La Caverne
105 pages
Français

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La Caverne , livre ebook

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Description

Lorsque dans un même élan sa femme le quitte, prend une année sabbatique en Italie avec sa nouvelle amoureuse et y emmène également leur fille de 19 ans qui se questionne sur son avenir, Michel, un animateur de radio de 50 ans, devra réinventer sa vie et réenchanter son monde.

Informations

Publié par
Date de parution 02 mars 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782764430781
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
Ne t’arrête pas , roman, Leméac Éditeur, 2010.
Pur chaos du désir , théâtre, Dramaturges Éditeurs, 2009.
La culture en soi , essai, Leméac Éditeur, 2006.





Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice
Conception graphique : Nathalie Caron
Mise en pages : Andréa Joseph [pagexpress@videotron.ca]
Révision linguistique : Sophie Sainte-Marie et Chantale Landry
En couverture : Photomontage à partir d’oeuvres
de © shutterstock / jiawangkun et © shutterstock / Annette Shaff
Conversion en ePub : Nicolas Ménard
Québec Amérique 329, rue de la Commune Ouest, 3 e étage
Montréal (Québec) H2Y 2E1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Turp, Gilbert
La caverne (Latitudes)
ISBN 978-2-7644-3076-7 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3077-4 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3078-1 (ePub)
I. Titre. II. Collection : Latitudes (Éditions Québec Amérique).
PS8589.U76C382 2016 C843’.54 C2015-942303-1 PS9589.U76C382 2016
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2016
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2016
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2016.
quebec-amerique.com



