouvelle combi-naison à exploiter. C’est un type qui habite la banlieue où il rapplique tous les soirs et dont les affaires sont à Paris. Il demande un bon chien de garde pour coucher dans son bureau
pendant son absence... Eh ! Croquignol, toi qu’as le chic pour aboyer, v’là une occasion de faire le cabot qui va remettre du beurre dans nos épinards, si ça te chante. » Croquignol ayant déclaré qu’il était prêt à faire tout ce qu’il faudrait du moment que c’était profi-table à l’association, on le fit d’abord désha-biller. Il fut ensuite revêtu d’un maillot col-lant que l’on enduisit d’une forte couche de colle. Sur cette colle, Ribouldingue et Filo-chard fixèrent la laine empruntée à l’un des matelas de leur logeuse. Ils le firent avec tant d’adresse, que leur ami, au bout de quelques instants, ressembla, à s’y méprendre, à un vé-ritable chien mâtiné caniche et cochon d’Inde. Pour compléter son déguisement, on l’affubla d’une tête de chien articulée. « Ah ! Mon vieux, s’exclamait Ribouldingue, si tu voyais comme t’es bath, chouette et rupin ! Avec beaucoup de myopie et de bonne volonté à la
clé, tu as tellement la ressemblance d’un cabot que si on te conduisait à l’exposition des sacs-à-puces, tu serais certain d’y dégoter le pre-mier prix ! »
Lorsque Croquignol fut ainsi transformé, il endossa un vaste et long pardessus dissimu-lant son déguisement. Puis, ayant mis sous son bras sa tête articulée pour ne point attirer l’attention des passants qui auraient pu s’étonner de cette mascarade qui n’était pas de saison, il sortit en compagnie de Riboul-dingue pour se rendre à l’adresse indiquée sur l’annonce. Dans la rue, ils prirent une voiture et se firent conduire chez M. Duballot. C’était l’agent de change qui avait demandé par l’an-nonce publiée dans le journal, à acheter un so-lide chien de garde. Arrivés à l’adresse de M. Duballot, Ribouldingue et Croquignol péné-trèrent dans l’immeuble. Une plaque de marbre fixée à la porte leur disait à quel étage était son appartement. Ils prirent tous les deux l’ascenseur et Croquignol en profita pour opérer un changement de décor, c’est-à-dire qu’il retira vivement son pardessus et se coiffa de sa tête articulée. « Maintenant que tu es prêt, fit Ribouldingue, souviens-toi que tu
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t’appelles Sultan. Attention ! Je sonne. » Un employé vint lui ouvrir et s’étant informé de ce qu’il désirait, il l’introduisit auprès de son patron. « Monsieur, déclara Riboul-dingue, avec une aisance parfaite, j’ai lu l'annonce que vous avez fait paraître dans les journaux. J’avais justement un chien de garde à vendre ; je l’ai amené. Voilà l’cabot, r’luquez-moi un peu c’t’animal. Il n’a pas son pareil pour la vigilance et la fidélité. Pour les cambrioleurs, c’est le plus redou-table adversaire. Y a pas de danger qu’il en rapplique un quand il sera dans l’apparte -ment. Avec lui, vous pouvez rentrer tran-quillement chez vous et dormir sur vos deux oreilles. Je vous le céderai pour cent francs... Ce n’est pas vendu, c’est donné. » Sans marchander, l’agent de change allon-gea un billet de cinq louis à Ribouldingue et s’en rendit acquéreur. Quand celui-ci fut parti, Duballot combla le chien de caresses afin de l’habituer à connaître son maître. Le soir venu, il se disposa à quitter ses bureaux pour regagner la villa qu’il habitait en ban-
lieue. « Le bon toutou à son maître va bien garder la maison, hein ? lui recommandait-il avant de partir. Surtout ne laisse pas entrer les voleurs ! » Après lui avoir donné cette ul-time consigne, il enferma à clef Sultan-Cro-quignol dans son bureau et, complètement rassuré, s’en alla prendre son train ! « Avec un chien de garde comme celui que je viens d’acheter, jubilait-il, gare aux cambrioleurs qui seraient malavisés pour s’introduire la
nuit dans mes bureaux, tandis que je n’y suis pas. » Dès que l’agent de change eut fermé la porte à clé, le premier soin du chien de garde fut de se débarrasser de sa tête en carton. « Ouf ! faisait-il en poussant un soupir de sou-lagement, il était grand temps qu’il file, le poi-lu, je commençais par en avoir plus que soupé de cette bouillotte supplémentaire... J’aurais fini par étouffer, là-dessous !... Et maintenant, mettons-nous dare-dare au turbin ! » Sans crainte d’être dérangé, il explora minutieuse-ment les bureaux, fit main basse sur le conte-nu du coffre-fort qu’il venait de crocheter. Puis, lorsque la nuit fut venue, il sortit de l’appartement dont il crocheta également la serrure de la porte d’entrée et s’esquiva sans être inquiété, lesté du butin produit par son cambriolage. Quand le lendemain, Duballot pénétra dans ses bureaux mis au pillage et qu’il constata la disparition de sa caisse et de
son chien, s’il ne s'arracha point les cheveux pour manifester son désespoir, c’est tout sim-plement parce qu’il ne lui en restait plus. « Mon chien était trop doux ! se lamentait l’agent de change. Les cambrioleurs qui sont venus opérer cette nuit en l’amadouant en ont eu facilement raison et l’ont emmené avec eux. J’en achèterai un autre, mais ce sera un chien féroce qui ne connaîtra que moi, son maître. D’ailleurs, je le dresserai en consé-quence. » Lorsque Croquignol, de retour au logis, ra-conta son expédition et partagea la galette dé-robée avec ses copains, ceux-ci jubilèrent : « Bravo ! Voilà ce qu’on appelle un coup bien
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réussi et qui rapporte davantage que les distri-buteurs automatiques. » Après quoi, ils firent en compagnie de Manounou une bombe fan-tastique car un succès aussi triomphal deman-dait à être largement arrosé. Le lendemain, Fi-lochard, parcourant le journal, fut très surpris d’y retrouver la même annonce. « Eh ! Les po-teaux, c’est épatant... Y a Duballot qui de-mande encore un cabot pour garder sa taule ! Faut-y qu'il en ait, une santé ! — Ça tombe à pic, répliqua Ribouldingue. On va r’biffer en lui proposant un autre cabot. Turell’ment ça s’ra pas le même et ce sera au tour de Filo-chard de le conduire, car si c’était moi, il y au-rait des chances pour que je sois reconnu.
Mon vieux Croquignol, va falloir que tu t’y colles encore une fois... D’abord, y a qu'toi qui es capable de faire le clebs. » Croquignol fut donc une seconde fois transformé en tou-tou. Mais au lieu de lui coller de la laine sur le corps pour le transformer en caniche, Riboul-dingue fit appel à ses connaissances picturales et son pinceau manié d’une main avertie trans-forma le Pied-Nickelé en danois moucheté. « Alors, c’est convenu, décida Filochard, c’est moi qui te conduis. Seulement, comme les da-nois mouchetés c’est des cabots qui valent beaucoup plus cher que les cabots ordinaires, pour ne pas te déprécier, je lui demanderai deux cents balles au frère... C’est rare s’il ne marche pas. — Allons-y, répondit Croqui-gnol... » Accompagné par Filochard, il sortit. Comme la première fois, le simili danois et ce-lui qui le conduisait sautèrent dans un fiacre qui, vingt minutes plus tard, les déposait l’un et l’autre devant l’immeuble habité par l’agent
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de change. « Prenons l’ascenseur, commanda Croquignol qui connaissait la maison. Tu l’ar-rêteras au troisième ; c’est là que perche le type ! » Filochard se conforma aux indications de son complice et, sur le palier du troisième étage, sonna à la porte de M. Duballot. Quand Filochard fut introduit avec Cro-quignol chez M. Duballot, il fut reçu par l’agent de change en personne. « Monsieur, lui