UN AVRIL DE MERDE


1
Dix-sept heures quarante-trois. Dans le confort feutré de sa caverne, Michel finit d’expédier l’entrevue d’un de ces artistes narcissiques qui plaisent tant aux gens qui n’ont rien d’autre à faire. Expert dans l’art de feindre l’intérêt, il donnait l’impression de mettre tout son cœur dans cette entrevue formatée et prévisible qu’il avait déjà menée cent fois. Du copié-collé, où seul le nom de la vedette changeait. Ce continuel spectacle, il commençait à en revenir. L’irritation le guettait ; des picotements couraient sous son cuir chevelu. En songeant à son auditeur idéal, qui l’écoutait peut-être au milieu d’un bouchon de circulation sur la Métropolitaine, il ne put s’empêcher d’en appeler à son indulgence. « Je t’en prie, ne m’éteins pas, je peux faire mieux. »
Dix-sept heures quarante-cinq. Il passa au segment des nouvelles internationales. Massacres, horreurs et crimes à grande échelle. Du copié-collé, ça aussi, mais cette fois il était impossible d’en revenir. Michel demeurait perpétuellement surpris par la créativité humaine en matière de brutalité et de spoliation. Il se gênait d’ailleurs de moins en moins pour agrémenter les violences du jour d’une saute d’humeur ou deux. Pas plus, cependant. Restons professionnel. Il y avait bien assez de confusion comme ça, inutile d’en rajouter. Il se contenta donc de pousser un soupir en déclarant que notre planète vieillissait, que notre pays se ratatinait et qu’en dépit de l’hirondelle du printemps arabe ça allait toujours aussi mal au Moyen-Orient.
— Enfin, il faut bien vivre…
De l’autre côté de la vitre, la réalisatrice leva les yeux vers les carreaux insonorisants du plafond et fit un signe au technicien de son. La chanson de l’heure envahit les ondes. Michel retira ses écouteurs, but une gorgée d’eau, s’étira sur sa chaise et envoya un baiser en direction de la régie, assez satisfait de lui-même.
À dix-sept heures cinquante-neuf, il remercia l’équipe en ondes – techniciens, recherchistes, coordonnateur, assistants, sans oublier Manon, à la réalisation, qu’il appelait « sa chère réale » , tandis que l’indicatif musical noyait progressivement sa voix. Cet air mi-pop, mi-électro était particulièrement racoleur ; il en avait demandé un nouveau pour la saison prochaine, mais on l’avait regardé comme un enfant qui fait des caprices. Mais bon, songea-t-il, puisque c’est ainsi. Ciao , tout le monde.
Dès qu’il franchit le seuil de sa caverne, la réale l’intercepta.
— Combien de fois va-t-il falloir que je te répète de ne pas laisser tes humeurs déborder en ondes ?
— On assomme l’auditeur à coups de catastrophes et tu t’énerves parce que je pousse un soupir ? Est-ce que la moue de René Lévesque à l’époque de Point de mire te paraîtrait inacceptable aujourd’hui ?
— Je ne vois pas le rapport.
— Mon soupir, c’est quoi, sinon une moue sonore ?
Manon le considéra avec une certaine incrédulité.
— Michel, tu n’es quand même pas en train de te comparer à René Lévesque ?
Tout le monde se rendait compte que les nouvelles internationales ressemblaient de plus en plus à une gigantesque notice nécrologique. Pour Manon, cependant, le danger ne résidait pas dans la diffusion de la morosité. C’était plutôt que, dans un univers médiatique aussi saturé que le nôtre, tout finissait par se dissoudre dans l’indifférence. La première fois qu’on entend parler du tremblement de terre haïtien, ça nous touche ; la trentième fois, ça nous écœure. Et plus les journalistes laissent parler leur subjectivité, pire c’est. D’où l’importance de bien tracer la ligne entre le commentaire éditorial et le rabâchage de la morosité universelle.
Michel, lui, se souciait surtout de son auditeur idéal. Qui était-il ? Qu’attendait-il de lui ? À l’époque où il arpentait les pavés d’ici et d’ailleurs en quête de reportages, il tenait pour acquis que ce qui le passionnait, lui, captiverait nécessairement les autres. Il pratiquait le métier le plus pertinent du monde : journaliste de terrain. Mais le sentiment de sa mission s’était fissuré au moment du génocide rwandais.
Dépêché sur les lieux – à la grande inquiétude de sa femme –, Michel n’avait pas livré le reportage attendu. Il avait pris sa décision après l’entrevue d’une jeune fille de quatorze ans tombée enceinte à la suite d’un viol collectif. Une fois le bébé venu au monde, un des agresseurs s’était mis en tête qu’il était le père et l’avait demandée en mariage. L’adolescente, répudiée par les survivants de son village, avait confié à Michel que d’une part cet enfant devait manger, et que d’autre part ce mariage serait sa vengeance. Son tortionnaire verrait sa haine chaque matin dans ses yeux.
Ce reportage, intitulé L’enfant de la haine , il ne l’avait pas envoyé. Et quand, à son retour, son supérieur l’avait réprimandé officiellement, Michel avait piqué une crise en pleine salle de presse : « Je suis journaliste, pas pornographe ! » Cette sortie, plutôt comique au fond, avait été suivie d’un silence de mort et d’un effet domino d’yeux fuyants. Michel, mortifié, avait cru n’avoir réussi qu’à embarrasser ses collègues. Mais sa réaction avait semé le doute. Depuis le dévoilement des camps de la mort nazis une cinquantaine d’années plus tôt, on estimait qu’on n’était jamais trop informés, mais ce qui se passait au Rwanda renversait la perspective. Ce génocide commenté en temps réel débordait d’une telle obscénité qu’on ne savait plus comment s’adresser à l’auditeur. Au lieu d’éveiller sa conscience, on lui sapait le moral.
Enfin, le degré d’attention que les patrons de Michel attribuaient au public était constamment revu à la baisse. On lui demandait de mettre toujours plus de sourires dans sa voix.
— Je veux bien alléger le ton, répondait-il, mais pas sous-estimer mon auditeur. Il y a tout de même quatre universités à Montréal.
— Justement, ton auditeur est sursollicité , il a besoin de se distraire.
Le directeur des communications évoquait sans cesse cet auditeur au singulier, tout en en parlant au pluriel. Il disait par exemple : « Ton auditeur, c’est tant de dizaines de milliers de personnes, ne l’oublie pas. » Ce qui faisait un bien singulier pluriel.
Michel en était réduit à se battre pour rester maître de sa propre voix. Son fameux timbre qu’on qualifiait d’éternellement jeune ne servait qu’à une chose : créer de la proximité et de la chaleur. Cela suppose qu’il s’adressait à quelqu’un, un interlocuteur, et non pas à un auditoire anonyme et quelconque qu’on appelle « les gens » ou, pire, « la masse ». Bref, son auditeur idéa

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