dit-il, je viens de lire votre annonce et comme j’ai un chien danois de toute beauté à vendre, je suis venu vous le proposer... Voilà le cabot ! Vous voyez que ce n’est point un de ces mi-nuscules roquets que l’on peut porter au choix soit en breloque, soit en épingle de cravate. » M. Duballot ayant examiné le chien en ques-tion demanda : « Combien en voulez-vous ? — Deux cents francs », répondit Filochard sans bégayer. Il ajouta : « Autant dire que c’est donné car c’est un chien de pure race qui a été primé à l’exposition canine. » M. Dubal-lot, qui n’y connaissait rien du tout, coupa dans le boniment du vendeur et fit l’acquisi-tion de l’animal. Filochard ayant empoché les deux billets bleus quitta l’agent de change ravi de son emplette et laissa Croquignol dans le bureau de son nouveau maître. Duballot, tout en considérant le pseudo-danois, eut une idée qui lui sembla tout sim-plement mirobolante. « Le dernier chien que j’ai acheté, convenait-il, était trop doux. C’était un vrai mouton et les cambrioleurs n’ont éprouvé aucune difficulté pour l’appri-voiser et l’emmener avec eux. Avec celui-ci, ce sera une autre paire de manches ! Je vais le dresser de façon à ce qu’il ne se laisse pas ap-procher par ces bandits s’il s’en présente. » A
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l’appui de cette réflexion, l’agent de change attacha le « danois » au pied de son bureau en
lui recommandant de rester bien tranquille pendant son absence. Ceci fait, il pénétra dans un cabinet situé à côté de la pièce où il se trouvait et décrocha la casquette ainsi que le foulard de son garçon de bureau. Il mit cette coiffure usagée sur sa tête, noua « à la flan » le foulard autour de son cou puis, ayant relevé le col de sa jaquette et s’étant donné, autant qu’il était possible, l’air d’un apache, il s’arma d’une trique qui traînait dans un coin et s’ap-procha à pas de loup du chien accroupi près de la table. « Attends, mon vieux, ricanait-il, j’ai un excellent et radical moyen de te dresser on t’inculquant la haine des apaches, cambrio-leurs et autres coquins de même acabit. » Brandissant alors sa matraque, il se mit à ad-ministrer une magistrale bastonnade au mal-
heureux cabot qui était bien loin de s’attendre à pareille correction, et pour montrer qu'il
n’appréciait pas du tout cette méthode de dressage, d’un bond terrible, il se leva et ou-vrant une gueule menaçante, il se précipita sur M. Duballot, entraînant avec lui le bureau et tout ce. qui se trouvait dessus. Encriers, dos-siers, plumiers, presse-papier, etc..., tout fut projeté à travers la pièce. Quant à l’agent de change qui venait de recevoir un phénoménal coup de patte en pleine figure, il n’avait pas eu le temps de voir ce qui lui arrivait. Étourdi et à moitié aveuglé par la violence du coup, il
s’était affalé tout de son long sur le parquet. Croquignol qui avait sur le cœur et dans les côtes les coups de matraque de ce dresseur modern-style en profita pour lui faire encais-ser à son tour une pâtée grand format. Après quoi, il prit la fuite, emportant comme souve-nir le portefeuille de M. Duballot qui était tombé de sa poche au cours de cet énergique massage. « Au diable soit le rôle de cabot ! » grommelait Croquignol dont la personne se ressentait des coups de matraque qu’il avait reçus. Au bout d’un moment, Duballot revint à lui. Il avait l’œil poché, des meurtrissures par tout le corps ; ses vêtements étaient en loques et il ne se rappelait plus ce qui s’était passé. En cherchant son chien, il ne trouva que la tête en carton oubliée par Croquignol et cette découverte acheva d’embrouiller la troublante énigme dont l’infortuné agent de change re-nonça à trouver la clé. Attablés tranquillement chez eux, Riboul-dingue, Filochard et Manounou attendaient les événements en vidant quelques litres à la santé de l’absent. Filochard avait réussi à
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vendre à Duballot le danois-Croquignol mais ce dernier ne pouvant opérer qu’après le dé-part de l’agent de change, il ne fallait pas es-pérer son retour avant la nuit. « Comment, te v’là déjà ? » s’étonna le trio en voyant Croqui-gnol s’amener une heure à peine après le dé-part de Filochard. « Ben, quoi donc ? C’est-y qu’ça n’aurait pas biché ? s’inquiétait Riboul-dingue. Pour que tu rappliques de si bonne heure, m’est avis qu’il a dû t’arriver quelque chose de pas ordinaire ! » « C’est-à-dire, ron-chonna Croquignol, après avoir vidé d’un trait une chopine, que je ne marche plus pour faire les clebs. Y a trop d’imprévu à la clé ! » Il ra-conta ce qui s’était passé entre lui et Duballot. Ribouldingue et Filochard se gondolaient en l’écoutant. « Enfin, résuma ce dernier, c’est encore heureux que tu aies pu lui « faire » son portefeuille... ça sera toujours une compensa-tion. » « Tu parles ! approuvait Croquignol. Si je sais bien compter, les trois billets de cent balles du portefeuille avec les deux remis à Fi-lochard pour mon prix d’achat, ça doit faire vingt-cinq louis ! C’est une bonne journée et un capital dont on pourra tirer parti. Mais cherchons une combine où je n’aurais pas be-soin de faire le cabot. » Après avoir mis labo-rieusement leurs méninges à contribution, les trois amis quittèrent le lendemain leur domi-cile, uniformément coiffés de casquettes bleues vaguement galonnées d’argent. D’un commun accord ils se dirigèrent vers une des principales stations d’autobus et se mirent à rôder aux alentours. Filochard, qui avait l’œil américain, s’était aperçu que le chauffeur et le conducteur d’une des voitures qui se trouvaient en station étaient absorbés par une partie de zanzi sur le zinc du troquet d’en face et à voix basse il confia à ses deux associés et complices : « Je crois que c’est le moment de profiter de l’occase... V’là justement des types qui s’installent dans la bagnole ! Pas d’hésitation et au p’tit bonheur ! Vous y êtes ? Allons-y en douce et payons-nous de culot... C’est toujours le culot qui
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nous a servis dans toutes nos entreprises... N’y a pas d’pétard... Hop là… » D’un bond, Fi-lochard avait sauté sur le siège du wattman et mettait la main au volant de l’autobus.
Ribouldingue, suivant le rôle assigné d’avance à chacun, s’était chargé de mettre le moteur en marche. Après avoir tourné la ma-nivelle, sans éveiller l’attention des employés de la compagnie qui discutaient sur un coup de dés douteux, il s’empressa de venir re-joindre sur la plate-forme son ami Croquignol à qui on avait assigné les fonctions de conduc-teur. L’autobus démarrait en douce et les joueurs de zanzibar étaient à cent lieues de supposer que des voleurs seraient assez auda-cieux pour subtiliser un pareil véhicule à leur nez et à leur barbe. Suivant l’usage, Croquignol, conducteur improvisé, tira à trois reprises la sonnette, ding, ding, ding ! afin de faire savoir au watt-man que sa voiture était au complet et qu’il pouvait brûler sans crainte les arrêts faculta-tifs. Aussitôt, et comme s’il n’avait attendu
que ce signal, l’autobus fila à toute vitesse, emportant les voyageurs et les Pieds-Nickelés. Puis, savamment piloté par Filochard, il dispa-rut bientôt au milieu de la circulation. Vous
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jugez ce que fut la stupéfaction du véritable wattman et de son conducteur quand, ayant
terminé leur partie de « zanzi », ils s’apprê-tèrent à monter dans leur voiture et n’eurent que la triste surprise de constater sa dispari-tion. « C’est phénoménal, déconcertant et dia-bolique ! vociférait le chauffeur. Qui donc a eu le culot de subtiliser notre bagnole ? » Les deux employés consternés eurent beau cher-cher partout, même dans la cave du bistro, il leur fut impossible, et pour cause, de retrou-ver le véhicule, disparu d’une façon si mysté-rieuse.
Il fallait vraiment s’appeler les Pieds-Ni-ckelés et posséder un culot à nul autre pareil pour avoir l’audace de subtiliser en plein jour et à la station un autobus, bondé de monde, et de filer avec sans s’inquiéter de ceux qui avaient mis-sion de le conduire. Comme le disait si justement Filochard avant d’occuper la place du chauffeur, c’était avec des coups de folle audace comme celui qu’ils venaient d’accomplir qu’on avait encore le plus de chance de réus-sir. Les voyageurs, assis dans le véhi-cule n’avaient rien remarqué d’anor-mal. Ils se laissaient emporter sans appréhen-sion aucune par la lourde bagnole automobile et quand Croquignol circula dans l’intérieur de la voiture, écrasant les cors et cognant les genoux pour réclamer le prix des places, ils s’exécutèrent sans protestations ni murmures et lui allongèrent leur galette. Cependant
quand ils s’aperçurent que l'autobus oubliait de s’arrêter aux stations et poursuivait sa course à une vertigineuse allure, ils manifestèrent une profonde sur-prise, mais ils n’étaient pas, hélas ! au bout de leur étonnement. Si les voyageurs avaient quelque raison d’être épatés en constatant que le véhicule, non seulement, ne s’arrêtait pas aux stations, mais qu’il suivait un par-cours des plus fantaisistes, les pas-sants, eux, n’étaient pas moins sur-pris par le passage à toute vitesse de cette voiture et s’effaraient en la voyant se faire un jeu de jouer aux quilles avec les becs de gaz qu’elle culbutait, ou de raser la bordure du trottoir pour les éclabousser des pieds à la tête avec l’eau non filtrée du ruisseau. « Il faut que le wattman soit devenu subi-tement fou, pensaient-ils, pour rouler à une pareille allure... Une catastrophe est inévi-table... » Filochard était un chauffeur d’occa-sion qui remplaçait l’expérience par de l’au-dace. Rien ne l’effrayait. Il écrasait les chiens, renversait les voitures de marchandes de quatre-saisons et continuait sa course folle à une allure vertigineuse sans prendre le moindre souci des clameurs indignées, des protestations et des cris de colère que provo-quait sa singulière façon de conduire.
Les voyageurs commençaient à être vérita-blement inquiets et la frayeur se lisait sur tous les visages. Les cheveux des hommes se héris-saient de terreur et les dames poussaient des cris de putois ou s’évanouissaient. Quelques-uns parmi les voyageurs avaient bien songé tout d’abord à descendre, mais la vitesse de l’autobus les avait fait renoncer à leur projet
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car ils sentaient bien que c’était s’exposer à une mort certaine. Une voyageuse, qui n’avait pas froid aux yeux, protesta énergiquement contre cet état de choses, menaçant le conduc-
teur de se plaindre à la compagnie et de le faire révoquer s’il se refusait à arrêter la voi-ture. « J’m’en f..., la p’tit’ mère, ricanait placi-dement Croquignol, mais, faut pas vous bilo-ter pour si peu car j’ai une vague doutance que nous v’là bientôt arrivés ! » En disant ces mots, le pseudo-conducteur laissa échapper un gloussement ironique dont Ribouldingue comprit la signification. La nuit tombait quand l’autobus, à toute vitesse, déboucha sur la place de la Concorde ; sans modérer son allure, celle enfila l’avenue des Champs-Élysées, vira au carrefour de l’Étoile, continua sa course dans l’avenue du Bois et narguant, bravant l’obscurité grandis-sante, s'enfonça dans les ténèbres du Bois de
Boulogne. Tandis que le véhicule dévorait l’espace, Croquignol et Ribouldingue, revolver au poing, firent irruption dans l’intérieur en
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criant : « Passons la monnaie, s. v. p. ». Les voyageurs affolés se laissèrent dévali-ser sans faire de rouspétance et l’autobus ayant ralenti sa course s’arrêta. « Tout le monde descend ! » annonçait Croquignol d’un ton narquois. Les infortunés voyageurs, soula-gés de tout ce qu’ils possédaient, furent bien obligés de s’exécuter. Et lorsqu’ils eurent quitté l’autobus, les Pieds-Nickelés leur crièrent ironiquement : « A la r’voyure ! » Puis, remontant dans la voiture, ils repartirent à toute vitesse en abandonnant leurs victimes, la nuit, en ce coin désert du Bois ! Au bout d’un instant, l’autobus stoppa. Fi-lochard quitta le volant, Croquignol et Riboul-dingue descendirent de voiture et le trio, les poches bien garnies, rentra tranquillement dans Paris. « Comme je n’avais pas de hangar pour y garer la chignole, gouaillait Filochard, j’ai pris soin de la remiser dans un fourré où la compagnie pourra la faire prendre demain matin. Dommage que ce soit un meuble aussi encombrant, sans quoi, on aurait pu l’utiliser pour faire de bonnes balades. » Tandis que leurs victimes égarées au milieu du bois tâ-chaient de reconnaître leur chemin dans les ténèbres, Croquignol, Ribouldingue et Filo-chard réintégraient leur domicile afin de se partager le butin et raconter à Manounou les émouvantes péripéties de cette promenade en autobus. La négresse fut positivement éblouie par la quantité de bijoux qu’ils rapportaient et déclara : « Je n’aurais jamais cru qu’il y avait des types aussi rupins parmi ces voyageurs à 3 fr. 60 la douzaine... Vous auriez dû garder la voiture pour la vendre... » On lui fit comprendre qu’elle aurait été d’un placement diffi-cile. Après avoir fait l’inventaire de leur butin, les trois amis es-quissèrent le pas de la jubilance. La journée avait dépassé leurs espérances et, suivant la pitto-resque expression de Filochard, l’auber allait radiner dans les fouilles... Le lendemain, ce dernier se rendit chez un receleur qu’ils ho-noraient de leur clientèle et échangea tous les bijoux empruntés aux voya-geurs de l’autobus contre des billets de banque et un sac de louis. Il y en avait pour
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treize cents francs. Filochard, craignant de se faire barbotter, par des escrocs sans scrupules, le fruit de leur
commun labeur, revint en hâte retrouver ses poteaux et annonça : « Me v’là, les aminches ! Je rapplique avec le pèze... Écarquillez vos chasses et z’yeutez c’que je vous ramène. Y en a pour treize cents balles... Hein ! Quel bénef. — C'est du bath boulot qu'on a fait là, affir-mait Ribouldingue et je crois que vous serez tous de mon avis si je propose de fêter cette heureuse opération par une petite bombe comme nous savons les faire. » Cette proposi-tion ayant réuni tous les suffrages, le trio s’équipa sur son trente-et-un, Manounou ar-bora son beau chapeau à panache et la bande se fît d’abord promener en taxi-auto. Ensuite le chauffeur reçut l’ordre de les conduire dans un restaurant à la mode. Ils commandèrent un menu sardanapalesque qui leur fut servi en ca-binet particulier et y firent si copieusement honneur les uns et les autres qu'à la fin du re-pas, ils avaient tous glissé sous la table. me Le lendemain, les trois amis et M Riboul-dingue recommencèrent la petite fête de la veille et s’offrirent en chœur une mémorable biture. Puis, prenant goût à la chose, ils conti-nuèrent la même existence les jours suivants. A ce jeu-là, l’argent se volatilisait si rapide-ment qu’après une semaine de bombance, ils s’aperçurent que de leurs treize cents francs, il ne leur restait plus un sou. « On est aussi mouisards qu’avant, convenait Croquignol, mais on a bien rigolé. — Et s’il nous faut du pèze, ajoutait Ribouldingue, nous en trouve-rons, ne vous bilez pas, car je viens de trouver une combine tout simplement épas-trouillante ! »
Il est à supposer que l’idée de Riboul-dingue était excellente, car Croquignol et Filo-chard l’approuvèrent d’emblée. Il fut décidé qu’on la mettrait à exécution sans plus at-tendre. Voilà pourquoi, le lendemain matin, les Pieds-Nickelés, costumés en terrassiers, quittaient leur domicile, avec la pelle et la pioche sur l’épaule. Ils dirigèrent leurs pas vers le centre de Paris et s’arrêtèrent dans une rue située à proximité des grands boulevards. A l’entrée de cette rue, les trois amis plantèrent un écriteau portant la mention : « Rue barrée » afin d’en
intercepter le passage aux voitures et pouvoir se livrer tranquillement à leurs travaux. Ceci fait, ils tendirent des cordes, des bords d’un trottoir à l’autre, et commencèrent à dépaver la rue comme s’ils avaient été em-bauchés spécialement pour cette besogne. L’endroit qu’ils avaient choisi se trouvait pré-cisément placé devant le magasin d’un grand bottier qui ne voyait pas ces travaux d’un bon œil. Lorsque les pavés furent enlevés, les trois amis se mirent à piocher le sol avec la plus louable ardeur. Ils auraient été payés pour le faire qu’ils n’auraient certainement pas mis tant d’emballement à manœuvrer leurs outils. Ils piochaient ainsi depuis un bon moment, sans s’arrêter, au grand ébahissement des ba-dauds, quand une bande d’individus fit irrup-tion dans la rue et s’approcha, menaçante, des trois travailleurs. Les Pieds-Nickelés avaient
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